Monde

Au Venezuela, le Covid-19 sonne le signal du retour au pays

Frappées durement par le confinement dans les pays où elles se sont réfugiées, des dizaines de milliers de personnes n'ont d'autre choix que de rentrer, par tous les moyens.

Des migrant·es vénézuelien·nes protestent le 20 mai 2020 devant une gare routière de Medellín en Colombie dans l'espoir de prendre un bus qui leur permettrait de traverser la frontière. | Joaquin Sarmiento / AFP
Des migrant·es vénézuelien·nes protestent le 20 mai 2020 devant une gare routière de Medellín en Colombie dans l'espoir de prendre un bus qui leur permettrait de traverser la frontière. | Joaquin Sarmiento / AFP

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«La première semaine d'avril, j'ai décidé de rentrer au Venezuela, coûte que coûte. […] Je vendais de la nourriture sur un chariot ambulant, et des amis [qui repartaient eux aussi pour le Venezuela] m'ont offert un vélo et quelques trucs en échange de ma cuisine mobile, qu'ils voulaient utiliser comme remorque pour leurs valises. Je me suis lancé le défi de vendre les choses qu'ils m'avaient données, pour récupérer un peu d'argent et partir avec eux le lendemain matin. On était le 6 avril. À 15 heures, je n'avais toujours rien vendu [...] lorsqu'une dame m'a écrit pour me dire qu'elle m'achetait tout pour 80.000 pesos colombiens [19 euros]

Le 13 mai, Daniel Loggiodice, 22 ans, a raconté dans une publication Facebook partagée plus de 39.000 fois son voyage de 700 km en vélo (à raison de 60 km par jour) entre la ville colombienne de Montería et son pays natal, le Venezuela. Un choix qui s'est imposé de lui-même, nous explique-t-il: «À cause du virus, la Colombie a déclaré le confinement et je ne pouvais plus travailler. J'utilisais tout l'argent que j'avais pour me nourrir, je n'avais plus de quoi payer mon loyer, alors au lieu de m'endetter, j'ai décidé de revenir.»

D'après l'ONU, depuis 2015, 4 millions de Vénézuélien·nes ont fui leur pays, frappé·es par les pénuries de toute sorte, et se sont disséminé·es à travers l'Amérique latine. Pour la plupart, ces personnes vivent de petits boulots, souvent dans l'économie informelle (en vendant des marchandises dans la rue, par exemple). Ces migrant·es sont aujourd'hui parmi les premières victimes des mesures de confinement prises pour combattre la pandémie de Covid-19, et de la Colombie jusqu'au Chili, beaucoup se retrouvent sans toit.

On se souvient des images impressionnantes du pont international Simón Bolívar rempli de Vénézuélien·nes marchant en direction de la Colombie, à la recherche de cieux plus cléments.

Des migrant·es fuyant le Venezuela près du pont Simón Bolívar à Cucuta en Colombie le 1er mai 2019. | Schneyder Mendoza / AFP

Aujourd'hui, elles et ils sont légion à le traverser dans l'autre sens et à voir l'entrée du pays qu'elles et ils fuyaient autrefois comme un soulagement après un dur voyage. Ces gens qui rentrent représentent toutefois une infime portion de ceux qui ont émigré, même s'il est difficile d'obtenir un décompte clair: au début du mois de mai, le directeur de Migración Colombia, l'autorité en charge des contrôles migratoires, avançait le nombre de 45.000. Deux semaines auparavant, le maire de Cúcuta, la ville frontière colombienne, estimait pour sa part qu'il y avait déjà 50.000 personnes à avoir emprunté le pont dans le sens ouest-est.

En bus, en avion, à vélo, à pied

«L'autre jour, j'ai croisé six Vénézuéliens qui marchaient dans la rue avec leurs bagages et deux enfants de 2 ans. Ils venaient de Lima, ils m'ont dit qu'ils étaient partis il y a 13 jours et qu'ils comptaient bien se rendre au Venezuela», raconte Carlos Alvarez, un ressortissant du pays de Hugo Chávez qui vit à Trujillo, dans le nord du Pérou. Une expédition qui n'est pas sans risques: le 1er mai, trois marcheurs vénézuéliens sont morts happés par un camion alors qu'ils prenaient une pause le long d'une route péruvienne.

