Politique / Monde

Joe Biden peut-il conquérir l'électorat afro-américain grâce à Kamala Harris?

Problème: près de la moitié des personnes sondées de moins de 30 ans déclarent que voter «ne fait aucune différence».

La sénatrice de Californie est la colistière du candidat démocrate en lice pour la présidentielle américaine de 2020. | Robyn Beck / AFP
La sénatrice de Californie est la colistière du candidat démocrate en lice pour la présidentielle américaine de 2020. | Robyn Beck / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

En choisissant la sénatrice Kamala Harris comme colistière et candidate à la vice-présidence, le candidat démocrate Joe Biden, 77 ans, pourrait gagner le vote de la jeunesse noire américaine.

Notre enquête sur les intentions de vote des femmes et hommes électeurs noirs et les indécis, publiée en juillet, montrait que seuls 47% des Afro-Américain·es de moins de 30 ans se positionnaient pour Biden. Mais avec Harris à ses côtés, les intentions de vote pour Biden passent à 73% dans ce même groupe. Une hausse significative, bien que moins importante comparée aux autres groupes d'âge.

La liste menée par Kamala Harris et Joe Biden pourrait ainsi devenir beaucoup plus attractive pour les jeunes noir·es américain·es qui représentent une proportion importante de ce que nous nommons l'électorat indécis. Or, le comportement de vote de ces derniers n'a rien à voir avec celui des générations précédentes.

Les votes indécis

La plupart des spécialistes définissent les électrices et électeurs indécis comme ceux dont le vote fluctue d'un parti à l'autre, d'une élection à l'autre, pouvant facilement changer d'avis et pesant ainsi lourdement dans la balance politique.

Selon les analyses, aux États-Unis, cette tranche de la population représente traditionnellement un électorat blanc et ouvrier plutôt originaire du Midwest américain. Soit, une population à séduire pour qui convoiterait la Maison-Blanche. Par opposition, les analystes perçoivent souvent l'électorat noir américain comme un bloc monolithique et loyal aux Démocrates, prêt à répondre aux moindres besoins du parti pourvu que les pasteurs donnent des directives pendant l'office.

Certes, ces représentations n'ont pas complètement disparu, mais, sur la base de trente ans de recherches sur les comportements électoraux, nous pouvons affirmer qu'elles sont aujourd'hui obsolètes.

Ces votantes et votants indécis du passé sont en voie de disparition –au Midwest comme ailleurs. Désormais, ce qui fait la différence et pèse dans la balance politique, est le fait de voter ou non. Ce qui nous amène à considérer plus en détail le vote de la communauté afro-américaine.

L'électorat noir

Notre récente enquête portait sur un échantillon de 1.215 Afro-Américain·es, vivant dans des États clefs sur le plan politique –Wisconsin, Pennsylvanie, Michigan, Floride, Caroline du Nord et Georgie. D'après nos résultats, les plus de 60 ans restent fidèles au Parti démocrate, non loin devant les 40-59 ans. Mais ce n'est pas le cas pour les moins de 30 ans (la moitié de notre échantillon).

 

Deuil à New York après décès suite à infection Covid-19Un groupe d'amis afro-américain fait le deuil d'un proche décédé du Covid-19. La pandémie affecte particulièrement la communauté noire américaine. | John Moore / Getty Images North America / AFP

Cathy Cohen, professeure de sciences politiques à l'université de Chicago et spécialiste des comportements politiques de la jeunesse noire, a bien résumé cette tendance dans un podcast récent:

«Ils ont vu l'arrivée de maires noirs, ils ont vu l'élection du premier président américain noir, et ils ont vu que rien n'a changé dans leurs vies.»

Défiance vis-à-vis du vote

Ces jeunes femmes et hommes électeurs pourraient tout à fait renoncer à voter au mois de novembre, comme ils l'ont d'ailleurs déjà fait en 2016. Leur abstention, parmi d'autres facteurs, avait favorisé l'élection de Donald Trump.

Dans notre sondage et dans ce groupe de la population, 31% des moins de 30 ans ont déclaré qu'ils n'iraient probablement pas voter lors de la présidentielle de 2020. Cela ne semble pas si grave au vu de la participation électorale moyenne aux États-Unis forte d'un taux de 60% lors des dernières élections.

Biden tente de rassembler le vote de la population afro-américaine, ici lors d'une réunion à l'église évangélique Bethel de Wilmington, Delaware le 1er juin 2020. | Jim Watson / AFP

Cependant, les enquêté·es, toutes cohortes confondues, ont globalement tendance à surestimer leur intention de vote.

Ainsi, près de la moitié des individus sondés de moins de 30 ans déclarent que voter «ne fait aucune différence», ce qui donne une idée plus réaliste du nombre de ces jeunes qui ne se déplacera pas aux urnes.

Or ce nombre ne tient même pas compte des perturbations induites par les suspicions quant au vote à distance ou en raison de la pandémie. Uniquement 64% des jeunes de notre enquête ont exprimé avoir confiance en l'État sur la gestion des votes, et moins de la moitié, 30%, ont déclaré vouloir utiliser le vote à distance.

Distance vis-à-vis des Démocrates

Ce cynisme exprimé se retrouve aussi dans leur attitude face au Parti démocrate. Seul·es 47% d'entre elles et eux pensent que le parti est favorable à la communauté noire américaine et seulement 43% font confiance aux élu·es démocrates au Congrès pour représenter au mieux leurs intérêts.

Et, contrairement aux générations précédentes, seule la moitié de ces personnes de moins de 30 ans interrogées perçoivent les Démocrates comme meilleurs que les Républicains.

«Ils veulent tous la même chose»

Dans notre enquête quantitative comme lors d'entretiens réalisés auprès des différents groupes interrogés, nous avons régulièrement entendu la même frustration émaner des jeunes noir·es américain·es: le sentiment que le Parti démocrate compte sur leurs votes mais ne fait pas grand chose pour le mériter, hormis être moins «raciste» que son adversaire.

Comme le souligne l'un de nos enquêtés: «Au bout du compte, ils veulent tous la même chose.»

Ces enseignements montrent que le futur de «l'Amérique noire» ne s'inscrira pas forcément sous la bannière bleue du Parti démocrate, participation électorale ou non, car il apparaît désormais que le club des personnes indécises a changé de camp. Il se situe aujourd'hui du côté de la jeunesse noire américaine qui peut faire basculer la donne.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation
cover
-
/
cover

Liste de lecture