Culture

Les comédies françaises doivent arrêter avec les élèves en culotte courte

«Les Blagues de Toto» est l'énième itération d'un sous-genre cinématographique bien de chez nous: celui qui adapte une BD ou un roman d'antan à l'écran. Il serait temps de changer de disque.

<em>«C'est toujours la même chose: l'institutrice bombasse, le pion sadique, le prof castrateur, le papier mâché…»</em> | via <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oZThB7gPKIk&amp;feature=youtu.be">YouTube</a>
«C'est toujours la même chose: l'institutrice bombasse, le pion sadique, le prof castrateur, le papier mâché…» | via YouTube

Temps de lecture: 4 minutes

Pendant les grandes vacances, l'école continue au cinéma. Après Ducobu 3 en janvier dernier, voici Les Blagues de Toto, sorti en salle le 5 août. Encore une «comédie en culotte courte» –le terme n'est pas vraiment homologué, mais vous voyez de quoi on parle: le cancre à bouille d'ange, les cartables rectangulaires, le bonnet d'âne, l'institutrice douce et maternelle, le professeur psychorigide, les parents dépassés par les facéties de leur rejeton… et la menace du pensionnat à la discipline de fer.

Les films du genre ont fleuri ces dernières années, généralement adaptés de BD et romans cultes. Le Petit Nicolas, L'élève Ducobu, Boule et Bill, Le Petit Spirou... Les œuvres varient, pourtant tous ces films semblent se dérouler à la même époque: avant, jadis, au bon vieux temps. Souvent ancrées dans un milieu rural, les comédies scolaires puisent –à grands coups d'esthétique rétro, de stéréotypes et de morale convenue– dans la nostalgie de l'enfance et de l'école.

Réalisé par Pascal Bourdiaux, à qui l'on doit notamment Le Mac et Boule et Bill 2, Les Blagues de Toto ne déroge pas à la règle. La BD de Thierry Coupée, dont le film est adapté, s'inspire du fameux personnage issu de la tradition orale française, dont l'existence remonte au moins au XIXe siècle. Qu'est-ce qui pousse le cinéma français à racler les fonds de tiroir?

 

Une esthétique rétro et anachronique

Les écoliers en culotte courte, c'est avant tout une veine commerciale très juteuse. L'industrie prend moins de risques à adapter des BD déjà connues du grand public qu'à produire des œuvres originales. «Les producteurs ont remarqué qu'il y avait un filon avec les livres de notre enfance, note Hugo Alexandre, journaliste et cocréateur de la chaîne YouTube Calmos. C'est notre équivalent de Disney et Pixar. L'idée, c'est que les enfants aillent voir ces films avec leurs grands-parents. Tout le monde doit y trouver son compte.» Et ça marche: 1,5 million d'entrées pour L'élève Ducobu, 5,7 millions pour Le Petit Nicolas... Quitte à resservir une formule mille fois réchauffée, ce que ne manquent pas de noter ironiquement certain·es spectateurs et spectatrices.

«C'est toujours la même chose», s'agace Daniel Andreyev, créateur du podcast WeLoveMDR (et rédacteur de la revue annuelle des comédies françaises sur Slate). «L'institutrice bombasse, le pion sadique, le prof castrateur, le papier mâché…» Cet imaginaire nous vient tout à la fois du Petit Spirou que des romans de la comtesse de Ségur et de la publicité, selon lui. C'est celui d'une école à l'ancienne, librement inspirée de celle de la IIIᵉ République, avec ses hussards noirs et ses coups de règle sur les doigts. «On a aussi cette tradition des imbéciles qui réussissent, comme dans “Les Sous-doués”», ajoute Daniel Andreyev.

La tendance vient probablement des Choristes. Le drame musical de Christophe Barratier, sorti en 2004, se déroule au début des années 1950 dans un internat de rééducation pour garçons adolescents. Le film a connu un succès retentissant: 15 millions d'entrées dans le monde dont 8,5 millions en France. Adapté de La Cage aux rossignols de Jean Dréville (1945), Les Choristes a remis à la mode l'esthétique de l'entre-deux-guerres et l'esthétique qui va avec. «Il y a une ligne droite entre les nouvelles comédies écolières et “Les Choristes”. Ce film, c'est un peu un doudou générationnel», affirme l'auteur et journaliste.

