Santé

Pourquoi les antivax se méfient du vaccin contre le Covid-19

Une enquête a révélé qu'entre 20 et 32% des Français·es ne se feraient pas immuniser si un sérum existait.

Les vaccino-sceptiques ne constituent pas une majorité. | Gustavo Fring <a href="https://www.pexels.com/fr-fr/chercher/vaccine/">via Unsplash</a>
Les vaccino-sceptiques ne constituent pas une majorité. | Gustavo Fring via Unsplash

Temps de lecture: 5 minutes

Dans le contexte pandémique actuel où le vaccin contre le Covid-19 est largement attendu par une grande partie de la société civile afin d'endiguer la propagation du virus, les antivax et les vaccino-méfiant·es sont largement pointé·es du doigt. Lorsqu'a été partagé un sondage affirmant que près d'un tiers des Français·es ne se feraient pas vacciner contre le Covid, les commentaires à l'emporte-pièce ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux. «Ils sont débiles», «Bande de connards», «C'est possible de les baffer?», «Les Français sont des bouffons», «Salopes de complotistes», «Des cassos, qu'ils crèvent», «Le refus des vaccins est inversement proportionnel à l'intelligence», pouvait-on lire sur Twitter et Facebook.

Ce manichéisme et cette violence sont-ils justifiés? Les personnes émettant ne seraient-ce que des réserves quant au futur vaccin contre le Covid sont-elles aussi sottes que certains le pensent? La question mérite qu'on s'y attarde afin d'éviter les stigmatisations hâtives mais aussi parce qu'elle est incontournable pour mettre en place une politique vaccinale pertinente et efficace dès la mise sur le marché d'un vaccin contre le Covid.

Antivax et vaccino-sceptiques

Lorsque les données de l'enquête COCONEL ou de celle réalisée par YouGov pour le Huffington Post indiquent qu'entre 20 et 32% des Français·es ne se feraient pas vacciner contre le Covid si un vaccin existait, il faut bien comprendre que toutes les personnes incluses dans ces pourcentages ne font pas partie de la frange dure des mouvements antivaccination.

Si ces derniers, que leur rejet vaccinal provienne de leur religion ou d'idéologies naturalistes ou complotistes, sont de plus en plus présents en France, ils ne constituent pas une majorité.

Malgré la vivacité des antivax et la méfiance de la société civile, la couverture vaccinale n'est pas si mauvaise comparée aux États-Unis.

Leurs discours extrêmes essaiment cependant sur les réseaux sociaux et peuvent susciter doute et méfiance.

En réalité, la plupart des personnes réticentes tendent à être davantage vaccino-méfiantes sinon vaccino-hésitantes –comme c'est d'ailleurs le cas pour tous les vaccins en France où, malgré la vivacité des antivax et la méfiance de la société civile, la couverture vaccinale n'est pas si mauvaise comparée aux États-Unis. Ainsi, dans l'enquête COCONEL, seul·es 6% des répondant·es se disent contre la vaccination en général. Reste à comprendre les sources de cette méfiance.

Une confiance raisonnablement entamée

Cette méfiance à l'égard des vaccins en général s'est à l'évidence alimentée «de faits passés avérés, pas forcément collusions financières mais liens d'intérêt divers et nombreuses affaires sanitaires qui ont marqué la population (Mediator, Distilbène…)», explique Lucie Guimier, géographe et analyste en géopolitique et spécialiste de la question vaccinale. «On peut comprendre que la population craint une collusion entre les autorités gouvernementales et sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques et ce sans, pour autant, verser dans le complotisme le plus radical.» C'est d'autant plus vrai que comme le remarque Frédéric Marçon, pharmacien et MCU-PH de biopharmacie, «les gens sont assez peu au fait de ce que sont les liens et les conflits d'intérêt, ce qui peut nourrir des suspicions pas forcément justifiées.»

Dans le contexte actuel où les laboratoires se livrent une âpre concurrence en vue d'être la première à trouver un vaccin et où les entreprises de biotech ont déjà touché le gros lot, on peut également entendre les propos de défiance envers une industrie pharmaceutique vue comme recherchant le profit avant même le bénéfice sanitaire. C'est ce dont témoigne Laure, une dentiste de 46 ans généralement favorable à la vaccination: «La crise sanitaire a révélé un manque de transparence et de sérieux impressionnant de la part de certains laboratoires et chercheurs. Ma confiance est donc raisonnablement entamée.»

La peur d'un vaccin conçu à la va vite

«Ce qui est particulièrement saillant ici, c'est que le vaccin est encore en cours de développement, note Lucie Guimier. On n'a donc pas de recul sur les effets indésirables à court, moyen et long terme. Cela explique aisément une certaine frilosité.» Le sentiment de manque de recul est associé à celui que le vaccin contre le Covid sera conçu et commercialisé en un temps record. Ainsi 15% des répondant·es à l'enquête COCONEL motivent leur refus en jugeant qu'un vaccin élaboré dans l'urgence serait trop dangereux.

