Santé

Vaccins anti-Covid: les questions auxquelles devra répondre le gouvernement

Qui vacciner en priorité? Quand? Comment? Faudra-t-il imposer le sérum en cas de refus? D'innombrables questions vont émerger.

L'OMS recense vingt-six candidats vaccins  parvenus au stade des essais cliniques sur des volontaires. | Anna Shvets <a href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/medecin-docteur-sante-hopital-3786234/">via Pexels</a>
L'OMS recense vingt-six candidats vaccins  parvenus au stade des essais cliniques sur des volontaires. | Anna Shvets via Pexels

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Non. Contrairement au lénifiant discours aujourd'hui dominant, la mise à disposition des premiers vaccins «anti-coronavirus» ne sera certainement pas la panacée contre la pandémie. Pour l'heure, l'OMS recense 26 candidats vaccins parvenus au stade des essais cliniques sur des volontaires et près de 150 au stade de l'évaluation préclinique. Tout laisse penser que l'arrivée et la commercialisation des premiers vaccins (dans les pays ayant les moyens financiers d'acquérir les premiers lots) soulèvera d'emblée un nombre considérable de questions, notamment éthiques –une situation qui placera l'exécutif dans des situations inédites autrement plus complexes et sensibles que celles rencontrées lors du confinement. Il ne sera pas alors question de restreindre les possibilités de déplacement mais d'organiser les modalités d'une prévention vaccinale de masse à haut risque –une immunisation dont rien ne dit qu'elle rencontrera une adhésion pleine et entière de la population.

Conscient des difficultés et des controverses à venir, le pouvoir exécutif français a d'ores et déjà pris une série d'avis de nature à l'aider dans la définition de ses futurs choix sanitaires, politiques et économiques. Il dispose ainsi depuis peu d'un premier rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS) et d'un avis hautement documenté du Conseil scientifique du gouvernement –toujours présidé par le Pr Jean-François Delfraissy et dont le mandat a été prolongé. Afin d'établir les grandes lignes d'une stratégie vaccinale pour la France, ce Conseil s'est notamment associé au Comité Analyse Recherche Expertise (CARE) Covid-19, présidé par François Barré-Sinoussi, co-prix Nobel de médecine 2008. En résulte un document majeur relatif à l'état des lieux et à l'élaboration d'une stratégie vaccinale. Des avis sur ce thème ont également déjà été publiés par certains pays ou organisations internationales comme la Commission européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Belgique.

Un délai incertain

En dépit de l'effort international sans précédent accompli dans le plus grand désordre sur ce sujet, rien ne permet de donner une date quant à une disponibilité des candidats vaccins anti-SARS-CoV2. Certains vaccins pourraient peut-être commencer recevoir une autorisation d'utilisation chez l'être humain au cours du dernier trimestre de 2020. Encore faudrait-il que les autorités sanitaires parviennent en un temps record à valider leur efficacité et leur innocuité selon différentes procédures qui ne sont pas toutes bien codifiées.

«Le gouvernement français négocie actuellement (en partenariat avec ses homologues européens) des contrats de réservation de vaccins (contrats signés avec Astra Zeneca, négociations en cours avec Moderna, CureVac, BioNTech/Pfizer, Jansen, Sanofi Pateur)» précisent les membres du Comité scientifique. Pour autant ils soulignent que de nombreuses incertitudes demeurent. On ne connaît rien encore sur les caractéristiques essentielles de ces sérums: efficacité contre l'infection, contre la pathologie sévère, sur la transmission, sur la sécurité ou sur le nombre de doses nécessaires pour induire une immunité protectrice et une durée de protection.

