France

Pourquoi les jeunes veulent-ils tous être journalistes?

Le journalisme est un métier exigeant qui embauche peu. Pourtant, des milliers de jeunes Français en rêvent. Qu'est-ce qui les attire tant?

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Dans les imaginaires, journaliste est un mot qui évoque le grand reportage et les «rédactions enfumées» où on l'on boucle dans l'urgence le scoop de l'année. Dans la réalité, Tintin peut remballer sa houpette. De nos jours, le grand reportage est un peu au journalisme ce qu'est le champagne aux fêtards assoiffés: le privilège de happy few. Pour les journalistes-pratiquants, surtout les jeunes, le métier représente d'abord des années de galère après de longues études, la précarité et des sujets parfois bien loin de ceux qu'on avait imaginé: écrire une demie page sur les 50 ans du club de boules d'un patelin de la côte d'Opale, ça ne s'invente pas. Et pourtant, ils débarquent chaque année en hordes conquérantes, les jeunes reporters, diplômés de formations plus ou moins fumeuses (ou même pas), avec la ferme intention de trouver un média pour les faire travailler. Si le nombre de journalistes détenteurs de la carte de presse tend à stagner (1), les écoles, elles, n'ont jamais été aussi nombreuses: la profession en reconnaît 13 aujourd'hui, contre 8 à la fin des années 1990, et c'est sans compter la multiplication des écoles non reconnues.

A la sortie, les jeunes trouvent une profession qui se cherche et qui, économiquement, se porte mal. Quelle est la motivation, alors, de ces reporters en herbe? «Journaliste, c'est la classe», répondent-ils. «Avant, les jeunes voulaient être journalistes pour les paillettes, explique Jean-Marie Charon, sociologue des médias. Ils rêvaient en voyant les salaires des journalistes stars. Aujourd'hui, c'est moins le cas mais la quête d'un statut social est devenu leur moteur. C'est l'idée d'un métier où l'on sera utile, où on fera quelque chose pour la société. Ils ont l'impression que les métiers actifs et utiles sont rares.» A l'heure où 67% des jeunes Français pensent qu'ils vivront moins bien que leurs parents, la peur du déclassement éloigne de l'entreprise traditionnelle, selon Gérard Régnault, consultant formateur en Ressources Humaines et auteur de Les mal-aimés en l'entreprise: «Les 15-25 ans constatent que leurs pères qui bossaient comme des fous se sont fait virer comme des malpropres aux premières difficultés de l'entreprise. Cela remet pas mal de schémas en cause.»

«Perdu pour perdu, au moins ont-ils l'autonomie»

Traumatisés d'avoir vu leurs parents utilisés comme une variable d'ajustement, les adolescents se réfugient dans le journalisme, métier intellectuel (certains ne sont jamais allés dans les soirées d'écoles...) qui leur garantira, pensent-ils, un certain statut. Très bien, sauf que moi, j'en connais une, de variable d'ajustement: c'est MOI, jeune journaliste pigiste, payée au lance-pierres et pas près de signer un CDI. Et je ne suis pas seule: pour beaucoup de mes petits camarades de promotion, le Pôle Emploi est la première source de revenus. Mais cela ne semble pas arrêter nos petits frères de l'info.

«Quand je raconte les conditions de travail du journalisme web, ils ne sont pas emballés, témoigne Jean-Marie Charon, qui donne des cours dans une licence spécialisée en journalisme web. Mais d'une certaine façon, ils ne veulent pas savoir. D'ailleurs dans un premier temps, certains ne sont pas gênés par le statut de pigistes voire d'auto-entrepreneur.(2)» Jeunesse kamikaze? Non, jeunesse pragmatique. De toute façon, quel que soit le secteur, les perspectives d'embauche sont en berne. Selon une enquête de l'Afij (Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés) en avril 2009, 62% des jeunes diplômés n'occupent aucun emploi en avril 2009 et sur les 38% qui sont en poste, la moitié d'entre eux occupent un emploi en inadéquation avec leur projet professionnel. «Perdu pour perdu, au moins les journalistes ont-ils l'autonomie!», résume Charon.

