Santé

Faut-il se préparer à un stress post-traumatique après le confinement?

Des médecins redoutent une multiplication de troubles anxieux, dépressifs et de stress post-traumatiques, ainsi que des complications addictives dues à une détresse intense.

<em>«Le plus inquiétant est le nombre de gens exposés à ces facteurs de stress et susceptibles de développer des complications», </em>selon le Dr Ernouf, psychiatre. | Anthony Tran <a href="https://unsplash.com/photos/i-ePv9Dxg7U">via Unsplash</a>
«Le plus inquiétant est le nombre de gens exposés à ces facteurs de stress et susceptibles de développer des complications», selon le Dr Ernouf, psychiatre. | Anthony Tran via Unsplash

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Huit semaines après sa mise en place, le confinement a pris fin le 11 mai en France. Le gouvernement reste cependant prudent: si le taux de contamination repartait à la hausse, un second confinement serait envisagé.

Pour une bonne partie des millions de Français·es confiné·es depuis le 17 mars, cette date du 11 mai a fait malgré tout l'effet d'une délivrance. «On a l'impression de voir enfin une lumière au bout du tunnel», résume Chloé, 29 ans. Confinée seule dans son petit appartement depuis le début de la crise, elle a senti sa santé mentale décliner au fil des semaines. «Au début j'essayais de faire du sport et de la relaxation pour me détendre, mais très vite j'ai fini par prendre des anxiolytiques pour calmer mes angoisses.»

Augmentation des addictions

Une étude menée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po a constaté une augmentation de 9% de la consommation de médicaments pour lutter contre le stress, l'anxiété ou les insomnies après une semaine de confinement. Parmi les facteurs sous-jacents, on retrouve la peur induite par la menace du Covid-19 et l'ambiance au sein du foyer: plus celle-ci est jugée désagréable, plus il est probable que la consommation de ces produits augmente significativement.

En parallèle, d'après deux enquêtes IPSOS menées fin mars et début avril citées par l'étude, la consommation de boissons alcoolisées a progressé, selon les répondant·es, chez près de 15% d'entre elles et eux. «L'ennui, l'inquiétude pour soi ou pour ses proches, la perte de repères et des liens sociaux rendent le confinement très stressant pour une partie de la population. Les addictions comme l'alcool ont augmenté durant cette période car elles sont utilisées pour pallier les manques de plaisir de la vie quotidienne», explique Anne Giersch, directrice de l'unité Inserm 1114 Neuropsychologie cognitive et physiopathologie de la schizophrénie à l'université de Strasbourg.

Insomnies, perte d'appétit ou crises de boulimie, maux de tête et de ventre, fort besoin d'isolement… Si ces symptômes de détresse psychologique peuvent paraître familiers à beaucoup d'entre nous, peu d'études scientifiques permettent à ce jour de savoir précisément l'impact du confinement actuel sur notre santé mentale, que ce soit sur le court ou le moyen terme. La seule analyse sur laquelle peuvent s'appuyer actuellement les chercheurs et les chercheuses est une revue d'études publiée dans The Lancet en mars 2020, qui reprend vingt-quatre études réalisées dans le cadre de la mise en quarantaine de populations plus réduites et dans des contextes de suspicion de contaminations (telles que les épidémies de SRAS en 2003 ou d'Ebola en 2014).

Risques de stress post-traumatique

Mais cela ne suffit pas pour connaître et anticiper avec précision les effets psychologiques du confinement actuel, ce dernier étant totalement inédit par sa nature et son ampleur. «Extrapoler les résultats de ces études à notre situation actuelle permet de poser des hypothèses intéressantes et solides, mais il convient de rester prudent», insiste le Dr Ernouf, psychiatre en Seine-Saint-Denis à l'hôpital de Ville-Evrard et pour la Fondation santé des étudiants de France. En Chine et en Italie, des équipes de recherche ont également commencé à publier sur le sujet au moment de leurs propres confinement, mais là encore, la recherche est évolutive.

Que ressort-il de ces études? Que les personnes en quarantaine ont présenté pour la majorité des troubles anxieux, des troubles dépressifs, des troubles de stress post-traumatiques (TSPT), ainsi que des complications addictives.

«Dans un contexte d'isolement, il est plus difficile de partager ses émotions négatives et de trouver du soutien.»
Dr Ernouf, psychiatre

Tous ces troubles présentent peu ou prou les mêmes symptômes; la différence étant que ceux du TSPT sont dominés par un syndrome de répétition où le sujet revit l'événement traumatique sous forme de flash-back ou de cauchemars, et que les symptômes peuvent persister plus d'un mois après l'événement traumatique.

«Il est probable que ce confinement en contexte pandémique ait confronté certains sujets à la fois à la peur de mourir (ou de la mort d'un proche), et à une mort venant d'un agent invisible dont il semble impossible de se protéger, donc à un vécu d'impuissance intense. Et cela dans un contexte d'isolement et de solitude, où il est plus difficile de partager ses émotions négatives et de trouver du soutien», avance le Dr. Ernouf. Il ne serait donc pas étonnant que certaines personnes développent des symptômes de TSPT en lien avec des moments de détresse intense vécus pendant le confinement.

Un nombre incalculable de cas

Face à des situations de stress, tout le monde ne part pas sur le même pied d'égalité. C'est ainsi que certaines personnes ont ressenti des angoisses dès les premiers jours de confinement, quand d'autres ont vécu ces huit semaines dans une totale sérénité. «Il y a des vulnérabilités individuelles, liées la génétique, mais aussi à l'histoire personnelle; en particulier la survenue d'autres événements traumatogènes dans le passé qui auraient déjà fragilisé le psychisme», explique le Dr Ernouf.

