Culture

Crystal Moselle, la créatrice qui se cache derrière «Betty»

La réalisatrice confie qu'en grandissant, elle pensait devoir vivre avec certains comportement masculins. Jusqu'à ce qu'elle rencontre le groupe de skateuses qui a inspiré sa série.

La réalisatrice Crystal Moselle entourée des membres du casting de «Betty» à la première de la série au IFC Center à New York le 7 août 2018. | Angela Weiss / AFP
La réalisatrice Crystal Moselle entourée des membres du casting de «Betty» à la première de la série au IFC Center à New York le 7 août 2018. | Angela Weiss / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Tous les mercredis, Anaïs Bordages et Marie Telling décryptent pour Slate.fr l'actu des séries avec Peak TV, une newsletter doublée d'un podcast.

Les séries ont été une de nos plus grandes sources de joie et d'évasion, de l'histoire d'amour brûlante de Normal People, aux héroïnes pleines de vie de Betty. Les deux grosses sorties de cette semaine sont beaucoup moins fun. Si The Eddy nous plonge avec nostalgie dans un Paris animé et bruyant, ses personnages, eux, accumulent les emmerdes. Quant à I Know This Much Is True, c'est un peu le bingo de la loose. Entre automutilation, internement et deuil écrasant, il suffit d'en lire le synopsis pour avoir envie de se mettre au Prozac. Vu l'ambiance du moment, autant vous dire qu'on a du mal à s'y plonger avec enthousiasme.

Cette semaine, une newsletter un peu différente des autres, puisqu'on vous propose une interview de Crystal Moselle, la créatrice de Betty, au lieu de notre traditionnel «Gros Plan». On revient dans deux semaines (déconfinement oblige, on reprend notre rythme habituel) avec, on l'espère, plein de nouvelles séries réjouissantes à se mettre sous la dent.

Cette semaine dans le podcast Peak TV, tour d'horizon des scènes de sexe dans les séries. Des débuts très prudes de la télé américaine, à l'explosion de scènes plus explicites avec des séries HBO comme Sex and the City, Girls ou Game of Thrones, comment la sexualité dans les séries a-t-elle évolué? Quelle influence plus récente a eu le mouvement #MeToo? On vous dit tout dans ce nouvel épisode.

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L'interview: Crystal Moselle

Crystal Moselle est la créatrice et réalisatrice de Betty (OCS), série sur un groupe de skateuses à New York dont on vous parlait la semaine dernière. On a participé à un Q&A virtuel avec elle, voici ses réponses:

Il y a un sentiment de liberté incroyable qui se dégage de Betty. Quel effet ça fait de sortir votre série en pleine pandémie, alors que tout le monde est bloqué chez soi?

C'est une période complètement dingue à New York en ce moment, parce qu'un aspect majeur de vivre dans cette ville, c'est que l'extérieur est presque comme notre salon. C'est un espace avec lequel on interagit constamment. J'espère que la série offre aux gens une occasion de «sortir», d'être immergés dans ce monde-là et de connaître un aspect de New York qu'ils ne connaissaient pas.

On parle beaucoup de female gaze (regard féminin) en ce moment, est-ce que vous diriez que ce concept s'applique à votre travail?

Oui, mais c'est mon regard spécifique à moi. Est-ce que je regarde les femmes différemment de la façon dont un homme les regarde? Probablement.

Crystal Moselle au Chateau Marmont le 4 octobre 2018 à Los Angeles, California. | Rachel Luna / Getty Images / AFP

Votre série s'intéresse aux dynamiques raciales au sein du groupe de skateuses: dans une scène, Kirt (qui est blanche), provoque une bagarre avant de s'enfuir, et ce sont Honeybear et Janay (qui sont noires) qui se font arrêter par la police. Pourquoi vouliez-vous raconter cette histoire?

Cette scène est inspirée par un événement qui s'est réellement produit. Je me souviens d'une bagarre dans la rue qui a été démarrée par certaines filles, et la plupart se sont enfuies, et j'ai demandé à Moonbear (qui joue Honeybear dans la série) pourquoi elle n'avait pas couru, elle aussi. Elle m'a répondu: «Je ne peux pas m'enfuir. Tu sais ce qui m'arrive si je me mets à courir», car elle est Afro-Américaine. Ça m'avait beaucoup marquée. Elle n'a pas le même privilège que d'autres personnes. C'est quelque chose qui est très présent dans notre quotidien en tant qu'Américain·es.