«Le nombre de vaccins qui sera finalement commandé est encore inconnu, mais on s'attend à avoir plusieurs dizaines de millions de doses de vaccins (potentiellement correspondant à plusieurs –entre deux et cinq– produits différents) disponibles entre le dernier trimestre de l'année 2020 et le premier trimestre de 2021, estime le Comité. Elles pourraient être déployées s'il survient une seconde vague de Covid-19.» Or, toujours selon les scientifiques, il est impératif que les autorités sanitaires se donnent le temps nécessaire à une évaluation rigoureuse tant de l'efficacité que de la sécurité des candidats vaccins avant leur utilisation à grande échelle.

Au vu des pressions politiques et économiques, cette évaluation sera-t-elle effectuée dans les règles? C'est là une question essentielle ou la moindre faille dans le dispositif aurait aussitôt un fort effet négatif du fait notamment d'un fond de méfiance de la population française vis-à-vis de la vaccination.

Les vaccins «non éthiques» seront-ils autorisés?

On sait que dans la course contre la montre certaines firmes envisagent (ou ont mis en place) des «challenges infectieux»: exposer volontairement (moyennant ou pas une rémunération) des volontaires sains vaccinés au virus pour vérifier son efficacité.

Les expert·es du gouvernement français qualifient une telle pratique «à la fois scientifique et éthique» de «discutable». D'une part il existe des modèles animaux d'infection au SARS-CoV2 qui «même imparfaits» n'imposent pas de recourir à l'évaluation d'une protection chez des jeunes volontaires en bonne santé.

Le Comité scientifique est défavorable  au «challenge infectieux» qui a recours à des volontaires sains pour développer les vaccins.

D'autant que les résultats obtenus ne seraient pas plus transposables que ceux des modèles animaux aux personnes vulnérables, principales cibles de la protection.

D'autre part, d'un point de vue éthique on ne peut écarter la possibilité de survenue d'accident chez ces volontaires en l'absence de traitements avérés du Covid-19. De ce fait, le Comité se dit «défavorable au recours au “challenge infectieux” de volontaires sains comme étape de développement clinique des vaccins anti-SARS-CoV2.» Est-ce dire pour autant que l'exécutif en sera informé et que, le cas échéant, il interdirait leur usage?

Populations prioritaires

C'est là encore une question essentielle. Les membres du Comité scientifique estiment que les populations à risque d'exposition professionnelle sont la première des priorités: environ 6,8 millions personnes –avec une «priorité très élevée» concernant environ 1,8 million de personnes.

Il s'agit essentiellement des personnels de santé les plus exposés: urgences, infectiologie, pneumologie, SAMU, médecins généralistes et hospitaliers, SOS médecins, infirmièr·es, services de réanimation, dentistes, kinésithérapeutes, brancardièr·es, ambulancièr·es, personnels de radiologie, de laboratoire etc. Mais il s'agit aussi des personnes au contact de populations plus vulnérables: EHPAD, auxiliaires de vie, personnels de santé de services prenant en charge les personnes fragiles: transplantation, gériatrie, etc. Au total, cette priorité élevée concerne près de 1.800.000 personnes: 230.000 médecins (libéraux et hospitaliers), 40.000 chirurgiens-dentistes, 75.000 pharmacien·nes, 22.000 sages-femmes, 100.000 étudiant·es, 700.000 infirmièr·es, 400.000 aides-soignant·es, 200.000 autres (masseurs-kiné, manipulateurs radio, psychomotricien·nes), 20.000 laborantin·es.

Quant à la «priorité élevée» (autour de 5 millions de personnes), elle concernerait notamment les personnels au contact fréquent de la population: commerçant·es, guichets fonction publique, banques, enseignant·es, personnel hôtelier, restaurants, transports en commun, travailleurs et travailleuses du sexe, etc. Sans oublier les personnes travaillant en milieux confinés à risque: abattoirs (35.000 ouvrièr·es abattoirs), croisières, taxis (60.000 personnes en comptant les VTC). Sans oublier non plus les personnels ayant des conditions d'hébergement en milieu confiné, les personnes à risque du fait de leur âge (plus de 65 ans) ou de leur état de santé –aussi bien en métropole qu'en Outre-mer (soit environ 23 millions de personnes).

