Médias / Société

L'homme qui crache sur Zemmour n'est qu'un autre Zemmour

Ils sont une même barbarie et l'empathie m'est impossible.

Éric Zemmour lors d'un débat à Paris, le 25 avril 2019 | Lionel Bonaventure / AFP
Éric Zemmour lors d'un débat à Paris, le 25 avril 2019 | Lionel Bonaventure / AFP

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C'est un triste spectacle qu'un homme courbé qui presse le pas sous l'insulte, quand un autre plus jeune, plus fort, vivant, le poursuit et le moque, l'injurie salement et finalement lui crache dessus et en rit, en jouit, puissant. C'est un triste spectacle de voir Éric Zemmour ainsi se rencontrer, devenu celui que l'on chasse et qui baisse la tête, lui qui d'habitude porte beau la vindicte et le mépris des autres. Zemmour, à l'habitude, cravaté, maquillé admiré payé, écrase de ses mots, de son œil noir et de sa diction sèche, les sans-grade de nos vies, les immigrés fourbus, les migrants réchappés, qu'il traite en agents infectieux des pestes sociales, fauteurs de violences, de troubles, voleurs de pays, envahisseurs. Zemmour à l'habitude rit et jouit de ses méchancetés, dans ses livres et ses télévisions, ses conférences, célèbre et riche d'un tel talent de haine. Mais le voilà, d'une mauvaise rencontre, semblable à ceux qu'il méprise, les fuyards les perdants les victimes, dont on peut en riant flétrir la dignité, et un autre rit du mal qu'il lui fait.

À quel point Zemmour et son tourmenteur se ressemblent, le devine-t-il, le savent-ils?

Je ne vois rien de juste dans l'humiliation de Zemmour. Elle ne me réjouit pas. Je n'admire pas les fascismes. Je ne pense pas qu'une brute qui crache sans risque sur un homme faible et puis s'en vante sur les réseaux sociaux, soit le moins du monde admirable. Un décivilisé n'est pas un rédempteur. Il ne rachète rien mais au contraire alourdit le malheur du monde. L'homme qui crache sur Zemmour ne consolera pas ceux et celles que Zemmour a peiné. Il n'est qu'un lâche vantard, indigne du beau nom d'opprimé. L'homme qui crache sur Zemmour n'est qu'un autre Zemmour, sans livre ni télévision, mais Snapchat est son estrade: à chacun sa comédie.

Lui peut-être pense avoir vengé les siens et sans doute des likes le lui disent, voudra-t-il les croire?

Zemmour raisonne ainsi, et ses partisans avec lui.

La même inhumanité et deux incultures

Zemmour croit, ses admirateurs le proclament, que ses violences de mots sont la revanche d'un peuple français blanc humilié et spolié dans son âme et son être, sa patrie, son histoire, sa race et sa foi. Éric Zemmour médit des migrants noyés, des femmes qui revendiquent, des mosquées et des juifs aussi qui avant 1940 étaient bien trop puissants. Zemmour aime l'Action française et aussi les sabreurs du général Bugeaud, mais s'il parle en brute, s'il justifie les discriminations, les contrôles au faciès, des lois raciales demain, et si déjà il flatte l'égoïsme et la peur et nous invite à nous défier des misères du monde, ce serait simplement par amour de la France, qu'il défend de rhétorique haineuse, comme d'autres crachent sur un homme au nom, mentent-ils, de leurs humiliés.

Zemmour est détestable tout autant que celui qui le brime. Ils ne se justifient pas, ils se complètent, se ressemblent, ils sont la même inhumanité et deux incultures. D'un côté l'abîme des réseaux sociaux où l'on invective et salit, et cette fausse dérision, le prank anglo-saxon, les rires malsains que l'on provoque en giflant bousculant abîmant devant un smartphone, le revenge porn, les harcèlements. De l'autre la culture dévoyée, l'histoire manipulée, la longue histoire des hommes et des Nations détournée d'ethnicisme, les humanismes niés, Pétain a sauvé les juifs et Maurras était un penseur, la colonisation une civilisation et la paix européenne un asservissement. Tout ceci se babille sur quelques médias adultes fatigués de penser, où l'on baptise «débats» des hystéries d'audiences, comme sur internet la saloperie est une pute à clics. Autant de marchepieds du fascisme mais à chacun son cirque.

«Je déteste à parts égales le cracheur et Zemmour. Je réfute l'idée que l'un justifierait l'autre.»

Zemmour et son cracheur s'emboîtent. Leurs prétextes se rencontrent. Zemmour est la preuve et l'excuse du fasciste au crachat, qui règle d'un mollard les comptes accumulés, et qu'on défende Zemmour prouve bien notre racisme. Le fasciste au crachat est la confirmation de Zemmour et de ses foules bêlantes, qui depuis des années nous racontent la fable du peuple français autochtone terrifié et chassé par les nouveaux sarrazins: et bien voilà, regardez fuir Zemmour devant le glaviot, il est tel un de nos blancs, il est nous, ne le disait-il pas?

Je déteste à parts égales le cracheur et Zemmour. Je réfute l'idée que l'un justifierait l'autre. Je me désole tous les jours de voir la haine et le fascisme considérées comme des opinions qu'il faudrait discuter. Je tremble des rues où la force s'impose, où l'on rit quand on vous crache dessus. Je refuse admettre une raison du cracheur. Je suis aussi bien incapable de plaindre sa victime. Je ne peux feindre la moindre sympathie pour Éric Zemmour.

On ne plaint pas le fascisme. Il est assez humiliant de le comprendre.

