Monde / Économie

L'État providence en Europe du Sud peut-il résister à une nouvelle crise?

Marché du travail segmenté, précarité, protection sociale bancale... Les États de cette région du continent auront plus de difficultés que leurs voisins pour faire face à l'impact du Covid-19.

L'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal combinent problèmes structurels et héritage encore présent de la crise économique de 2008. | Kenzo Tribouillard / AFP. 
L'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal combinent problèmes structurels et héritage encore présent de la crise économique de 2008. | Kenzo Tribouillard / AFP. 

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Le choc économique provoqué par la crise sanitaire est sans précédent dans l'histoire récente. Ce sera probablement aussi un choc inégalitaire, avec des pertes massives d'emplois dans les catégories socio-professionnelles les moins bien rémunérées.

Pour répondre à cette situation, les États providence ont dû donner une réponse immédiate pour sécuriser le revenu de millions de personnes. Après dix ans d'instabilité économique, et des réformes structurelles en attente, cette tâche sera encore plus ardue pour les pays du sud de l'Europe (Espagne, Grèce, Italie, Portugal). Sont-ils prêts à affronter une nouvelle crise?

Protection sociale inadaptée aux besoins

Devant un tel besoin d'aide d'urgence, les spécificités nationales de l'État providence sont fondamentales pour assurer l'efficacité des politiques sociales et protéger tous ceux et celles qui sont en danger. Cependant, les systèmes de protection sociale des pays du sud de l'Europe montrent une inadaptation structurelle entre les besoins des populations et l'aide apportée par l'État, ce qui peut gêner toute couverture inclusive.

Les États de l'Europe du Sud se caractérisent par des marchés de l'emploi très segmentés avec une incidence importante de la précarité. Ceci, combiné à une protection sociale qui repose largement sur l'assurance, avantageant les personnes avec un emploi stable et les carrières longues.

Cette inadaptation de la protection sociale est illustrée dans ce premier tableau qui montre les pourcentages de transferts par rapport à la moyenne des aides reçues par le quantile des plus pauvres (en barres) et celui des plus riches (en pointillé) dans les pays de l'OCDE. Alors que dans la plupart des pays, les foyers dont le revenu est le plus bas reçoivent le plus de transferts de revenus de protection sociale, dans l'Europe du Sud on peut voir que les foyers aux revenus les plus élevés sont ceux qui reçoivent le plus de l'État. En fait, ces quatre pays, avec le Luxembourg, sont ceux où le quintile des riches bénéficie du pourcentage le plus élevé de ces transferts.

Ce qui différencie le plus les États de l'Europe du Sud des autres systèmes de protection sociale, basés sur l'assurance des autres pays d'Europe continentale, est l'absence d'un revenu minimum pour soutenir les foyers les plus vulnérables. Dans ce contexte, les pays du sud de l'Europe auront probablement beaucoup plus de difficultés que leurs voisins pour mettre en place des politiques d'aide aux plus pauvres face à l'impact du Covid-19.

Encore une crise?

Alors que les problèmes que nous venons de soulever concernent des questions structurelles, nous devons également considérer ceux relatifs aux circonstances pendant lesquelles se déroule la pandémie. Pour ces pays, qui ont tous été extrêmement meurtris par la «grande récession» (crise économique mondiale des années 2007-2012), cette nouvelle crise survient après plus de dix ans de difficultés et d'instabilité économiques. Ces années ont déjà montré la faiblesse de leurs systèmes de protection sociale pour couvrir les besoins essentiels des foyers les plus vulnérables. En conséquence, les indices d'inégalité augmentent, tout comme le pourcentage de la population en risque d'exclusion sociale ou la pauvreté des enfants.

Ces pays ont tous été meurtris par la grande la crise économique mondiale des années 2007-2012.

Cette combinaison du dysfonctionnement structurel et des blessures encore ouvertes de la récente crise économique, sont un point de départ problématique pour affronter la crise du Covid-19. Le tableau ci-dessous montre comment l'exclusion sociale est déjà plus élevée dans les pays de l'Europe du Sud que dans les États voisins, ce qui augmente encore leur incapacité structurelle à soutenir les plus pauvres pendant cette crise.

Taux d'exclusion sociale dans les pays de l'Union européenne.

Le rôle de la famille

Une autre des caractéristiques clés de ces pays de l'Europe est qu'ils dépendent dans une large mesure des familles pour ce qui est de l'aide aux personnes, alors que d'autres États se sont attachés à assurer plus d'équilibre entre le travail et la vie familiale. Cette caractéristique est encore plus évidente pendant la pandémie. Dans la plupart des pays européens les écoles ont ouvert petit à petit après le confinement, ce n'est pas le cas des États du sud où les enfants de moins de 12 ans ne sont pas retourné·es à l'école, ce qui pose un énorme problème aux parents qui doivent combiner leur travail, l'éducation et la garde de leurs enfants.

En Espagne, alors que les parents ont le droit de réduire leur temps de travail pour s'occuper de leurs enfants, ils n'ont reçu aucune compensation financière, ce qui oblige les familles à supporter tout le poids de la fermeture des écoles.

Cette dépendance à l'égard des familles peut avoir des conséquences à long terme. Tout d'abord, la fermeture des écoles peut augmenter l'inégalité entre les enfants, un phénomène qu'on observe déjà pendant les mois d'été et qui a pu se renforcer lors du confinement. D'autre part, cette situation réduira le travail des femmes puisqu'elles resteront probablement plus au foyer pour s'occuper des enfants. Cette situation n'est pas seulement négative pour l'égalité des genres, mais aussi pour la soutenabilité fiscale du système d'État providence en général.

Des raisons d'être optimiste

Il semble donc que les États du sud de l'Europe soient moins bien préparés que leurs voisins pour donner une réponse adéquate au choc économique dû à l'épidémie de Covid-19. Il y a toutefois quelques raisons pour un optimisme nuancé.

Tous les pays de cette région de l'Europe ont réussi à mettre en place une réponse rapide pour protéger leurs citoyen·es en termes de travail et de revenu, en assouplissant les conditions d'accès à l'assurance-chômage pour donner une couverture à un plus grand nombre possible de foyers. Aussi, la pandémie a accéléré les réformes structurelles, telles que la mise en place d'un revenu minimum en Espagne, ce qui favorisera une protection sociale plus inclusive.

Il n'y a aucun doute que l'épidémie de Covid-19 provoque un stress sans précédent pour tous les États providence développés. Ceci s'applique en particulier aux États de l'Europe du Sud qui combinent des problèmes structurels et des problèmes issus de l'héritage encore présent de la «grande récession». Dans ce contexte, ils devront faire face à un défi encore plus important pour réagir de façon rapide mais aussi inclusive: une tâche difficile et cruciale pour préserver l'égalité des opportunités.

Traduit de l'anglais par Isabel Serrano.

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