Avec, pour finir, trois autres catégories. Tout d'abord les 250.000 personnes vivant en France «en situation de grande précarité» fragilisées tant face à l'infection que face aux conséquences engendrées par les mesures de lutte contre la pandémie. Les gens qui vivent dans des établissements fermés à risque accru de transmission: les prisons, avec 70.000 détenu·es, les établissements pour personnes en situation de handicap, soit 500.000 places, les hôpitaux psychiatriques avec 340.000 malades hospitalisés à temps complet. Enfin les personnels ayant un emploi stratégique: 150.000 agents de police, 200.000 pompièr·es volontaires et 40.000 pros. Enfin 200.000 militaires, soit 600.000 personnes.

L'organisation des vaccinations prioritaires

Près de 40 millions de personnes prioritaires à des degrés différents, un volume de doses vaccinales disponibles inconnue et des modalités (une ou plusieurs doses) qui restent à définir: ce sont les considérables difficultés pratiques et éthiques auxquelles sera confronté l'exécutif. Une fois identifiées les premières populations cibles de la vaccination, il lui faudra aussi parvenir à organiser rapidement la vaccination au plus près des personnes concernées. Et ne pas répéter la plus que fâcheuse initiative prise en 2009 par Roselyne Bachelot au moment de l'épidémie de grippe A(H1N1). Alors ministre de la Santé, elle avait jugé préférable d'organiser une vaccination massive dans des «centres spécialisés» créés à cet effet; une politique officiellement contestée et ayant suscité de vives colères chez les personnels soignants habituellement habilités à vacciner.

Les membres du Comité scientifique soulignent que les professionnel·les de soins de santé primaire sont indispensables à la réussite «d'une campagne de vaccination pertinente, efficiente et avec un haut niveau d'acceptabilité». «Cela implique les spécialistes de médecine générale, les infirmiers, les pharmaciens. Les acteurs de la médecine du travail, de l'hôpital, et du monde médicosocial en établissement sont aussi concernés. La vaccination “ambulatoire” dans les cabinets médicaux, les services et accès aux vaccins à l'hôpital pour les personnes à risque sont aussi à prévoir.» Dans ce contexte il importe, selon eux, d'anticiper la formation des pros sur les nouvelles technologies vaccinales et sur les données disponibles en matière de sécurité et d'efficacité.

Le cas des personnes âgées déjà infectées

Compte-tenu de la circulation active du virus depuis plusieurs mois au sein de la population se posera aussi immanquablement en pratique la question de la vaccination des personnes ayant déjà été infectées par le SARS-CoV-2 –qu'elles sachent ou ignorent l'être. Or la durée de la protection acquise après l'infection n'est pas connue et pourrait varier en fonction de différents paramètres qui restent à définir.

«Il n'existe pas d'argument spécifique suggérant que la vaccination de personnes préalablement infectées pourrait poser problème», affirment d'ores et déjà les expert·es.

La durée de la protection acquise après l'infection n'est pas connue et pourrait varier en fonction de divers paramètres

«Elle est en revanche de nature à prolonger ou renforcer l'immunité acquise. En conséquence, la réalisation d'un test sérologique préalable à la vaccination apparait inopportune et de nature à compromettre la bonne organisation de la vaccination et la dispensation du vaccin dans des conditions simples et intelligibles.»

Se posera aussi immanquablement, dans tous les cas, la question de la vaccination des personnes âgés de plus de 75 ans chez lesquelles il est vraisemblable que seule une faible réponse vaccinale pourra être obtenue et qu'il faudra continuer à protéger par les mesures habituelles et les gestes barrières.