Étrange litanie de regrets et condamnations

J'ai connu Zemmour jeune journaliste, quand, prétentieux tous deux, nous nous apprécions et déjeunions parfois. Les horreurs qu'il proférait semblaient un folklore, une manie curieuse chez un joli garçon, la réaction jadis était un colifichet. J'ai rompu avec Zemmour quand j'ai compris qu'il ne plaisantait pas, quand je l'ai vu faire commerce de son néo-racisme et en prospérer dans un pays qui s'était mis à dériver. Je garde de l'avant, le son de ses rires, de gauloiseries de puceaux tardifs dans des restaurants sur notes de frais, de théories branlantes sur le football, et au moins un bon livre qu'il me dédicaça, une biographie romancée du gendre de Marx, que n'a-t-il persévéré?

On n'efface pas ce qui semblait un début d'amitié. Je ne plains pas Zemmour. Il m'est assez pénible d'en être tenté. Je sais le piège des ressemblances passées. Je peux deviner des enfants, une femme dont on a blessé l'homme, le retour chez soi souillé. Peu batailleur moi-même, je peux m'imaginer devant d'autres brutes, comment réagirais-je? Je suis petit-bourgeois quinquagénaire demandeur d'une société où les brutes ne commandent pas. Le fascisme dont Zemmour est victime me menacera plus rapidement que le fascisme qu'il promeut dans ses ouvrages et verbiages. Un jour, peut-être des crétins biberonnés à Zemmour prendront le pouvoir, et ce jour, peut-être, je devrai physiquement trembler? Pour le moment, Zemmour ne m'importune que de profanations. Devrais-je au nom de ce décalage le plaindre et comme d'autres de mon monde, voler au secours de l'un d'entre nous, l'un de ceux qui écrivent et qui parlent, qu'un sauvage a brimé? Cette suggestion est une infamie.

«Je ne veux surtout pas qu'on blesse ou injurie Zemmour. Mais je ne vais pas feindre une sympathie que je n'éprouve en rien.»

J'ai lu, après l'agression, une litanie de regrets et de condamnations venant de démocrates sincères, d'humanistes de tweets, sans nul doute estimables et certains des amis, qui rivalisaient d'empathie et de tolérance pour condamner l'offense faite à Zemmour, et se dire alors de son côté, solidaires, «totalement solidaires», d'un intellectuel agressé, puisqu'en République et en démocratie on respecte l'adversaire, on ne le frappe pas. Je n'ai frappé personne, Dieu m'en garde, mais pour le reste, cet amour me sidère. Je le trouve poisseux et faux, confus, et nimbé d'une affirmation de classe qui ne me dit rien de bon. En fera-t-on autant chaque semaine pour ceux que Zemmour injurie dans ses philippiques? Veulent-ils mes amis démontrer à Zemmour qu'ils sont bons camarades et notre démocratie bonne fille, et l'on pourrait ramener à la raison commune le bouffon de Paris Première, l'histrion de CNews, le joueur de flûte d'Albin Michel, l'indigne perroquet du grand Figaro? Ou voudrait-on suggérer que Zemmour appartient déjà à la raison commune et ses opinions débattables, puisqu'on en débat, devraient être préservées, protégées avec lui? Ou bien veut-nous dire que par nature les victimes sont aimables, quoi qu'elles aient fait ailleurs, avant, quoi qu'elles feront?

Bel effet d'un crachat qui laverait le fascisme. Je prends le pari que Zemmour lui-même n'a que faire de ces effusions, qu'il mettra sur le compte des lâchetés démocrates, qu'il ajoutera à sa liste de petites conquêtes, lui qui se prend pour un combattant de l'idée. Je n'ai pour lui ni respect ni complaisances; mais je sais lui reconnaître la constance, l'opiniâtreté, une ligne, une force: pourquoi lui concéder.

Zemmour n'est pas l'un des miens, s'il est l'un d'entre eux. Il m'est, en dépit des apparences, aussi étranger qu'un voyou qui mollarde, et plus étranger encore, puisqu'il pervertit ce qui nous est commun; le journalisme et une manière d'être juif en France, la parole publique. Je ne demande pas qu'on l'interdise mais je refuse désormais de partager avec lui le pain et le sel médiatique, un studio, un plateau de télé (je n'ai pas toujours eu cette vertu). Je n'ai rien à échanger avec ce qu'il professe. La vie n'est pas si longue qu'il faille la rendre plus confuse. Je ne veux surtout pas qu'on le blesse ou l'injurie. Mais je ne vais pas feindre une sympathie que je n'éprouve en rien.

Le crime est détestable. Les victimes, tout dépend. Je ne peux oublier que Zemmour n'existe que des haines qu'il flatte, et son choix l'engage et m'oblige. Il n'est pas Finkielkraut, qui avant de remuer trop de peurs a été et reste l'homme des lettres, des romans et de la transmission, et cet homme m'émeut. D'un Finkielkraut agressé, je suis solidaire attentif et inquiet, je l'appelle et je l'aime. Je suis solidaire à mes choix. Pour Zemmour je ne sais plus ressentir. J'ai cessé de suivre ses errances. Elles me reviennent par force, puisqu'il lui est arrivé quelque chose. Je me serais passé de repenser à lui. Je souhaite, républicain, que la justice s'empare d'un homme qui crache sur un passant, et qu'elle condamne celui qui joue de sa force en dehors de la loi. Ainsi la justice condamna Zemmour, ainsi elle condamnera la brute qui lui ressemble, pour nos principes, pour une idée du monde faite de respect des faibles, que le cracheur nie aussi bien que Zemmour. Mon pessimisme me dit que l'un comme l'autre récidiveront. J'essaie de l'entendre le moins possible.

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