Égalités

L'Assemblée nationale ne veut pas de la ROPA qui permet une maternité partagée

Le feu vert est donné à la PMA pour toutes, mais la loi finale ne contiendra pas l'ouverture de la technique de la réception des ovocytes de la partenaire (ROPA).

En France, c'est la femme qui accouche qui devient automatiquement la mère de l'enfant à l'état civil. | Jean-Sébastion Evrard / AFP
En France, c'est la femme qui accouche qui devient automatiquement la mère de l'enfant à l'état civil. | Jean-Sébastion Evrard / AFP

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Orianne entame tout juste son sixième mois de grossesse. Ne pouvant avoir accès à la PMA en France, elle et sa compagne, Coraline, se sont tournées vers l'Espagne début 2020. C'est à Bilbao qu'elles ont commencé le processus et que l'équipe médicale leur a proposé de passer par la ROPA (réception des ovocytes de la partenaire) pour avoir un enfant. À première vue, il s'agit d'une fécondation in vitro (FIV) tout ce qu'il y a de plus classique, avec stimulation ovarienne et ponction des ovocytes, et où la rencontre entre un spermatozoïde et le dit ovocyte se fait en laboratoire. L'embryon qui en résulte est ensuite transféré dans l'utérus.

Dans le cadre d'une ROPA, c'est un peu différent: l'embryon implanté a été conçu à partir du sperme d'un donneur et des ovocytes de celle qui ne porte pas l'enfant. En somme, Orianne est enceinte d'un bébé avec qui elle ne partage pas un seul chromosome, puisqu'il a été conçu grâce aux ovocytes de Coraline. Un partage de maternité qui les a beaucoup séduites: «La méthode est très belle, très significative dans un couple lesbien, donc quand la clinique nous en a parlé, on a pas réfléchi longtemps», explique Orianne. Elles ont aussi opté pour cette technique pour des raisons médicales, une endométriose et une réserve ovarienne très basse en ce qui concerne Orianne.

Anne et Marie ont fait une ROPA en 2009 en Belgique. Après quatre ans d'inséminations et de FIV infructueuses, elles ont demandé à l'équipe médicale s'il était envisageable d'implanter les embryons conçus à partir des ovocytes d'Anne dans l'utérus de Marie. «Il fallait essayer autre chose car je commençais à être épuisée, se souvient Anne. Je savais que certaines femmes le faisaient pour participer toutes les deux à la conception et à la grossesse physiquement, mais nous, ce n'était pas notre idée de départ, ça s'est présenté comme ça.» Les médecins acceptent. Deux embryons conçus avec les gamètes d'Anne sont implantés dans l'utérus de Marie, dont l'un a tenu. Aujourd'hui, leur petit garçon a neuf ans et demi. Né avant la loi ouvrant le mariage et l'adoption à tous les couples, il a pu être adopté par Anne en 2015. Un sacré paradoxe quand on sait qu'il porte les mêmes gènes qu'elle: «J'ai eu l'impression d'adopter mon propre enfant, mais comme toutes les femmes dont les compagnes accouchent.»

Questions de filiation

En France, c'est la femme qui accouche qui devient automatiquement la mère de l'enfant à l'état civil. Forcément, la méthode ROPA vient ébranler cette conception de la filiation. «C'est un argument supplémentaire pour demander pourquoi on ne permet pas aux couples de femmes d'avoir leur filiation établie comme pour les couples hétérosexuels», analyse Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit à l'université Rennes 1 et co-présidente du Giaps (Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles). «À fortiori quand la deuxième femme a un lien génétique avec l'enfant, ce que les pères dont les femmes ont eu recours à un don de sperme n'ont pas.»

La révision des lois de bioéthique en cours, qui doit autoriser les couples lesbiens et les femmes célibataires à avoir accès à la PMA, prévoit de permettre enfin à ces couples d'être reconnus sans avoir à passer par l'adoption. Une nouvelle procédure devrait donc voir le jour: la reconnaissance conjointe anticipée (RCA), un acte notarial que le couple devra effectuer en amont des démarches de consentement au don. Un pas en avant peu satisfaisant pour les associations LGBTI et féministes pour qui ce dispositif ne va pas assez loin et ne recouvre pas certaines situations: quid des couples qui opteront pour l'insémination artisanale avec un donneur connu? Quid de ceux qui continueront à se rendre à l'étranger? Pour ces associations, il aurait été plus judicieux d'établir la filiation selon le droit commun.

