Culture

15 séries télé malheureusement passées inaperçues

Parfois éclipsées par les plus gros succès de ces dernières années, elles méritent toute votre attention.

Amy Adams et Patricia Clarkson dans <em>Sharp Objects.</em> | Capture d'écran <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DgljcMqPG98">via YouTube</a>
Amy Adams et Patricia Clarkson dans Sharp Objects. | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 11 minutes

Vous l'avez peut-être remarqué: il y a trop de séries. C'est ce qu'on appelle souvent la «Peak TV», un concept formulé pour la première fois en 2015 par John Landgraf, ancien président de la chaîne américaine FX. Selon lui, la production de séries, exponentielle, était à l'époque en train d'atteindre son «pic» (merci de n'insérer aucune blague sur le coronavirus).

Mais ses mots prophétiques ont pris un nouveau sens année après année, lorsque l'on a réalisé que le pic était loin d'être atteint, et que le nombre de séries ne cessait d'augmenter. À tel point qu'on parle désormais de «too much TV», littéralement: trop de télé. En 2015, quelque 400 séries originales étaient diffusées. L'année dernière, il y en avait 532.

Dans ce déluge de nouveaux programmes, certains se sont démarqués du lot, que ce soit pour leur qualité, leur casting de stars, leur concept original ou leur patine prestigieuse: tout le monde a entendu parler de Big Little Lies, Fleabag, Atlanta, The Good Place, Succession ou The Handmaid's Tale. Mais entre ces projets qui ont attiré toute l'attention de la critique et du public, certaines excellentes productions ont parfois glissé entre les lames du parquet. Voici celles qui valent vraiment le détour.

«Crashing»

Sortie seulement quelques mois plus tôt, l'autre série de Phoebe Waller-Bridge a été complètement engloutie par le succès critique et populaire de Fleabag. C'est bien dommage, car si elle n'atteint pas forcément les mêmes sommets d'introspection et de finesse, Crashing reste une des comédies les plus réjouissantes de ces dernières années, avec un triangle amoureux parfaitement maîtrisé et un brillant sens de l'humour.

On y suit six jeunes Britanniques qui vivent dans un ancien hôpital désaffecté, en échange d'un faible loyer. Phoebe Waller-Bridge, créatrice et scénariste, incarne Lulu, nouvelle arrivante qui vient semer le trouble dans le groupe –plus spécifiquement dans le couple principal. La série n'a eu droit qu'à six courts épisodes, mais on y sent déjà tout le talent de la Britannique pour créer en très peu de temps une galerie de personnages psychologiquement complexes, et des enjeux narratifs aussi simples que saisissants.

 

 

Disponible sur Canal VOD.

«Halt and Catch Fire»

Qui dit Peak TV dit séries d'époque: après l'excellente Mad Men (2007-2015) et sa relecture des sixties sont venues beaucoup d'autres séries inspirées par l'histoire du XXe siècle. Parmi les meilleures, on compte The Americans, mais aussi la moins connue Halt and Catch Fire. La série de Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers raconte l'amitié et la collaboration professionnelle d'une poignée de personnages au cœur de la révolution tech des années 1980. Sur une dizaine d'années, les protagonistes seront témoins et acteurs de grands bouleversements technologiques comme l'arrivée du PC, le marché du jeu vidéo, ou encore l'invention des moteurs de recherche.

Après une première saison inégale, la série s'est envolée créativement. Elle réussit à explorer avec une exactitude psychologique époustouflante les difficultés dans les partenariats professionnels et intimes de ses personnages: les rivalités, l'ambition dévorante, mais aussi le sexisme omniprésent dans l'industrie. Étude fascinante sur cette époque pas si lointaine (inspirée par les destins de plusieurs vrais entrepreneurs), HACF est aussi et surtout une des plus fortes histoires d'amitié du petit écran.

 

 

 

Première saison disponible sur YouTube.

«The Deuce»

Peak TV ou pas, les séries de David Simon ont toujours subi la même malédiction: ignorées par le grand public lors de leur diffusion, elles sont révérées par la critique, et pour les plus chanceuses, explosent en popularité quelques années plus tard, à l'instar de The Wire. Mais il est surprenant que sa série au casting de stars (Maggie Gyllenhaal, James Franco), sortie en 2017, ait connu le même sort.

