Société

Non mais franchement, est-ce que j'ai une tête à porter un masque?

[BLOG You Will Never Hate Alone] Depuis que je porte un masque, je ne me reconnais plus.

Je sens que mon potentiel érotique est à la hausse. | Amin Moshrefi <a href="https://unsplash.com/photos/bce4M2hGEiA">via Unsplash</a>
Je sens que mon potentiel érotique est à la hausse. | Amin Moshrefi via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes

Ah, les masques... que serait cette pandémie sans eux? Comment les mettre? Comment les porter? Comment les laver, les sécher, les laisser reposer? Quand en changer? Quelles sortes en acheter? Les masques FFP2. Les masques en vente dans les commerces. Ceux faits à la maison. Sont-ils nécessaires, obligatoires, indispensables? Les masques, les masques, les masques... nouvel enjeu de civilisation.

Dire qu'il y a encore peu, nous pouvions aller gais et insouciants, la gueule grande ouverte, prompte à recevoir microbes, virus, bactéries sans se douter un seul instant de leur caractère nocif. Nous étions jeunes, nous étions beaux, nous avions la vie devant nous, et c'est en toute liberté que nous laissions nos crachats et notre salive jaillir de nos bouches. Aujourd'hui, il faut marcher au pas, respecter les distances de sécurité et porter un masque, quitte à mourir étouffé.

J'ignore comment font les gens pour aller des heures durant le visage couvert d'un masque. Moi, au bout de deux minutes, j'ai déjà envie de m'étrangler. Au bout de cinq, je suis blanc comme un cierge de Pâques; dix minutes plus tard, me voilà titubant au milieu du trottoir le regard hagard, la bouche sèche, les joues blêmes. Passée la demi-heure, je ne réponds plus de rien et je vais dans la ville comme un fantôme, prêt à rentrer dans la première église venue pour recevoir les derniers sacrements.

Un chapeau vissé sur le crâne, les lunettes de soleil juchées sur le nez, les écouteurs nichés au creux de mes oreilles, le masque appliqué sur ma bouche, je suis une forteresse à moi tout seul –un Fort Boyard imprenable. Il ne me manquerait plus que de tenir à la main une quelconque hallebarde pour sentir pousser en moi des pulsions guerrières, tel un chevalier du Moyen Âge en route pour les croisades. D'ailleurs, à mon passage, les passants s'écartent ou changent de trottoir. J'en ai même vu qui derrière leur masque priaient le ciel que je les épargne.

J'aime tellement porter un masque que même rentré à la maison, je continue de le porter. Je me trouve follement attirant, plein d'un charme fou avec ces yeux mystérieux qui émergent de mon visage camouflé, où l'arête très prononcé de mon nez lui confère une apparence d'autorité. J'ai l'air martial, presque bestial, infiniment animal. On dirait Delon dans Le Samouraï. Je suis énigmatique. Un vrai fauve. D'ailleurs, mon chat me reconnaît à peine et quand de ma voix étouffée, je lui dis: «Ce n'est que moi, imbécile», il dresse ses oreilles comme s'il venait d'entendre l'appel du 18 juin.

Nous sommes tous égaux devant le masque. Les physiques avantageux ne peuvent plus exhiber leurs atours avenants, leur sourire enjôleur, leurs lèvres fines, leur dentition parfaite. C'est la revanche des sans-dents, des joufflus du menton, des orgueilleux des narines. Moi-même, je sens que mon potentiel érotique est à la hausse.

Je n'hésite plus à aborder un visage inconnu et comme mes paroles meurent dans la triple épaisseur de mon masque maison, il suffit d'un regard attendri pour faire naître le désir. Oui, il faut en convenir: depuis l'apparition des masques, les femmes me regardent à nouveau et je ne compte plus les sourires qu'en secret, au revers de leur masque, elles m'envoient.

Cependant, dans ma gestion du masque, j'ai encore des lacunes. Ainsi l'autre jour, dans l'escalier, au moment de croiser ma voisine de palier, voulant la saluer, au lieu d'ôter mon chapeau, j'ai par mégarde saisi mon masque et d'un geste ample l'ai remonté sur toute la hauteur du visage, si bien que n'y voyant goutte, j'ai trébuché sur la marche et me suis effondré de tout mon long sur ma voisine –je descendais les escaliers, elle les remontait–, qui les mains pleines de sacs de farine n'a pas eu le temps de me réceptionner. Tous les deux, nous avons chuté jusqu'au deuxième étage, où à peine remis de nos émotions, nous avons tous les deux réajusté nos masques avant de poursuivre chacun son chemin.

Pour mieux apprendre à communiquer et à me faire comprendre, j'ai décidé de m'initier à la langue des signes; quoi de mieux pour épargner à mon interlocuteur des postillons qui se seraient émancipés de la protection de mon masque? Je suggère que désormais, dans l'espace public, la langue des signes devienne obligatoire. L'on tient désormais pour certain que le simple fait de parler puisse permettre au virus de circuler.

Autant se taire et communiquer par signes.

On y gagnerait en sécurité et en tranquillité d'esprit, et les commerces de nos villes seraient comme des oasis de douceur où à nouveau, on pourrait dialoguer sans s'user les oreilles à comprendre ce que l'autre, dans la touffeur de son masque, a bien pu vouloir dire: «Je voudrais un crottin de Chavignol, s'il vous plaît»«Un potin des Batignoles? Connais pas. De quelle région c'est ça, comme fromage?».

D'ailleurs, parler derrière son masque est dangereux pour la santé. Non seulement on risque de transmettre le virus, mais on risque de décéder à tout moment d'un arrêt cardiaque.

Déjà que sans même parler, nos poumons sont à l'agonie comme si nous venions de courir un cent mètres dans un sauna, le moindre effort supplémentaire, comme d'articuler: «Vous n'auriez plus de farine d'épeautre, par hasard?», risque de porter au cœur un coup fatal. Et comme d'enlever un masque au milieu d'une conversation est désormais passible de la peine de mort, je suggère à tous de fermer nos grandes gueules.

C'est bien connu, les grandes douleurs sont toujours silencieuses.

Pour suivre l'acutalité de ce blog, c'est par ici: Facebook-Un Juif en cavale

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