Égalités / Société

Anne Soupa relance le débat sur la place des femmes dans l'Église

L'Église catholique est-elle encore capable de se mettre à jour, de converser avec le monde d'aujourd'hui?

Postuler à l'archevêché de Lyon représentait pour la théologienne féministe un symbole. | Gilou60 <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Anne_soupa.JPG">via Wikimedia Commons</a>
Postuler à l'archevêché de Lyon représentait pour la théologienne féministe un symbole. | Gilou60 via Wikimedia Commons

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Le 25 mai, la théologienne et bibliste Anne Soupa, cofondatrice de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones, déclarait sa candidature à l'archevêché de Lyon, lequel est vacant depuis la démission du cardinal Barbarin, ébranlé par les scandales des couvertures accordées au prêtre Bernard Preynat par ses prédécesseurs, même si in fine la justice l'a exonéré de ce délit. En fournissant son CV, son programme et un communiqué au nonce, elle souhaitait faire prendre conscience «qu'un autre visage de l'Église est possible».

Bien entendu, cette candidature n'a aucune chance d'aboutir mais elle pose avec un coup d'éclat une question que l'Église catholique ne parvient pas à affronter sérieusement: celle de la place et du rôle des femmes.

Si Anne Soupa candidate pour Lyon, c'est qu'elle y a vécu et qu'elle a reçu le soutien de l'association La Parole Libérée regroupant les victimes de Preynat, et qu'elle pense que cela a «du sens».

Elle aurait pu postuler à d'autres évêchés libres, comme Nantes ou Saint-Claude. Mais l'archevêque de Lyon porte aussi le titre prestigieux de primat des Gaules car le diocèse rhodanien est le premier siège épiscopal créé en Gaule. Y postuler représentait donc pour la théologienne féministe un symbole.

D'où vient cette obstruction faite aux femmes?

La procédure de nomination d'un évêque, menée par le nonce apostolique (l'ambassadeur du pape), est relativement obscure sinon dans la procédure, du moins pour le choix final, après enquête auprès du clergé, des évêques, de laïcs. L'enquête achevée, il soumet à la Congrégation pour les évêques une liste de trois noms appelée «terna». C'est parmi ces trois clercs que le pape choisit généralement l'évêque, souvent le premier de liste. L'heureux élu –si l'on peut dire– est convoqué par le nonce qui l'informe de sa nomination. Bien sûr, cela n'empêche pas l'intrigue, et certains prêtres ne cachent pas leurs ambitions.

En principe pourtant, personne ne doit candidater à ce poste: le choix est considéré comme un appel de Dieu. Personne ne connaît non plus les motifs profonds du nonce pour établir sa terna. Par exemple, est-ce les qualités personnelles des candidats qui priment ou leur esprit de soumission, voire leurs opinions politico-religieuses? Ici, Anne Soupa, avec sa candidature, a décidé de contourner cette procédure en présentant une profession de foi. Ce terme employé par les politiques lors des élections a, dans l'Église, un sens particulier: il signifie proclamer ouvertement la foi de l'Église, le Credo. Sans doute celle qui cofonda avec Christine Pedotti le Comité de la Jupe en 2009, qui milite pour une meilleure représentations des femmes dans l'Église, ne l'a-t-elle pas choisi au hasard.

Mais il y a une difficulté de taille. La candidate n'est pas ordonnée, c'est une laïque et surtout une femme, ce qui est rédhibitoire dans l'Église pour exercer cette charge. En effet, seuls les hommes célibataires, ordonnés prêtres, peuvent être nommés évêques par le pape, comme l'indique le Code de droit canonique de 1983 (c. 375 § 1). Les femmes sont exclues de l'exercice des ministères ordonnés (c'est-à-dire services ou fonctions de prêtre et d'évêque) depuis la naissance du christianisme.

Les diacres représentent le niveau en dessous, d'une certaine manière, dans les fonctions ordonnées. Là aussi, les femmes en sont écartées alors que des recherches historiques évoquent l'existence de diaconesses dans les premiers temps de l'Église (en Syrie au IIe siècle). Après l'échec d'une première commission sur les diacres féminins, le pape François en a récemment institué une nouvelle afin d'étudier ce sujet une fois encore et, partant, renouer éventuellement avec cette tradition.