The Deuce s'intéresse à l'essor de la pornographie à New York dans les années 1970, de ses débuts dans le caniveau de Times Square, fréquenté par les macs et les prostituées, à son expansion dans le milieu plus respectable d'Hollywood (et quelques décennies plus tard, sa disparition au profit d'internet). La série suit en particulier le destin de plusieurs prostituées, macs, mafieux et patrons de bars travaillant dans ce quartier alors insalubre de New York. Comme toutes les séries de David Simon, celle-ci brille par la finesse de ses observations sur la nature humaine, la beauté de ses dialogues naturalistes et l'ambivalence poignante de ses personnages, qui tentent tous d'une manière ou d'une autre de survivre face à un système qui les exploite. C'est aussi peut-être la série la plus féministe du créateur, focalisée tout particulièrement sur le sort des femmes et la manière dont l'industrie les a broyées.

 

 

 

Disponible sur OCS.

«Pen15»

L'un des gros avantages de la production démentielle de séries ces dernières années, c'est la surenchère de créativité et de points de vue différents que l'on voit apparaître à l'écran. La Peak TV a en effet donné naissance à beaucoup de séries dites d'auteurs, mais surtout d'autrices, qui expriment à travers leurs œuvres une vision unique et très personnelle. C'est le cas de Maya Erskine et Anna Konkle, et sans la Peak TV, un ovni comme Pen15 n'aurait peut-être jamais reçu le feu vert.

Dans cette comédie, les deux créatrices trentenaires incarnent deux collégiennes de 13 ans, en s'inspirant de leurs propres expériences adolescentes. Un postulat de départ absurde qui fonctionne pourtant à merveille, grâce au charme des deux femmes et à l'écriture précise et souvent bouleversante de la série. Située dans les années 1990, Pen15 est un vrai shot de nostalgie pour toutes celles et ceux qui ont connu les vieux modems ADSL et les stylos de gel à paillettes. C'est aussi une des meilleures explorations de la préadolescence féminine, de la découverte de la masturbation aux relations mère-fille parfois semées d'embûches. Et surtout, c'est très drôle.

 

 

 

Disponible sur Canal+.

 

«Better Things»

Il serait facile, en regardant Better Things, de sous-estimer son génie. Chaque scène coule avec une telle aisance, et les actrices ont une telle alchimie, qu'on a l'impression d'être directement tombé dans le quotidien de cette mère célibataire et ses trois filles. Pourtant, il s'agit bien de la création de Pamela Adlon, actrice, réalisatrice et scénariste principale de la série. Dans cette dramédie auteuriste, elle y incarne Sam Fox, débordée par son rôle de parent, et dont les méthodes d'éducation sont souvent aussi douteuses qu'hilarantes. Mais malgré le caractère bien trempé de Sam et de ses filles, et leurs fréquents coups d'éclat, la série ne laisse jamais aucun doute sur l'amour immense que partagent les quatre femmes.

En 2017, les accusations de harcèlement sexuel concernant Louis C.K., cocréateur de la série, ont malheureusement terni l'image de cette dernière. Mais depuis que Pamela Adlon a repris les rênes seule, Better Things n'a cessé de se surpasser, avec une écriture et une réalisation qui s'éloignent de plus en plus des codes narratifs traditionnels et créent une expérience de visionnage parfois presque surréaliste. Une preuve, s'il en fallait, que la vie domestique est un sujet aussi noble que les autres.

 

 

 

Disponible sur Canal+.

«Easy»

L'essor de la Peak TV a aussi vu se développer le format de la série d'anthologie, où chaque saison voire chaque épisode raconte une histoire indépendante du reste. C'est ce qu'a tenté avec Easy le réalisateur Joe Swanberg, connu pour son implication dans le mouvement cinématographique du mumblecore (des films axés sur l'improvisation et une intrigue minimaliste).

Sa série se compose de saynètes qui, chacune à sa manière, explorent la notion de l'amour moderne. Couple, célibat, trouple, dating, adultère, mais aussi amitié, famille et partenariats professionnels: tous les types de relations y sont finement observés et disséqués. Contrairement à d'autres anthologies, Easy a créé la surprise en faisant revenir certains personnages récurrents, et en nous permettant de suivre, au rythme de quelques épisodes disséminés dans chaque saison, l'évolution de leur couple. Une série qui parle de sexe, d'intimité et de communication, avec une franchise et une justesse à couper le souffle.

 

 

 

Disponible sur Netflix.

«Servant»

On ne peut pas dire que la plateforme de streaming d'Apple, lancée fin 2019, ait recueilli un vrai succès populaire, à part pour sa série The Morning Show et son impressionnant casting de stars (Reese Witherspoon, Jennifer Aniston et Steve Carell). On lui préfère pourtant Servant, superbe thriller horrifique sur un couple et la nouvelle baby-sitter étrange qu'il vient d'embaucher.