À LIRE AUSSI Spirou, derrière les bulles, un message politique

 

Depuis Les Choristes, toutes les occasions sont bonnes pour produire des films qui fleurent bon la France d'antan. En 2011, au moment où le classique roman de 1912 La Guerre des boutons passe dans le domaine public, deux adaptations cinématographiques différentes sortent quasiment en même temps, l'une réalisée par Yann Samuell, l'autre par… Christophe Barratier, encore.

 

La vieille France, un filon rentable

L'autre avantage des adaptations rétro, c'est de ne pas avoir à s'encombrer d'un détail embarrassant: la réalité. En 2004, dans une interview à propos des Choristes, Christophe Barratier affirmait: «L'intérêt de transporter des choses dans le passé permet de se concentrer sur les sentiments sans être parasité par les phénomènes sociaux. Je ne voulais pas parler de nos quartiers, du racisme.»

Ce décalage passe mal aux yeux du spectateur critique. «L'école d'aujourd'hui, ce n'est pas “Ducobu” et les gamins qui jouent aux billes», tranche Pauline Maillet, critique et créatrice du podcast Sorociné. «Il y a un fossé entre ces comédies et l'actualité: pas de profs exténués, pas d'élèves en difficulté... Ils se nettoient de tout acte politique, alors que c'est impossible quand on veut parler d'école. Ils renvoient une image parfaite du système éducatif, dans lequel si les gamins décrochent, c'est de leur faute. Injecter cette esthétique rétro, c'est un bon moyen de se dédouaner de parler des sujets sensibles.»

L'idée selon laquelle les élèves seraient moins brillants, moins éduqués aujourd'hui qu'il y a quelques décennies est un mythe répandu chez les esprits conservateurs. Une perception fausse, même si régulièrement sur les réseaux sociaux, des posts viraux se lamentent du déclin de l'école française.

La nostalgie, un repli identitaire

Se projeter dans un passé fictionnel est également un moyen commode de ne pas penser un cinéma plus incisif et inclusif. «C'est un monde où il n'y a pas d'Arabes, de Noirs, de Juifs, souligne Daniel Andreyev. Le héros est toujours un gamin blanc appelé Gustave, amoureux de la petite blonde aux cheveux lisses. Et l'argument “ça se passe dans un village”, c'est un bon moyen de ne montrer que des blancos...»

Un peu comme les Member Berries, ces fruits magiques du dessin animé South Park, les comédies scolaires bercent le spectateur de souvenirs nostalgiques d'un passé fictif où tout était plus simple… quand on était blanc et catholique. Pour Pauline Mallet, cet imaginaire politique est dangereux car il est présenté comme inoffensif: «C'est important de parler de ces comédies, parce que ce sont des films légers que les gens vont voir sans se poser de questions.»

Finalement le problème ne vient pas de l'existence de ces comédies écolières gentillettes, mais plutôt du fait qu'elles dominent le cinéma grand public, au détriment de comédies scolaires moins édulcorées comme Les beaux gosses (2009), La vie scolaire (2019) ou T'as pécho? (2020). «Le public donne raison à ceux qui font ces films. C'est regrettable parce qu'on voit bien que ces BD ne valent pas toutes le coup d'être adaptées», déplore Hugo Alexandre.

Le troisième opus de Ducobu a dépassé le million d'entrées, tandis que Les Blagues de Toto a pris la tête du box-office français la semaine dernière. Des chiffres qui ne risquent pas de dissuader pas la récidive, et tant pis s'il faut mettre l'originalité au placard. «Les producteurs optent pour la sécurité», tranche Daniel Andreyev. «Et la sécurité, c'est la craie blanche sur un tableau.»

cover
-
/
cover

Liste de lecture