Société / Économie

La jeunesse, génération sacrifiée de la crise du Covid-19

Le dualisme très marqué du marché du travail français a toujours fait des jeunes une variable d'ajustement des fluctuations conjoncturelles de l'économie.

Il est impossible d'anticiper aujourd'hui les conséquences politiques de cette situation de crise que va connaître la jeunesse dans les mois qui viennent. | Robert Metz <a href="https://unsplash.com/photos/Rhv7ZUAY7pE">via Unsplash</a>
Il est impossible d'anticiper aujourd'hui les conséquences politiques de cette situation de crise que va connaître la jeunesse dans les mois qui viennent. | Robert Metz via Unsplash

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Dans Le Parisien du 5 juin dernier, Gabriel Attal, secrétaire d'État à la jeunesse, affiche une grande détermination: «Il n'y aura pas de génération sacrifiée», assure-t-il. Néanmoins, le fait même qu'il juge utile de faire cette déclaration montre que le risque existe bel et bien. Le paradoxe est que les jeunes, largement épargné·es par la crise sanitaire, risquent d'être les premières victimes de la crise économique et sociale qui va suivre. En réalité, cette génération est touchée sur plusieurs fronts.

Le premier, et peut-être un des plus importants parce qu'il risque de laisser des traces durables, est le front scolaire. Le confinement a considérablement aggravé le décrochage scolaire des élèves qui étaient déjà les plus en difficulté. Certain·es professeur·es des lycées professionnels ont fait état de 20% d'élèves dont la trace aurait été totalement perdue durant le confinement, et ce taux est sans doute plus proche de 50% dans certains quartiers sensibles. Chaque vague d'enquête PISA montre que la France était déjà, avant la crise sanitaire, un des pays de l'OCDE dans lequel les écarts de performances entre les bon·nes élèves et les élèves aux résultats médiocres étaient les plus élevés, et avaient plutôt tendance à s'aggraver. Il est évident que le confinement va encore accroître ces inégalités de réussite.

Ce décrochage scolaire aggravé risque surtout d'avoir un impact négatif durable sur les itinéraires scolaires et professionnels des élèves concerné·es. Il y aura certainement un «effet cicatrice» qui ne s'effacera pas totalement et diminuera les chances de ces jeunes d'obtenir un diplôme et d'accéder à l'emploi et à des revenus décents. Il aura également, à terme, un coût considérable pour la collectivité qui devra compenser ces handicaps et subira une perte de compétences.

Il faut aussi avoir à l'esprit que le collège ou le lycée sont, dans les territoires en difficulté, des lieux essentiels de protection et de socialisation des jeunes des familles les plus pauvres. La fermeture de ces espaces les laisse à elles-mêmes et eux-mêmes, et peut avoir des conséquences sur leur vie sociale qui dépassent les questions purement scolaires. Il serait donc extrêmement urgent que les collèges et les lycées retrouvent le plus rapidement possible un fonctionnement normal et que l'on fasse un bilan des retards accumulés par les élèves les plus en difficulté pour tenter de trouver des solutions de remédiation.

De récents progrès anéantis

L'emploi est évidemment un autre front sur lequel les jeunes vont payer un lourd tribut. C'est d'autant plus rageant que la politique gouvernementale initiée depuis l'élection d'Emmanuel Macron avait abouti à d'assez bons résultats concernant le chômage des jeunes, et ce malgré l'abandon (bienvenu) de la politique des emplois aidés dans le secteur non marchand. Le taux de chômage des jeunes était de 24,5% en 2016, l'année précédant l'élection présidentielle; il était de 19,2% au premier trimestre 2020. Le nombre d'individus au chômage dans cette tranche d'âge a décru de 20% entre les deux dates, un premier indéniable succès... qui risque d'être fortement compromis dans les mois qui viennent.

En effet, les entreprises en difficulté vont prioritairement ne pas renouveler les CDD et les contrats d'intérim[1], massivement occupés par des jeunes. Selon les données de l'enquête Emploi 2019 de l'Insee, les 15-24 ans en emploi ne sont que 45% à occuper un CDI, les autres se partageant en travailleurs indépendants (3%), employés en CDD (28%), en apprentissage (17%) ou en contrat d'intérim (7%). Comparativement, les 25-49 ans sont 78% en CDI. Le dualisme très marqué du marché du travail français a toujours fait des jeunes une variable d'ajustement des variations conjoncturelles de l'économie. Ce sera à nouveau le cas avec la chute d'activité actuelle.

Les apprenti·es ne seront pas épargné·es, rencontrant déjà de grandes difficultés à trouver un stage. Là encore pourtant, les réformes menées par Muriel Pénicaud –en libéralisant la création de CFA dorénavant ouverte aux entreprises et en supprimant leur tutelle par les régions– avaient grandement amélioré la situation de l'apprentissage qui périclitait sous le gouvernement précédent. Ces progrès (+16% du nombre d'élèves en 2019) risquent à nouveau d'être anéantis, notamment du fait que les plus petites entreprises, grandes pourvoyeuses de postes d'apprenti·es, vont bloquer leur recrutement.

Le gouvernement a pris des mesures fortes pour soutenir le secteur en promettant de verser aux entreprises une aide financière pour chaque jeune inscrit·e (5.000 euros pour chaque mineur·e et 8.000 euros pour chaque majeur·e inscrit·es du 1er juillet au 28 février 2021), mais il n'est pas sûr que cela suffise à juguler la crise de recrutement.

Un danger pour le pouvoir politique

Enfin, 700.000 jeunes sortant du système éducatif vont se présenter sur le marché du travail à la rentrée dans une ambiance économique extrêmement morose. Dans le lot, les 90.000 jeunes qui finissent leurs études sans qualifications (ou au mieux avec le brevet des collèges, soit 12% de l'ensemble des jeunes et 15% des garçons) vont évidemment être le plus durement atteint·es par les difficultés à trouver un emploi. Mais même les diplômé·es universitaires seront concerné·es et verront au minimum la durée de leur recherche d'emploi à la fin de leurs études s'allonger.

Il est impossible d'anticiper aujourd'hui les conséquences politiques de cette situation de crise que va connaître la jeunesse dans les mois qui viennent. Pour la première fois depuis longtemps, l'ensemble des jeunes va être touché à des degrés divers par des difficultés d'emploi et de revenus, même si celles et ceux des quartiers sensibles risquent d'être plus fortement et durablement impacté·es.

On sait par ailleurs qu'une partie de la jeunesse, certes minoritaire, mais très active, est radicalisée alors qu'une grande partie est au contraire peu politisée mais demeure très sensible aux sentiments d'injustice. Il n'est donc pas exclu que se cristallise une conscience générationnelle autour de l'enjeu des conditions de vie des jeunes, enjeu auquel peut s'amalgamer la question jamais résolue des rapports difficiles et conflictuels entre une partie de la jeunesse et la police. Si une telle coagulation se produit, cela représentera un grand danger pour le pouvoir politique en place et un foyer de tensions important dans la société.

 

1 — Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), durant les huit semaines du confinement, on a assisté en France à la destruction de 620.000 emplois, essentiellement des CDD et contrats d'intérim. Retourner à l'article

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