Créée par Tony Basgallop, avec un premier épisode réalisé par M. Night Shyamalan lui-même, la série crée une atmosphère glaçante et révèle de nouvelles facettes de son intrigue épisode après épisode, avec un sens du suspense et du plot twist parfaitement maîtrisé. Difficile d'en dire plus sans gâcher le plaisir, mais si les histoires de maternité tordue ne vous font pas peur, lancez-vous.

 

 

 

Disponible sur Apple.

«Sorry for Your Loss»

Lorsque Facebook, à l'instar d'Amazon et d'autres plateformes numériques, s'est lancé dans la production de séries, le scepticisme était palpable, et l'habitude de consommer des séries sur le réseau social ne semble pas encore s'être démocratisée. Pourtant, Sorry for Your Loss, une de ses premières productions, était une vraie réussite (la série vient d'être annulée après deux très bonnes saisons). Elle raconte principalement le deuil de Leigh (une Elizabeth Olsen bouleversante), une jeune femme qui vient de perdre son mari. Ses épisodes, surtout les premiers, contiennent donc des moments d'émotion brute, abordant frontalement un sujet qui reste encore traité de façon secondaire ou métaphorique (comme The Leftovers) dans les séries.

Grâce aux commentaires activés sous les épisodes, la série a rassemblé une communauté de téléspectateurs et téléspectatrices endeuillées, qui pouvaient échanger sur les épisodes ainsi que sur la manière dont ils faisaient écho à leur expérience personnelle. Une superbe série que l'on aurait pu suivre pendant encore longtemps.

 

 

 

Disponible sur Facebook.

«The Terror»

Depuis l'électrochoc causé par la première saison d'American Horror Story (2011), les séries horrifiques sont de plus en plus présentes sur nos écrans. Mais peu arrivent à la cheville de The Terror, série d'anthologie qui revisite des faits historiques en leur ajoutant un twist surnaturel et horrifique. Dans sa première saison exemplaire, la série raconte la disparition en Arctique de deux navires d'explorateurs, au XVIIIe siècle.

Personne n'a jamais su ce qui était arrivé à l'équipage, mais en se basant sur le roman du même nom écrit par Dan Simmons, The Terror nous plonge dans les dernières semaines imaginées de ces marins coincés dans la glace, à des milliers de kilomètres de toute civilisation. Famine, maladie, froid et paranoïa ont peu à peu raison des explorateurs, et l'on assiste à leur lente descente aux enfers en sachant qu'ils ne sont jamais revenus.

Seul bémol: la deuxième saison, sur un camp d'internement d'Américano-Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, est légèrement moins bonne.

 

 

 

Disponible sur Amazon.

«Search Party»

Encore une série au format si loufoque et unique qu'elle n'aurait sans doute jamais vu le jour il y a dix ans. Search Party raconte comment un groupe de hipsters new-yorkais, tous plus exécrables les uns que les autres, se lance à la recherche d'une connaissance disparue. Search Party est autant un thriller qu'une comédie et s'en tire sur les deux tableaux, en mêlant à ses séquences d'action et de suspense des observations hilarantes et très spécifiques sur la coolitude millennial new-yorkaise. Alia Shawkat, dans le rôle principal, est excellente, mais les performances de John Early, Meredith Hagner et John Paul Reynolds sont révélatoires.

 

 

 

Disponible sur Canal+.

«I Love Dick»

En 2014, Jill Soloway a largement contribué à la démocratisation des histoires queer sur le petit écran avec sa série Transparent, sur une femme trans qui décide d'opérer sa transition à l'âge de la retraite. Mais sa série suivante est tout aussi révolutionnaire.

Adaptée du roman du même nom, I Love Dick suit Chris, une femme insatisfaite qui déménage au Texas pour suivre son mari et développe rapidement une obsession pour le mécène de ce dernier, un certain Dick –incarné par un Kevin Bacon en très grande forme. Avec un female gaze radical, comme on en voit encore rarement à la télé, la série nous plonge dans les fantasmes de son héroïne, dans tout ce qu'ils ont de plus intense, de grisant et d'absurde. À travers une galerie d'autres personnages, I Love Dick explore aussi plus largement la question du désir, sexuel comme émotionnel. Une des meilleures séries sur la sexualité féminine.

 

 

 

Disponible sur Amazon.

