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Serait-ce donc possible que l'exécutif se foute des combats féministes?

Donner une promotion à un homme poursuivi pour une plainte pour viol, nous pouvons convenir que ce n'est pas tout à fait un bon signal envoyé aux victimes.

Passation de pouvoir entre Christophe Castaner et Gérald Darmanin, nouveau ministre de l'Intérieur, en présence de Marlène Schiappa et Laurent Nuñez, le 7 juillet 2020 place Beauvau. | Thomas Samson / AFP
Passation de pouvoir entre Christophe Castaner et Gérald Darmanin, nouveau ministre de l'Intérieur, en présence de Marlène Schiappa et Laurent Nuñez, le 7 juillet 2020 place Beauvau. | Thomas Samson / AFP

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Être féministe en France, ça demande d'avoir des nerfs en acier et une force mentale en béton armé. Franchement, parfois je me dis qu'on aurait mieux fait de devenir philatélistes, c'est une passion et un engagement qui ont l'air moins douloureux. On aurait créé des groupes de discussion pour échanger nos photos de timbres de la Deuxième République.

À la place, allez savoir pourquoi, on a choisi d'être féministes et de se faire régulièrement cracher au visage, y compris par notre gouvernement.

Va-t-on vraiment reparler du remaniement? Eh bien oui. Parce que j'entends partout des voix s'élever pour clamer «présomption d'innocence». Et je suis bien d'accord pour dire que c'est essentiel. Mais enfin, il faudrait aussi arrêter de lui faire dire n'importe quoi à la présomption d'innocence. Sur le sujet, je vous conseille ce texte d'un collectif de femmes juristes, c'est passionnant (et écrit par des personnes qui ont vraiment des diplômes de droit). L'un des problèmes avec la présomption d'innocence, c'est: comment ne pas la transformer en présomption de mensonge de la part de la plaignante?

Mais en dehors de cet aspect complexe, une simple question me vient à l'esprit: pourquoi donner une promotion à Gérald Darmanin alors même que l'enquête pour viol a été rouverte? Mes aïeules… Serait-ce… parce qu'ils s'en foutent?

Cause des femmes vs ambition personnelle: un pronostic?

Donner une promotion à un homme poursuivi pour une plainte pour viol, nous pouvons convenir que ce n'est pas tout à fait un bon signal envoyé aux victimes. On ne dit pas qu'il s'agissait de le condamner alors que la justice poursuit son travail, mais simplement ne pas lui donner une promotion. Un statu quo aurait suffit. Ni récompense, ni punition. On ne bouge pas en attendant que justice ait été rendue. Rester ministre du budget, ce n'est pas vraiment pénaliser la vie de quelqu'un ou porter atteinte à la présomption d'innocence.

D'ailleurs, Gérald Darmanin, qui a souvent répété en interview combien il était sensible à la cause des femmes, aurait pu avoir le même raisonnement. Il aurait pu se dire «je sais que je vais être innocenté mais tant que ce n'est pas arrivé, je ne vais pas faire des pieds et des mains pour avoir une promotion parce que ça envoie un mauvais message aux victimes et qu'en tant que politique j'ai des responsabilités à assumer». Mais ça, ça aurait voulu dire mettre entre parenthèses son ambition personnelle –parce que ce n'est que cela qui est en jeu, soyons claires. Donc entre la cause des femmes et son ambition personnelle, son calcul a été vite fait.

Moi moi moi, mon ambition, ma carrière, mon pouvoir. Rien à foutre du message que ça peut envoyer aux victimes. Si ça se trouve, Gérald Darmanin n'aurait plus jamais eu l'occasion de devenir ministre de l'Intérieur, rendez-vous compte! On attendait quoi de lui au juste? Qu'il se sacrifie en restant simple ministre du budget (en plus, il n'aime pas du tout l'ambiance à Bercy) en attendant la fin de l'enquête? Mais vous êtes folles et hystériques les féministes?

Chantage et abus de pouvoir

Mais franchement, ce qui m'a toujours le plus stupéfiée dans cette affaire, c'est que même sans la qualification de viol, même en s'en tenant strictement à la version de Gérald Darmanin, c'est passablement honteux.

Sur quoi les parties sont-elles d'accord? La situation de départ: Sophie Spatz, la plaignante, a été condamnée. Elle veut faire effacer cette condamnation de son casier. Elle écrit à tout le monde, y compris à l'UMP dont elle est adhérente. Elle finit par être reçue par Gérald Darmanin, alors chargé des affaires juridiques de l'UMP. Il lui dit qu'il va l'aider en parlant de son cas à Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux.

Problème: il lui ment, il sait très bien que personne ne peut annuler sa condamnation. Et il ajoute qu'en échange, il va falloir qu'elle fasse quelque chose pour lui. Le soir même, il l'emmène dans une boîte échangiste puis à l'hôtel. En gros, il monnaye un rapport sexuel contre une faveur politique (dont il sait qu'elle ne sert à rien). Ensuite, on a le texto envoyé par Sophie Spatz: «Quand on sait l'effort qu'il m'a fallu pour baiser avec toi, pour t'occuper de mon dossier», auquel il répond: «Tu as raison, je suis sans doute un sale con. Comment me faire pardonner», message qui tendrait à prouver qu'il avait bien conscience qu'elle ne couchait pas avec lui par envie.

Même en dehors de la question du consentement réel de la plaignante et donc de la qualification de viol, on peut estimer que ça ressemble diablement à du chantage et de l'abus de pouvoir et que ce n'est pas exactement l'attitude qu'on attend d'un politique. J'avais déjà rappelé cet extrait de la charte de La République en marche: «chacun de nos adhérents s'engage donc à ne pas commettre de discrimination ou d'abus de pouvoir». Gérald Darmanin est adhérent LREM.

Et désormais ministre de l'Intérieur.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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