Alors que des amendements pour l'ouverture de la ROPA avaient été rejetés en première lecture à l'automne 2019, des député.es, dont les LREM Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock-Mialon, ont à nouveau défendu cette mesure en commission lors de la deuxième lecture du texte. Le gouvernement s'y est montré opposé, mais ces amendements ont tout de même été présentés dans l'hémicycle. Un retour pas si étonnant: «Les député.es ne connaissent pas forcément ces sujets un peu techniques, la deuxième lecture leur a permis de mieux comprendre les enjeux», explique Marie Mesnil.

Malgré cette tentative, la loi finale ne contiendra pas l'ouverture de la ROPA, puisque les amendements ont été rejetés le 29 juillet, au même titre que ceux sur la PMA-post mortem.

Une révision de la loi «consensuelle et minimaliste»

Pour s'opposer à la ROPA, des député.es ont agité le risque d'ouverture de la gestation pour autrui (GPA) que pourrait engendrer cette méthode. «Ce sont les arguments de la “pente glissante”, analyse Marie Mesnil. Dès qu'on permet quelque chose de nouveau, il y a toujours l'ombre de la GPA qui plane, mais c'est une lecture malaisante de la ROPA. Le principe de la GPA, c'est que la femme qui porte n'est pas le parent. Dans la ROPA, les deux femmes ont vocation à être mères de l'enfant, donc on n'est pas du tout dans un dispositif de GPA.»

L'argument du don dirigé, qui contrevient au principe d'anonymat prévu dans la loi française, a lui aussi été utilisé. Parler de don dans une démarche de ROPA est là aussi un abus de langage: «Dans le principe du don, il n'y a pas de lien de filiation entre la donneuse et l'enfant, alors que dans la ROPA, il y en aura un.»

«Dès qu'on permet quelque chose de nouveau, il y a toujours l'ombre de la GPA qui plane.»
Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit à l'université Rennes 1 et co-présidente du Giaps 

Du côté des pro-ROPA, on a tenté de présenter cette technique sous un jour strictement médical: «Un des arguments était de dire que c'est invasif de donner ses ovocytes donc sans nécessité médicale, qu'il n'y a pas de raisons pour que celle qui porte l'enfant n'utilise pas ses propres ovocytes», avance la spécialilste. Avec la ROPA désormais rejetée, les couples de femmes devront en cas d'infertilité avoir recours à un don d'ovocytes, dont on sait déjà que l'attente s'étend sur plusieurs années. «C'est quand même fou d'obliger un couple de femmes à recourir à un don d'ovocytes, alors qu'éventuellement celle qui ne porte pas peut utiliser les siens», s'étonne la juriste qui juge cette révision des lois de bioéthique «consensuelle et minimaliste», et ne s'éloignant pas du modèle hétéronormatif.

Mères, un point c'est tout 

Au-delà de la technique, la ROPA ne change finalement pas grand chose pour celles qui l'ont déjà expérimenté à l'étranger. C'est parfois chez l'entourage que cette maternité partagée est rassurante: «Même si pour nous ça n'avait pas d'importance, la famille proche était contente, nos parents se sentaient vraiment grands-parents, raconte Anne. Du côté de ma compagne, c'était leur fille qui était enceinte, donc aucun doute qu'ils étaient grands-parents, et mes parents étaient très contents aussi, car c'était un peu d'eux, un peu de moi, ils se sentaient aussi grands-parents.»

Preuve aussi que l'importance donnée au lien biologique avec l'enfant est encore présente. «Ça me fait un peu de peine, reconnaît Anne, car je n'aurais jamais voulu faire une ROPA pour ça. Si Marie avait porté le bébé avec ses propres gamètes, je me serais sentie autant maman, j'en suis sûre.»

Orianne et Coraline suivent de près les évolutions de la loi autour de la filiation. «Est-ce qu'elle va pouvoir se faire automatiquement si on a fait une PMA à l'étranger avant la loi? On est un peu perdues face à ça.» La crainte d'Orianne: que Coraline soit refusée chez le médecin traitant, à l'hôpital ou à la crèche parce qu'elle n'est pas reconnue comme parent. «La filiation, la mise en sécurité des familles, pour tous et toutes notamment pour la communauté trans, tout ça est primordial.»

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