Culture

Pomme est bien plus que l'incarnation d'une génération

À l'image de son cheminement, elle livre un deuxième album très mature et apporte un vent de fraîcheur dans la chanson française en abordant des sujets tabous.

<em>«J'ai un problème avec le culte de la performance, très présent dans mon métier, c'est pour cela que j'ai sorti</em> Les Failles», explique la chanteuse. | Emma Cortijo
«J'ai un problème avec le culte de la performance, très présent dans mon métier, c'est pour cela que j'ai sorti Les Failles», explique la chanteuse. | Emma Cortijo

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«Est-ce qu'on peut décaler l'interview? Claire ne peut pas faire de promo car elle doit reposer sa voix.» Ce mail envoyé par son attachée de presse fait partie d'une multitude de signes qu'on observe déjà depuis quelques temps chez Pomme et qui laissent présager qu'elle n'est pas une chanteuse tout à fait habituelle.

Combien peut-on compter d'artistes en pleine promo d'un deuxième album, salué par le public et la critique et pour lequel elles ou ils ont reçu une Victoire de la musique dans la catégorie meilleur album révélation, à préserver leur santé mentale et physique? «Je sais m'écouter», annonce simplement Claire Pommet un matin ensoleillé de fin d'hiver. Confinement oblige, la rencontre avec l'autrice-compositrice-interprète a eu lieu il y a déjà quelques temps dans son café fétiche de l'est parisien.

Non-dits et santé mentale

«Je fais les choses si j'ai envie de les faire et si je m'y sens disposée, continue-t-elle. Le ratio fatigue-promo-investissement n'est pas facile à gérer car tu peux être en activité en permanence.» Pourtant, ce ne sont pas les propositions qui manquent, notamment au cinéma. «J'adorerais réaliser des nouveaux projets mais pour partager mon énergie intelligemment, je préfère refuser, explique-t-elle. Ça implique également beaucoup de travail et je n'ai pas le temps pour le moment.» À 23 ans, la jeune femme a clairement déjà acquis un certain recul sur sa vie d'artiste, que d'autres comprennent souvent plus tard, à force de tirer sur la corde. Si elle a «du mal à prendre des jours off», elle n'hésite pas pour autant à mettre les pieds dans le plat: «Les médias n'ont pas très envie d'évoquer la fatigue des artistes ou leur burn-out, mais je veux en parler.»

 

 

Elle se rappelle alors une soirée de présentation du livre Pop and psy de Jean-Victor Blanc. Le psychiatre décryptait des parallèles entre santé mentale et culture populaire. Il expliquait que les personnalités qui évoquaient leurs maladies mentales –comme Mariah Carey et Kanye West pour la bipolarité– aidaient à lever le tabou qui les entoure. «C'est un milieu où tu n'as pas le droit de te plaindre, d'exprimer ta fatigue ou d'évoquer l'épuisement, car tu es censé vivre un rêve, constate-t-elle. C'est un peu vrai et en même temps, c'est aussi un cauchemar dans lequel tu n'as plus de vie sociale et beaucoup de pression.» Pomme n'hésite pas à citer son exemple: «Parfois, je ne sais plus comment me comporter dans la sphère privée car je suis habituée à ce qu'on attende toujours quelque chose de moi.» Et pas n'importe quoi. De la performance.

«Ça m'a fait du bien de voir Billie Eilish comme ça, qui défonce les portes et plie le game.»
Pomme, autrice-compositrice-interprète

«On attend que tu parles bien, que tu chantes bien, que tu présentes bien, détaille-t-elle. J'ai un problème avec le culte de la performance, très présent dans mon métier, c'est pour cela que j'ai sorti Les Failles. C'est une manière de prendre le contrepied et d'essayer de faire de l'art volontairement imparfait.» Dans ce second opus, la jeune artiste n'hésite pas à aborder des questions jugées habituellement peu vendeuses dans cette industrie: mort, anxiété, dépression… Bien que ces sujets permettent à beaucoup de s'y reconnaître. Pour Albin de la Simone, qui a produit l'album, Pomme «libère beaucoup de personnes en abordant ces questions actuelles avec sa simplicité». Elle écrivait déjà des textes mélancoliques dans son premier album, avec «On brûlera» et «La lavande». «Ce n'était pas très accepté», se souvient-elle. À l'époque, on lui disait qu'elle ne pouvait pas faire un album uniquement composé de titres «sombres».

 

 

«Le milieu de la musique évolue, notamment grâce aux artistes. Je n'ai pas cette prétention mais je pense à Billie Eilish, qui parle de maladies mentales tout en ayant un succès énorme. Ça m'a fait du bien de voir une meuf comme ça qui défonce les portes et qui plie le game. Elle ne passait même pas à la radio qu'elle remplissait déjà des salles et maintenant les stations passent ses titres.» Avec l'exemple de ce succès fulgurant, Pomme se dit alors qu'on ne pourra plus lui rétorquer que c'est impossible de sortir un album «trop dark». De toute façon, «on ne crée pas de la musique pour une demande ou les médias. Ça ne m'a pas rendu heureuse de le faire pour le premier album».

Les leçons de la première fois

Il n'y aurait certainement pas eu de telles réflexions autour de ce métier et ses Failles s'il n'y avait pas eu cette première expérience significative. À 16 ans, la Lyonnaise commence une aventure avec un duo invité sur les plateaux télé et les radios. «J'en suis sortie sans aucune confiance en moi car j'avais juste posé ma voix sur un single. J'ai un peu découvert le pire de ce milieu très jeune», constate-t-elle. Elle signe ensuite avec un label avec qui elle fait ce qu'on appelle du répertoire: commander des textes à d'autres personnes pour les chanter ensuite.