On nous rabâche que les jeunes ne rêvent que de sécurité, fonçant droit dans la fonction publique. Mais si 40% envisagent effectivement d'y travailler, les 60% restants hésitent entre les entreprises à taille humaine, où l'on favorisera le dialogue et l'écoute, et l'auto-entreprenariat, ou du moins, une forme d'autonomie et de liberté, que le journalisme semble incarner. Biberonnés aux refrains de «merci patron», les jeunes espèrent ainsi qu'ils n'auront pas à courber l'échine devant un supérieur vachard. «Le règne des petits chefs, c'est fini. Le paternalisme aussi. L'entreprise n'est plus une seconde famille», résume Hervé Sérieyx, auteur de Les jeunes et l'entreprise, des noces ambigües. Annick Cohen Haegel, consultante en ressources humaines pour le groupe Cegos, renchérit. «Ils supportent moins le contrôle. C'est une génération de contrat: chacun remplit sa part et tout le monde s'en portera bien. Ils savent qu'ils ont des objectifs à remplir, ils les acceptent mais veulent les atteindre à leur façon.» Un papier à rendre de telle taille, pour telle heure, et grosso modo: roulez jeunesse et rendez-vous la semaine prochaine. C'est en tout cas la représentation qu'ils se font et qui les attirent dans le journalisme.

Équilibrer vie professionnelle et vie privée

Gérer leur temps comme ils l'entendent, les jeunes, futurs journalistes ou non, y arrivent finalement de gré ou de force. «Quel que soit le secteur, le micro-absentéisme est le premier souci des employeurs avec les jeunes, note Annick Cohen Haegel. Ils s'autorisent à ne pas venir un jour ou deux, dans la mesure où ils remplissent leurs objectifs. De manière générale, ils n'hésitent pas à poser la question des horaires, des vacances, des RTT, et à les négocier fermement.» Cette autonomie fait écho au premier de leurs souhaits: équilibrer vie professionnelle et vie privée. 78% d'entre eux placent leur vie personnelle au premier rang de leurs priorités. «De nos jours, en entretien face à des diplômés de Sup de co, on entend "c'est quoi les horaires"? C'était inenvisageable il y a 20 ans!», raconte Hervé Seriyex.

Les jeunes, tous des feignasses? Pas du tout. «Ils sont dans le vivre, quand leurs parents étaient dans l'avoir et leurs grands-parents dans le devoir, explique Annick Cohen Haegel. C'est une révolution. Ils cherchent un boulot qui bouge, ils sont sensibles à l'ambiance, ils ont besoin d'être intéressés et de renouveler régulièrement leurs activités.» Stéphane Zumsteeg, directeur du département Opinion et Recherche Sociale d'Ipsos, analyse dans ce sens une étude pointant l'intérêt des jeunes pour les métiers de la communication, dont les médias. «L'important pour les jeunes, c'est d'être dans le mouvement, explique-t-il. Ainsi, l'intérêt pour le journalisme c'est aussi celui pour les nouvelles technologies... Dans tous les secteurs on trouve des choses désuètes, sauf dans l'image d'Epinal qu'ils se font des médias.»

Génération exigeante, les 15-25 ans ont des rêves plein la tête et rarement les deux pieds dans la réalité professionnelle. «On note chez eux le besoin d'être écouté et de communiquer; d'avoir un boulot utile aux yeux des autres et de la société; un boulot où on se réalise. Enfin, ils ont envie de travailler, mais à leur rythme, résume Gérard Regnault. Bref ils ont de très hautes exigences qui contribuent à les mener, après quelques années de travail, à la déception.» Et vous ne pourrez plus dire qu'on ne vous a pas prévenus.

Flore Thomasset

Photo: des reporters autour de Louis van Gaal, coach du Bayern Munich, à l'aéroport de Turin, le 9 décembre 2009. REUTERS/Michael Dalder

(1) Du fait probablement des départs précoces en retraite puisque 30% des journalistes ne souhaitent pas terminer leur carrière dans la profession, selon un sondage CSA de 2007.

(2) Le statut d'auto-entrepreneur «ne concerne pas la profession de journaliste» rappelle le SNJ-CGT. La profession de journaliste est expressément salariale et ne peut donc relever d'un statut libéral.

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