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Peut-on envisager une Afrique sans catastrophe?

Dans leurs articles sur la pandémie de Covid-19, les médias préfèrent évoquer le futur hypothétiquement horrible du continent que de commenter un présent objectivement encourageant.

À Abidjan, en Côte d'Ivoire, le 24 avril 2020. | Sia Kambou / AFP
À Abidjan, en Côte d'Ivoire, le 24 avril 2020. | Sia Kambou / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

«L'Afrique, bombe à retardement», «Une catastrophe redoutée», «L'Afrique en première ligne» , «L'évolution “dramatique” de la pandémie dans un continent mal armé»… Les titres alarmistes s'enchaînent jour après jour. Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, à chaque fois que les regards se tournent vers le continent africain, c'est pour annoncer l'inéluctable catastrophe qui semble sceller son sort.

À ce jour, le continent est de loin le moins touché au monde, mais il reste celui sur lequel sont projetées les plus funestes prédictions. Après avoir compté les jours restants avant que son effondrement ne soit officiellement prononcé, nos médias interrogent désormais les motifs de l’étonnante résistance d’un continent dont la débâcle leur semblait pourtant inéluctable.

À l'évidence, étant donné la pénurie d'infrastructures sanitaires, la propagation du coronavirus sur le sol africain pourrait être à l'origine d'un terrible drame humain. Et si je suis bien incapable de prédire ce qui s'y produira, cette insistance quant au caractère inexorable du désastre africain résonne à mes oreilles tel l'écho d'un imaginaire indissociable des représentations liées au continent.

En dépit de la réalité objective, il semble impossible de ne pas associer l'Afrique au chaos.

Réactivité face au virus

Plusieurs hypothèses ont été élaborées pour expliquer les raisons pour lesquelles le continent paraît épargné en comparaison des États-Unis ou des pays européens.

Un article de Nasir Javaid, Fazal Jamil and Muhammad Salar Khan, traduit par Courrier international, rappelle que le virus frappe plus durement les personnes âgées, proportionnellement moins nombreuses en Afrique, où les moins de 25 ans «représentent au contraire 60% de la population».

Les auteurs évoquent également la faible densité sur l'ensemble du continent, qui limiterait la propagation du Covid-19, ainsi que des aéroports faiblement fréquentés par des vols en provenance d'autres continents, ce qui aurait freiné son importation.

Plus inattendu, il est aussi question des «bons comportements» «adoptés au fil du temps en matière de santé», sur un continent aguerri à la gestion des épidémies. L'article relève que les populations se sont montrées «plus réactives aux appels à la prudence lancés par les autorités», quand en Europe «la population a dans un premier temps ignoré les appels à la distanciation sociale».

Cette dernière observation présente l'Afrique sous un jour inhabituel dans les colonnes des journaux occidentaux: un continent dont on aurait peut-être à apprendre.

Dans les faits, plusieurs gouvernements africains se sont avérés particulièrement réactifs, notamment en limitant très rapidement le trafic aérien. Le Rwanda a mis en place des dispositions sanitaires sur l'ensemble de son territoire avant même la détection des premiers cas. Des pays comme l'Afrique du Sud et la Tunisie ont imposé confinement et couvre-feu avant que le virus n'ait le temps de se répandre.

 


Dépistage dans le township d'Alexandra à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 27 avril 2020. | Marco Longari / AFP

Le Maroc se montre exemplaire dans sa gestion de la crise sanitaire: il a rendu le port du masque obligatoire dès le 7 avril –alors que la France tergiversait encore quant à sa nécessité–, et su créer des conditions permettant une fabrication massive et accessible (7 centimes d'euros), doublée d'une action de la société civile pour leur distribution gratuite. Aujourd'hui, le pays compte davantage de décès parmi sa diaspora dispersée à travers le monde que sur ses propres terres.

Autre cas, celui du Sénégal, à l'origine d'une petite révolution: en partenariat avec un laboratoire britannique, l'Institut Pasteur de Dakar a élaboré des tests permettant de dépister le coronavirus dix fois plus rapidement et à un coût moindre.

Il ne s'agit pas ici de dresser une liste exhaustive de tous les succès rencontrés sur le sol africain, mais de signaler que ce continent peut être présenté sous un autre jour que celui que certains médias adoptent parfois avec une complaisance malsaine.

Derrière ce biais, l'économiste Felwine Sarr dénonce «la persistance de l'afro-pessimisme». Il souligne que le Sénégal et les États-Unis ont «connu leur premier cas à peu près au même moment» et que la «différence de propagation du virus et de réponse politique est frappante» (10 morts au Sénégal contre près de 70.000 aux États-Unis, avec des taux de guérison respectifs de 32% et 13%).

Condamnation au désastre

Ainsi les métropoles africaines, toujours présentées comme des terres quasi sauvages et peu organisées, semblent-elles résister là où New York, symbole de notre monde prétendument moderne, s'est révélée impuissante à contenir l'épidémie –au point de devenir la ville de la planète la plus cruellement touchée par le Covid-19.

Il semble pourtant toujours inenvisageable de ne pas saisir sous un prisme négatif l'Afrique, continent de tous les malheurs inlassablement présenté tel un bloc monolithique. La souffrance des Africain·es semble être un matériau narratif aussi inépuisable qu'inévitable.

Même quand les catastrophes n'ont pas lieu, elles sont annoncées, comme la destinée fatidique d'un continent condamné à l'horreur. Comment des puissances du monde entier pourraient-elles être en proie à une telle calamité sans que l'Afrique ne soit frappée?

Un cataclysme qui survient en Afrique, c'est vraisemblablement l'ordre des choses imprimé dans l'inconscient collectif, et si cela n'arrive pas tout de suite, on ne peut s'empêcher d'imaginer que cela doit arriver. Inexorablement.

J'ignore ce qui attend le continent africain, mais je m'interroge: ne peut-on pas simplement se réjouir du fait qu'il ne soit pas inéluctablement voué à la pauvreté et à la maladie?

À l'instar des autres pays, les États africains se doivent de lutter contre le coronavirus et de protéger les populations. Mais il est possible de décrire cette situation sans avoir à se lancer dans des spéculations hasardeuses associant chaque ligne écrite au sujet du continent à un désastre.

Si l'Afrique est aujourd'hui épargnée, cela ne relève pas uniquement d'un miracle.

Comme la plupart d'entre nous, je suis incapable de me prononcer quant à la probabilité de la propagation du virus sur le continent africain ou d'exposer ses effets potentiels. Loin de moi l'idée de nier l'important risque induit par la possible contamination massive de la population.

Je peux toutefois constater que l'on préfère évoquer un futur hypothétiquement horrible que de commenter un présent objectivement encourageant.

Si l'Afrique est aujourd'hui épargnée, et bien que l'on ne puisse savoir ce qui se produira dans les semaines et mois à venir, cela ne relève pas uniquement d'un miracle. Peut-être est-il temps d'accepter l'idée qu'il existe sur ce continent de nombreuses personnes éclairées capables de prendre des décisions efficaces, tandis que des pays occidentaux se sont montrés irresponsables.

Les Africain·es ont développé des savoir-faire que d'autres pays pourraient reproduire, et cette crise est une occasion de privilégier des politiques pensées depuis leurs propres perspectives.

Déterminée à «se relever par elle-même», selon les termes de l'économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo, l'Afrique pourrait alors imposer un changement de prisme quant à l'appréhension d'un continent disposant de toutes les ressources pour être une terre d'inspiration.

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