La série aborde aussi la question du genre, de #MeToo et des agressions sexuelles. Pourquoi avoir inclu cela à l'intrigue?

Ce que j'ai adoré avec ce groupe de filles, c'est qu'elles sont gentilles avec les autres femmes, elles n'ont pas une mentalité de mean girls, au contraire, elles veulent créer plus d'espace pour les autres femmes. [...]

En grandissant, j'ai toujours eu le sentiment qu'il y avait certains comportements masculins avec lesquels je devais juste apprendre à vivre, comme si c'était normal. C'est en rencontrant ce groupe de filles que j'ai appris que non, on n'a pas à vivre avec, on peut faire changer les choses. On a aussi beaucoup parlé de ce qui arrive quand quelqu'un qu'on connaît se retrouve accusé dans une affaire #MeToo, et comment on gèrerait ça. C'est le mélange des deux qui a inspiré cette partie de l'intrigue.

Quelles sont vos séries préférées en ce moment?

Je ne regarde pas vraiment la télé (rires). Je regarde des films. Récemment j'ai regardé cette série qui s'appelle Too Old To Die Young [de Nicolas Winding Refn, sur Amazon, ndlr] que j'ai trouvée très intéressante, parce que j'aime les œuvres qui sont lentes, qui ne vont pas trop vite et vous forcent à vraiment passer du temps avec les personnages. Mon travail n'a rien à voir, mais j'aime les trucs qui sont différents –mon film préféré est Sexy Beast, on ne peut pas faire plus éloigné de mon univers.

 

 

On regarde ou pas? «The Eddy» (Netflix)

Vendue comme la série de Damien Chazelle (qui ne réalise en réalité que les deux premiers épisodes), The Eddy ne séduira pas tout le monde. Le rythme est lent, les épisodes longs et on lutte un peu pour rentrer dans l'intrigue sans regarder sa montre. Mais la série a aussi beaucoup de très bonnes choses à offrir et une fois les deux premiers épisodes passés, on se laisse facilement envelopper par son univers. Pour établir le ton, Chazelle a choisi une réalisation brute, caméra à l'épaule, loin de la magie de La La Land. Il nous montre un Paris qu'on voit rarement à l'écran (même dans les séries françaises) mais que les Parisien·nes, elles et eux, connaissent très bien: cosmopolite, bordélique, vivant, un peu crade, et loin des images d'Épinal qu'affectionne habituellement Hollywood. Toute l'action tourne autour d'un club de jazz, qui lutte pour survivre, et de ses musicien·nes. Le casting est parfait: Tahar Rahim déborde de charme, Leïla Bekhti est bouleversante, Andre Holland, Joanna Kulig et Amandla Stenberg complètent ce très beau tableau.

 



On ne va pas vous mentir, l'histoire est un peu badante et on aurait pu se passer de l'intrigue policière très poussive. Mais dans ses moments de grâce, comme lors de magnifiques funérailles en musique (dans un épisode réalisé par Houda Benyamina), la série a des petits airs de Treme, le bijou de David Simon sur la Nouvelle-Orléans. Comme cette dernière, The Eddy ne ressemble à aucune des autres sorties du moment, loin du look «prestige» de plus en plus formaté des œuvres à grands noms de la Peak TV. Rien que pour ça, on est prêtes à lui pardonner tous ses défauts.

 

On regarde aussi

Penny Dreadful: City of Angels (Canal+) – On n'a jamais accroché à l'originale, mais on aime beaucoup ce spin-off entre enquête et horreur, qui se déroule à Los Angeles en 1938.

I Know This Much Is True (OCS) - Un drame prestigieux et très maîtrisé en tout point. Le problème, c'est son histoire déprimante qui ferait passer Sophie's Choice pour une comédie, et on n'a vraiment pas envie de voir ça en ce moment.

Dead to Me (Netflix) - L'intrigue est toujours aussi capilotractée, mais on prend beaucoup de plaisir à retrouver Christina Applegate et Linda Cardellini qui sont excellentes dans les rôles principaux.

Le crush: Daniel Zovatto (Tiago dans Penny Dreadful: City of Angels)

Dans son rôle de détective chicano, il nous rend toutes choses. Personne n'avait aussi bien porté les cheveux gominés depuis Don Draper.

 

 



Peak de chaleur: quand il danse la rue avec sa mère, et à chaque fois qu'il parle en espagnol.

 

Ces textes sont parus dans la newsletter bimensuelle (hebdomadaire pendant le confinement) Peak TV.

 
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