«The Girlfriend Experience»

Dès 2014, Steven Soderbergh a mis son amour pour l'expérimentation au service de la télé, avec sa superbe série The Knick. Il confirmait ainsi une des grandes tendances de la Peak TV: l'implication croissante des cinéastes dans le monde de la télévision. Quelques années plus tard, son influence s'est fait sentir dans une autre série: The Girlfriend Experience, produite par Soderbergh et inspirée par un de ses propres films. Dans cette superbe série-thriller à l'atmosphère unique, les cocréateurs Lodge Kerrigan et Amy Seimetz s'intéressent à la marchandisation du sexe, à travers un personnage d'escort girl joué par la magnétique Riley Keough.

Pour la deuxième saison, le créateur et la créatrice vont encore plus loin dans l'expérimentation, réalisant chacun·e une moitié de saison avec deux histoires complètement déconnectées l'une de l'autre. Deux nouvelles interprétations autour du thème du sexe (surtout de ses aspects les plus sombres et cyniques), et deux nouvelles vitrines pour des actrices de talent: Anna Friel, Carmen Ejogo et Louisa Krause. Le nombre de séries a beau augmenter, pour l'instant, aucune autre n'a réussi à ressembler à cet ovni télévisuel envoûtant.

 

 

 

Disponible sur Amazon.

«Sharp Objects»

En 2017, le cinéaste Jean-Marc Vallée a bouleversé le public et la critique avec Big Little Lies, adaptation d'un thriller de Liane Moriarty sublimée par la réalisation, le montage et l'utilisation de la musique très particulières du Canadien. La série fut un tel succès qu'elle en éclipsa même, dans une certaine mesure, l'autre projet sur lequel le cinéaste travaillait depuis plusieurs années: Sharp Objects –minisérie adaptée cette fois-ci d'un roman de Gillian Flynn, sortie en 2018.

L'histoire suit une journaliste alcoolique, Camille, qui revient dans sa ville natale du Missouri pour enquêter sur le meurtre d'une jeune fille. Avec son esthétique léchée et son casting impressionnant (Amy Adams, Patricia Clarkson), la série avait tout pour être un autre gros succès de la Peak TV. Mais son sujet très sombre et la violence de certaines de ses images ont peut-être rebuté une partie du public. Pourtant, celles et ceux qui ont vu Sharp Objects vous le diront: il s'agit d'une œuvre télévisuelle obsédante, faite de visions indélébiles (son dernier plan, entre autres, vous restera longtemps en mémoire), et d'une atmosphère moite qui colle à la peau.

Contrairement à la plupart des programmes centrés autour d'un féminicide, Sharp Objects dévoile aussi, épisode après épisode, un propos très fort sur la violence misogyne, les stéréotypes de genre et les attentes de la société envers les femmes. On ne peut pas en dire plus sans spoiler, mais une chose est sûre, cette série mérite votre attention.

 

 

 

Disponible sur OCS.

«Wayne»

Annulée après sa première saison, cette série YouTube était pourtant une des plus réjouissantes de ces dernières années. On y suit la rencontre entre Wayne, un ado marginal et prompt aux accès de violence, et Del, une jeune fille tout aussi paumée et en manque d'amour que lui. Las de leur existence déprimante dans un bled du Massachusetts, les deux ados se lancent dans un road trip déjanté vers la Floride, rythmé par de nombreux actes de violence et une bande-son hard rock absolument parfaite.

Certes, la série est sortie presque au même moment que The End of the Fucking World, programme britannique à l'intrigue très similaire. Mais on préfère clairement cette version, beaucoup plus fun et cathartique. Créée par Shawn Simmons et produite par les scénaristes de Deadpool, Wayne ne cesse de surprendre avec son ton irrévérencieux et ses rebondissements aussi gores que politiquement incorrects. Elle cache aussi un grand cœur, avec ses jeunes personnages abîmés qui ont juste besoin d'un peu d'affection, et nous livrent une romance digne de Bonnie and Clyde.

 

 

 

Disponible sur YouTube.

«Catastrophe»

Cette comédie britannique est tout simplement une des meilleures créations de la décennie qui vient de s'écouler. Pourtant, elle reste moins connue que des cartons américains comme Veep, Brooklyn Nine Nine ou The Good Place. Créée, écrite et incarnée par Rob Delaney et Sharon Horgan, Catastrophe met en scène un Américain et une Irlandaise qui se rencontrent pour un coup d'un soir, et lorsque cette dernière tombe enceinte, décident contre toute attente d'élever l'enfant ensemble.

Très politiquement incorrecte, cette comédie expose brillamment tous les pires travers de la vie de couple. Mais paradoxalement, plus Rob et Sharon sont vicieuses et détestables, plus on se prend à les aimer et à croire en la force de leur relation. Une série hilarante et délicieusement cynique qui, contre toute attente, vous redonnera peut-être foi en l'amour.

 

 

 

Disponible sur Canal+.

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