«Les soignants appelleront à l'aide quand la pression médicale sera retombée et qu'ils pourront souffler. Ils découvriront alors à quel point ils sont épuisés au niveau psychique.»
Catherine Tourette-Turgis, professeure et chercheuse 

Cela étant, le type de trouble, leur intensité ou leur pronostic n'est pas ce qu'il y a de plus préoccupant selon lui, car il existe aujourd'hui des moyens de les soigner. «Le plus inquiétant est le nombre de gens exposés à ces facteurs de stress et susceptibles de développer des complications. Des dizaines de millions de gens ont été confinés et exposés, soir après soir, à l'énumération du nombre de morts à la télévision. Nous ne pouvons qu'alerter sur le nombre de troubles psychiatriques à venir, alors même que les services de psychiatrie souffrent d'un manque de financement chronique depuis des années et que les services sont en sous-effectifs.»

Des populations plus exposées

L'autre sujet alarmant concerne les personnels soignants, identifiés dans les études comme une population à risque en matière de santé mentale. «Les soignants ont travaillé sans limites, sans mesure, en sachant que les procédures utilisées dans le soin en matière de Covid sont des procédures intensives et difficiles d'un point de vue technique», développe Catherine Tourette-Turgis, professeure à Sorbonne Université et chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers. Des dispositifs d'écoute ont bien été mis en place dans de nombreux hôpitaux pour venir en aide à leurs collègues, mais ils sont encore peu utilisés.

La psychologue clinicienne met en garde: «Les soignants appelleront à l'aide quand la pression médicale sera retombée et qu'ils pourront souffler. Ils découvriront alors à quel point ils sont épuisés au niveau psychique. C'est ce qui s'est passé lors des attentats, du SRAS et d'Ebola: c'est quand tout se calme un peu que nos soignants s'effondrent. C'est à ce moment-là que nous devrons prendre soin d'eux.» Cette prévention est d'autant plus importante que l'un des symptômes du TSPT est l'évitement: la victime cherchera à tout prix à contourner les situations qui pourraient lui rappeler son traumatisme. C'est ce qui se passe actuellement en Chine, où les personnels soignants peinent à retourner sur leur lieu de travail.

«Les victimes de violences domestiques et conjugales sont bien sûr une autre population à risque, ajoute le Dr. Ernouf. La diminution des réseaux de soutien et des possibilités d'appel à l'aide étant à même de renforcer la détresse psychologique de ces personnes.» Ces violences, qui ont augmenté partout dans le monde depuis le début du confinement, «placent les victimes dans une peur de mort directe», explique Anne Giersch. Là aussi, il est essentiel pour la psychiatre de réfléchir dès maintenant à la prise en charge de ces personnes, qui risquent de sortir du confinement avec un traumatisme important.

Une crise de santé publique

Reste à déterminer combien de temps ces troubles psychologiques risquent de se poursuivre même après le déconfinement. Le Dr. Ernouf explique que pour la majorité de la population, «le rétablissement se fera spontanément et de manière plus ou moins rapide, en fonction des ressources internes de chacun, de sa capacité à réinvestir sa vie, de la qualité du soutien de son entourage, et… de la résolution de la crise. Cela ne sera pas pareil si l'on trouve un vaccin et que l'épidémie s'arrête, ou si des vagues se succèdent. Encore plus si ces vagues sont imprévisibles et que nous sommes maintenus dans un climat d'insécurité continue».

Pour d'autres personnes, la résilience pourrait prendre beaucoup plus de temps. Certaines études rapportent la persistance de symptômes plusieurs années après la fin des quarantaines. «Il s'agit là d'une minorité de patients, mais 10% de sujets sur une population de plusieurs millions de gens confinés constituerait une très inquiétante crise de santé publique», alerte le Dr. Ernouf. Le défi sera alors de repérer cette minorité de personnes pour les prendre en charge de manière adaptée. «Il faudra à tout prix éviter de banaliser la souffrance des sujets allant mal en leur disant “ça va passer”. Il est vrai que pour la plupart d'entre nous, “ça va passer”. Cela ne doit pas nous faire négliger ceux pour qui cela ne sera pas le cas.»

«Si l'État donne le sentiment de cacher des choses, cela pourrait être contre-productif et installer des troubles.»
Dr Ernouf, psychiatre

Pour Catherine Tourette-Turgis, «la résilience de la société va être très importante sur le moral des individus. Si on arrive à se reconstruire au niveau économique et sociétal dans un climat d'énergie collective, de partage et d'espoir collectif, cela sera plus facile que si on se sent mal dans un climat dur, austère et autoritaire». C'est dans cette optique de climat de solidarité que la psychologue clinicienne tente de mettre en place avec d'autres professionnel·les de santé mentale un service d'accueil ambulatoire à Paris, en accès libre et gratuit dans le but d'informer, soutenir et orienter les personnes en difficulté.

Outre les professionnel·les de santé, l'État et les médias ont des rôles importants à jouer auprès de la population, selon le Dr. Ernouf. En informant des conséquences psychologiques possibles du confinement, en les déstigmatisant et en communiquant de manière positive sur les soins possibles; les troubles psychologiques se soignent et le rétablissement est possible. «Il est possible que le politique soit tenté d'omettre le négatif de sa communication en pensant protéger la population, mais à une époque d'ultra-communication, donner le sentiment de cacher des choses peut être contre-productif et installer des troubles. Il est donc nécessaire que l'État communique sur la situation sanitaire de la manière la plus complète et la plus transparente possible.»

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