Pour canaliser ces migrations en temps de pandémie (et éviter qu'elles participent à la propagation du coronavirus), de nombreuses caravanes d'autocars ont été organisées par les administrations des grandes villes de Colombie, comme Bogotá, Medellín ou Cali dès le début du mois d'avril. Le gouvernement de Nicolás Maduro organise également quelques vols humanitaires pour rapatrier des sans-abri de partout sur le continent. Mais le jeune Daniel Loggiodice a renoncé à ces options: «Les listes d'attente sont très longues, et cela implique de se rendre dans une de ces villes à vélo, parce qu'il n'y a aucun moyen de transport qui circule en Colombie en ce moment. Ensuite, il faut dormir dans la rue jusqu'à la date de départ.»

Dans l'attente d'un avion ou d'un bus, ces candidat·es au retour n'ont d'autre choix que d'improviser des campements dans la rue. | Joaquin Sarmiento / AFP

Quitte à faire de la bicyclette et dormir dehors, Daniel a donc jugé que c'était mieux de le faire jusqu'à la frontière. Ce ne fut pas de tout repos pour lui et ses quatre compagnons de voyage: les roues de la cuisine roulante ont vite lâché, à tel point qu'il a fallu l'abandonner au bord du chemin et porter les bagages sur le dos. Leurs vélos bons marché ont connu des ennuis techniques à répétition. Ils ont dormi où ils ont pu, la plupart du temps dehors, se faisant parfois héberger gratuitement. Des bonnes âmes leur ont offert à manger. «Les gens les plus humbles nous tendaient la main, alors que ceux qui ont de l'argent nous ignoraient», écrit Daniel.

L'arrivée au Venezuela le stressait un peu, car il avait entendu des rumeurs inquiétantes. L'agence Reuters a rapporté que 500 migrant·es de retour étaient entassé·es dans un lycée transformé en refuge improvisé, sans eau potable, les hommes devant dormir directement sur le sol. «En arrivant, ils nous ont fait un test rapide, négatif dans mon cas. J'ai dormi une nuit à la station de bus, puis j'ai été transféré dans une école avec plus de 100 personnes, on nous a placés dans des salles en groupes de vingt-huit. On dormait à deux personnes sur chaque matelas. On avait trois repas par jour, il y avait suffisamment d'eau pour se laver. Ce n'était pas les meilleures conditions, mais pas non plus les pires. On nous a bien traités, toujours avec respect.»

Après quatre jours dans cet endroit, Daniel a été transféré par bus vers sa ville, Maracay, où il a dû passer deux semaines de plus en quarantaine dans un refuge, cette fois-ci avec un lit pour lui seul. À la fin de cette période, autre test, toujours négatif, et enfin la possibilité de retourner voir sa famille après un mois sur la route, et deux ans d'exil.

Pas vraiment le bout du tunnel

Sur place, les problèmes ne sont toutefois pas terminés pour toutes ces personnes de retour. Dans les derniers mois, la république bolivarienne a poursuivi sa chute: bien qu'elle soit assise sur les premières réserves de pétrole prouvées au monde, sa production s'est littéralement effondrée faute d'investissements, et doit de plus faire face à des cours historiquement bas, sans oublier les sanctions américaines qui provoquent une situation de pénurie. Devant les quelques stations-services qui vendent encore de l'essence, les files d'attente s'allongent. Les coupures de courant sont de plus en plus fréquentes, et même l'eau courante vient à manquer, ce à quoi le gouvernement remédie en livrant de l'eau par camions-citernes dans les zones les plus affectées. Lassés d'attendre avec leurs bidons, des gens en viennent à aller puiser l'eau à la rivière, voire à creuser eux-mêmes des puits.

Une bonne nouvelle toutefois: les pénuries de nourriture se font beaucoup moins sentir ces temps-ci, du fait de l'utilisation massive du dollar américain, qui permet de stabiliser l'économie et contenir l'hyperinflation (plus de 9.500% en 2019, selon la banque centrale), en plus de relancer les importations de marchandises. Les billets verts proviennent de comptes que les Vénézuélien·nes avaient à l'extérieur du pays, mais aussi du narcotrafic et des envois d'argent des personnes exilées. «La population a en quelque sorte dollarisé elle-même l'économie, avance Daniel. En ce moment, on trouve toute sorte de nourriture, partout.» Pas mécontent de voir son peuple souffler un peu, le gouvernement tolère le dollar, qui représenterait aujourd'hui plus de la moitié des transactions.

Mais le Covid-19 risque de démolir cette fragile reprise économique. Bien que Nicolás Maduro assure que son pays a contenu la maladie, il a décrété un mois de confinement supplémentaire le 12 mai. Pour tou·tes les Vénézuélien·nes, qu'elles et ils soient de retour ou ne soient jamais parti·es, le voyage en eaux troubles est loin d'être terminé.

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