«Je n'aurais pas pu sortir un album comme Les Failles à 18 ans, mais j'aurais pu prendre plus de temps pour produire et sortir un premier album plus tard.» Résultat, un album avec quelques chansons qu'elle a écrites et qu'elle porte encore aujourd'hui et d'autres qui ne lui ressemblent pas, avec moins d'influences et de personnalité. Mais ce premier disque lui a aussi permis d'en sortir un deuxième. «Je suis arrivée à faire Les Failles dans un rejet total de toutes sortes de conseils.» Si elle grandit comme n'importe quelle ado de son âge, Pomme s'affirme. «C'est propre à tout le monde sauf que dans mon cas, ça se ressent dans mes chansons entre le premier et le deuxième album.» Pour Pauline de Tarragon, chanteuse du groupe Pi Ja Ma et amie de Claire, «sa musique a beaucoup évolué. Les Failles lui ressemble davantage et parle vraiment d'elle. Elle prouve que faire ce que l'on veut, ça fonctionne».

«Chaque prise était exceptionnelle alors que dans 99,99% des disques, il faut réenregistrer.»
Albin de la Simone, auteur-compositeur-interprète et producteur

Ce n'est pas la seule chose qui a changé. Demandez à n'importe quelle personne qui a vu la jeune artiste sur scène, toutes vous parleront d'une certaine abnégation et d'une émotion intense. «Claire peut avoir un peu de mal à lâcher prise dans la vie mais sur scène, elle a une maîtrise totale de sa voix et de son instrument, juge son amie. Elle sait vraiment où elle va et elle est très généreuse.» «Comme c'était compliqué médiatiquement pour le premier album, je me suis concentrée à fond sur la scène», explique Pomme. Seule en concert, elle en profite pour revenir à des arrangements guitare voix qu'elle préfère et interprète ses titres dans une version plus brute. Elle réussit alors à défendre cet album avec des «concerts plus honnêtes». Elle écume les bars et les premières parties avec des prestations presque toutes les semaines, qui la forment. «Ça a été très important et ça m'a pris tout mon temps pendant presque cinq ans.» Cette expérience scénique est désormais plébiscitée par le public. La tournée originale des Failles devait se terminer fin mai avec beaucoup de dates sold-out.

 

 

S'il est plus facile à défendre et plus cohérent, c'est aussi à la suite de cette première tournée qu'elle décide de faire un album plus «minimaliste» sans trop d'arrangements. Rencontré pendant l'enregistrement d'un disque de Pierre Lapointe, elle demande à Albin de la Simone de produire l'album sur lequel ils travaillent pendant un an. «Elle venait chez moi tous les cinq jours pour jouer ses chansons, se souvient le musicien. Elle est à l'écoute, elle avançait très bien et très vite.» Plus tard, ils enregistrent quinze chansons en l'espace de cinq jours. «Chaque prise était exceptionnelle alors que dans 99,99% des disques, il faut réenregistrer, explique Albin de la Simone. Claire est balèze, c'est incroyable comme elle chante et joue très bien de la guitare.»

Une mélancolie reconnaissable

Les notes, elle les pratique depuis son plus jeune âge. Inscrite au solfège dès le CP, c'est le violoncelle qu'elle pratique au départ un peu malgré elle. «Je voulais faire du violon, mais il y avait trop de monde sur la liste d'attente pour ce cours.» Si elle ne se sent pas à la hauteur de cet instrument qui demande beaucoup de rigueur, elle trouve la guitare beaucoup plus fluide. C'est elle qui l'accompagne désormais partout, sauf qu'en elle reprend Bad Guy de Billie Eilish à l'autoharpe. Mais ce qui accompagne la chanteuse depuis toujours, ce n'est pas un instrument. C'est l'écriture. Dès ses 6 ans, elle écrit des poèmes et des histoires dans son carnet secret. Passionnée par l'heroic fantasy, elle lit beaucoup, notamment À la croisée des mondes, son livre préféré. Elle a lu récemment le préquel et les livres complémentaires de cette saga, adaptée sur petit écran.

 

 

«J'aime aussi beaucoup les dystopies comme Méto d'Yves Grevet, une saga où des enfants sont coincés sur une île. Ça me faisait assez peur car il y avait souvent des passages violents, mais j'avais besoin de lire des histoires qui me procuraient des émotions négatives, se souvient-elle. La mélancolie m'a toujours inspirée. Limite, je provoquais des moments pour la ressentir en lisant ou en écoutant de la musique.» Dans sa fratrie de quatre enfants, elle est la seule à être comme ça, «hypersensible». Si elle ne sait pas d'où ça vient, –«Je n'ai pas une vie très difficile»–, elle a désormais trouvé le moyen de l'exprimer dans ses chansons. On l'imagine bien chez Eva Bester dans Remèdes à la mélancolie sur France Inter: «J'aimerais trop y aller!» Sur la table du café où on l'a rencontre justement, il y a C'est comme ça que je disparais, de Mirion Malle, qui relate le mal-être et la dépression de Clara, l'héroïne. Une BD dans laquelle nombre de personnes peuvent se reconnaître, comme dans la musique de Pomme.

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