La question de l'obligation

Un sondage Ifop pour le consortium Coconel réalisé fin mars 2020 établissait que plus d'un quart des Français·es (26%) ne voudraient pas se faire vacciner contre le SARS-CoV-2. «Ce refus est plus important chez les femmes, notamment les jeunes, alors que ce sont elles, souvent, qui prennent les décisions vaccinales pour les enfants», observait dans Le Monde Patrick Peretti-Watel, sociologue, directeur de recherche à l'Inserm et coordinateur scientifique du projet Coconel. «Le pourcentage de refus est plus élevé (39%) chez les 26-35 ans. Un tiers environ des employés et des ouvriers le refuseraient aussi, alors que, chez les cadres et professions intellectuelles supérieures, le taux de refus n'est que de 16%.»

Si ces données devaient se confirmer, apparaîtrait bien vite la question de l'obligation vaccinale, notamment chez les personnes qui, pour des raisons professionnelles, sont les plus exposées au risque d'infection –et à sa transmettre. Si chaque personne a le droit de refuser les soins qui lui sont proposés (au nom du respect de la vie privée et de l'intégrité physique), l'obligation vaccinale constitue ici une exception au motif qu'elle poursuit un objectif de santé publique. À terme, le pouvoir exécutif pourrait aussi être conduit à rendre obligatoire cette nouvelle vaccination –qui pourrait s'ajouter aux onze imposées avant l'âge de 18 mois et qui concernerait l'ensemble de la population, y compris les personnes les plus âgées.

On peut aussi envisager, comme le fait la HAS, des scénarios variables selon le niveau de circulation du virus: forte circulation virale au niveau national ou localisée sur certains territoires, circulation virale à bas bruit, etc. «Chacune de ces situations impliquera des choix différents sur les populations à cibler en priorité (âge, état de santé, profession, doses nécessaires) et des modalités de mise en œuvre adaptées (professionnels mobilisés pour vacciner, suivi des personnes vaccinées, conditions d'administration et stockage), détaille la HAS. Les caractéristiques des vaccins disponibles influenceront également ces choix.» La Haute Autorité n'exclut pas de saisir le Conseil consultatif national français d'éthique, plus particulièrement sur les questions éthiques liées à la «priorisation des populations à vacciner».

Attaques des «anti-vaccinaux» et théories du complot

C'est l'une des grandes inconnues de ce dossier. L'exemple de la pandémie grippale A(H1N1) a montré qu'en dépit de la menace infectieuse les oppositions aux caractéristiques des vaccins disponibles et aux modalités de la vaccination –voire à son concept même– pouvaient se réveiller, s'exprimer et gagner en virulence. Les polémiques avaient alors porté sur les possibles effets secondaires des vaccins (risque de syndrome de Guillain-Barré), des adjuvants ou des conservateurs qu'ils pouvaient contenir (squalène ou thiomersal) et des conditions de production industrielle.

Dix ans plus tard ces oppositions commence déjà à prendre de nouvelles formes, amplifiées par le poids toujours plus grand des théories du complot comme des fake news sur les réseaux sociaux. Rien ne dit malheureusement que, sur ce front, l'exécutif actuel soit beaucoup mieux armé que les précédents. Or tout laisse penser que ce combat sera essentiel eu égard à la crédibilité de la parole politique.

Le Comité scientifique tente de bien se faire comprendre du président de la République et du gouvernement. «Un vaccin contre le Covid-19 offre de réels espoirs, mais l'adhésion de nos concitoyens à la vaccination est à construire. La communication, tout particulièrement, sera une des conditions de réussite de la campagne vaccinale.»

Il estime que cette communication doit être transparente sur les procédures ayant permis l'accélération de la mise sur le marché –sans qu'elles soient appliquées au détriment de la sécurité– mais aussi sur les incertitudes et les fondements scientifiques des recommandations. «La communication doit être réalisée en amont de la campagne, être différenciée selon les publics cibles, et évoquer une forme de “contrat social” appelant à la responsabilité de chacun. Elle ne pourra que bénéficier d'une démarche participative, ouverte et transparente, de type “forum citoyen”, associant en particulier les associations de patients.» On peut le dire autrement: tout reste à faire, et vite.

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