Derrière cette obstruction faite aux femmes pour accéder aux ministères, il y a des constructions historico-théologiques devenues peu crédibles: ainsi, on allègue que Jésus Christ a choisi douze apôtres hommes; le prêtre (et donc l'évêque) agit à la messe comme un autre Christ, or le Christ était un homme; l'Église n'a jamais ordonné des femmes prêtres ou évêques, mais uniquement des hommes; le pape Jean-Paul II a définitivement fermé la voie d'accès des femmes aux ministères en 1994 dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis; la femme doit prendre pour modèle la Vierge Marie, vierge et mère, servante du Seigneur et de l'Église... Autrement dit, on essentialise totalement, pour les besoins de la cause, ce qui relevait des contingences historiques du temps de Jésus.

Quelques avancées, beaucoup de freins

La candidature d'Anne Soupa, qui ne se fait aucune illusion sur ses chances de nomination, a donc valeur de symbole à plus d'un titre; ses soutiens sur les réseaux sociaux y voient même un acte «prophétique». La place des femmes dans l'Église est, il faut bien l'admettre, un véritable scandale. Souvent, elles sont réduites à des rôles subalternes (fleurissement et nettoyage des églises, secrétariat de M. le curé) alors qu'elles portent des paroisses à bout de bras, et le clergé peine à leur confier de véritables responsabilités.

Dans certains diocèses, des évêques audacieux ont nommé des femmes dans leur conseil épiscopal, ou comme économe diocésaine, ne se voyant pas se couper de la moitié de l'humanité. En Suisse, l'évêque de Lausanne-Genève-Fribourg vient même de nommer une déléguée épiscopale pour la partie germanophone du canton de Fribourg, un poste auparavant dévolu à un prêtre puisque «les fonctions [sont] attachées à un office ecclésiastique».

Mais la plupart rechignent ou hésitent à aller dans ce sens. Pourtant, le pape François a promu des femmes à des postes élevés, en nommant par exemple Francesca Giovanni sous-secrétaire de la Section pour les relations avec les États (soit vice-ministre des Affaires étrangères du Vatican) le 16 janvier dernier. Il a aussi reconnu que des religieuses avaient servi d'«esclaves sexuelles» au clergé.

Le pape argentin sait que les femmes sont méprisées dans l'Église, et notamment à Rome. Anne Soupa profite donc du débat actuel sur la place des femmes au sein de l'Église pour «ouvrir la porte pour d'autres après [elle]»; elle pousse même les femmes à «candidater partout où elles se sentent appelées».

Une question à traiter sérieusement

Malgré tout, la question se pose: fallait-il candidater à ce poste-là pour donner une autre visibilité de la femme dans l'Église? En Allemagne, la conférence épiscopale réfléchit sérieusement à confier la fonction de secrétaire/porte-parole à une femme, décidant ainsi de mettre un pied dans la porte sans froisser Rome. De fait, nul besoin d'être clerc pour être porte-parole. En France, après la démission le 11 mai du porte-parole de la Conférence des évêques de France (CEF), le prêtre Thierry Magnin, la place est vacante –selon nos sources, il est sur le point d'être remplacé par le vicaire général du diocèse de Nanterre, le père Hugues de Woillemont, 50 ans.

Si elle avait brigué cette fonction, aurait-elle eu des chances? Sans doute pas, en raison de son âge (73 ans) et de ses positions ecclésiales, le poste requérant un profil plus centriste. Mais une telle demande aurait assurément embarrassé la CEF: il aurait été difficile d'affirmer qu'une femme ne puisse pas devenir porte-parole en raison de son sexe.

En attendant, cette candidature pose une nouvelle fois la question de la place des femmes dans l'Église, alors que partout leur marche vers l'égalité avec les hommes pour d'innombrables fonctions est devenue une cause essentielle et qu'en Occident, elles sont incontournables dans les paroisses. La question des femmes, si elle était sérieusement traitée, montrerait que l'Église catholique est encore capable de se mettre à jour, de converser avec le monde.

En cas contraire, elle creusera encore plus profondément le fossé qui la sépare des sociétés et son déclin sera encore plus inéluctable. C'est donc un défi que lance Anne Soupa à l'Église: l'avenir dira si elle a choisi la bonne stratégie pour l'obliger à répondre.

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