«Je suis pro-vaccination, explique Simon, la trentaine. Mais quand on élabore un vaccin sans tenir compte des délais habituels, je préfère laisser les autres essuyer les plâtres. Je ne connais pas de situation où le “vite fait, bien fait” est avéré… » Même son de cloche chez Franck, 40 ans: «Si un vaccin était disponible demain, je ne sais pas si je me ferais vacciner. J'aurais peur que les effets indésirables à plus ou moins long terme n'aient pas pu être étudiés.»

«Les populations jeunes préfèreront peut-être attraper le Covid plutôt que de se faire inoculer le vaccin.»
Lucie Guimier, spécialiste de la question vaccinale

Cette méfiance existe également et sans surprise chez des personnes qui ont développé des réactions à la suite d'un autre vaccin, notamment celui contre le H1N1, comme Laure: «J'ai développé toute une série de symptômes invalidants après le vaccin contre le H1N1. Il se peut que ce soit une simple corrélation, mais je garde cette arrière-pensée.»

Beaucoup de personnes semblent avoir intégré que la recherche prend du temps et que l'urgence de la pandémie ne saurait justifier un développement, une production et une mise sur le marché en urgence.

Par ailleurs, comment ne pas craindre des effets indésirables lorsque nombre de scientifiques ainsi que le ministère de la Santé américain a d'ores et déjà annoncé que tous les vaccins contre le Covid-19 seraient réactogènes et provoqueraient des effets indésirables? Même si ces derniers seront vraisemblablement modérés et comparables à ceux du vaccin contre la grippe pour la plupart des gens, ces communications marquent les esprits. Comme le note Frédéric Marçon: «Les gens sont plus sensibles à une perte qu'à un bénéfice et sont davantage frappés par une réaction grave rare que par des effets indésirables modestes fréquents.» Enfin, cette question de la balance risques versus bénéfices sera vraisemblablement encore plus marquée chez les jeunes à qui on a –possiblement à tort– répété que le virus serait relativement bénin pour eux: «Les populations jeunes préfèreront peut-être attraper le Covid plutôt que de se faire inoculer le vaccin», présume Lucie Guimier.

Un acte politique

Au-delà de ces craintes très rationnelles liées au manque de recul, le refus vaccinal est, dans le contexte actuel, un acte idéologisé voire politique résultant d'une perte de confiance envers les responsables politiques qui nous gouvernent. Celle-ci n'est pas surprenante lorsque l'on voit comme le gouvernement a bafouillé sur les masques ou sur la fermeture des lieux publics, générant ainsi des discours contradictoires. «On sait que la volonté de se démarquer de la doxa et ne pas se soumettre complaisamment au gouvernement fait partie des arguments des vaccino-sceptiques, explique Lucie Guimier. Le masque et le vaccin sont perçus comme des moyens de soumettre le peuple au bon vouloir du gouvernement», poursuit -elle.

À cela s'ajoute quelque chose d'assez inédit en France: une montée en puissance des discours libertariens plus ou moins revendiqués comme tels. «La défense des libertés individuelles est de plus en plus prégnantes dans les discours anti-vaccins, ajoute la géographe. Il y a eu un tournant important pendant la crise sanitaire avec le soutien de politiques et de personnalités de droite au Pr Raoult. En outre, les discours libertariens sont de plus en plus partagés par les adeptes d'un discours naturaliste traditionnellement antivax.» On notera aussi une collusion de ces deux types de discours sur le site Égalité et Réconciliation fondé par Alain Soral.

«En plus d'une méconnaissance de ce qu'est la santé publique et de ses fondamentaux, on voit bien que les gens pensent avant tout pour eux et non pour la société», confirme Frédéric Marçon.

Sommes-nous désormais dans une impasse où toute une catégorie de la population serait durablement réfractaire à la vaccination? Rien n'est moins sûr. «Il ne faut pas croire que les gens qui refusent la vaccination sont irrationnels, explique Lucie Guimier. Ce sont des personnes qui ont envie de réfléchir et de se poser des questions. Elles cherchent à comprendre le pourquoi du comment sans obéir doctement aux injonctions des médecins.»

Avec un peu d'optimisme, on pourra voir cette volonté comme un levier pour développer une politique vaccinale basée sur une pédagogie adaptée… pour peu que l'on ne prenne pas les vaccino-sceptiques pour des imbéciles et qu'on les intègre, comme le préconisent le CARE, le Comité scientifique Covid-19 et Comité Vaccin Covid-19 dans une «démarche participative, ouverte et transparente» destinée à susciter l'adhésion.

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