Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.
La question du jour: «Qu'est-ce qui rend un méchant intéressant au cinéma?»
La réponse de Thomas Labat:
Une chose simple, rarement respectée: le méchant ne se pense pas en méchant. Jamais!
Il a ses raisons, parfois valables.
Il s'est construit à partir d'un système de valeurs qui l'a mené là. Il se dit qu'il n'a pas le choix et se voit en victime. Ou bien il est fou de douleur et de colère, des sentiments qui l'aveuglent. Au pire, il jouit de la domination. Il sera identifié, ou non, comme «malade».
Certains sont méchants au nom de la vertu; ils se croient des anges, ce qui les rend extrêmement dangereux. Ils se permettent de mettre telle ou telle catégorie d'êtres humains au ban de l'humanité: quand on pense ainsi, toutes les digues peuvent céder.
Mais le méchant, c'est toujours l'autre! L'ennemi est toujours en face.
On parlera plus volontiers d'antagoniste.
Même le démon que l'on trouve dans la Bible, c'est l'«adversaire», le «contradicteur» de Dieu, en aucun cas le prince (princeps… principe…) du mal.
Je pense que le succès d'un film comme Joker (2019) tient à ceci qu'on nous montre comment, à la suite d'une trajectoire logique, compréhensible et même touchante, quelqu'un en vient à se sentir le droit de nuire aux autres.
Et confusément, on sent que c'est ça, la réalité: la menace qui vit aussi en nous-mêmes, la tentation de riposter à la dureté du monde sans s'encombrer de distinctions, de nuances.
Voilà un bon méchant: on regardait en face, mais vu d'en face, c'est nous! On s'est reconnus…
«Il pleut toujours sur moi!»