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Les Etats-Unis restent les meilleurs alliés d'Israël. L'inverse est-il toujours vrai?

Les lobbies pro-israélien accusent une partie de l'administration Obama qui critique Netanyahou.

Temps de lecture: 6 minutes

Combien de hauts fonctionnaires américains vont-ils encore se faire traiter de renégats ou d'antisémites avant que le gouvernement israélien, l'Aipac [American Israel Public Affairs committee, principal lobby pro-israélien américain] et le sénateur Joseph Lieberman ne se rendent compte que le Premier ministre Benjamin Netanyahou a commis une grave erreur en approuvant l'installation de 1.600 logements supplémentaires à Jérusalem Est, et qu'il doit y remédier -pas seulement pour des raisons politiques ou diplomatiques, mais dans l'intérêt de la sécurité américaine et israélienne?

Lieberman et les autres législateurs, qui ont fustigé le président Barack Obama pour avoir lui-même critiqué les dernières tentatives expansionnistes d'Israël, vont-ils ajouter le général David Petraeus, le chef du U.S. Central Command et héros du «Surge» [augmentation du nombre de soldats en Irak] à la liste de ceux qu'ils jugent irresponsables?

La presse américaine n'en a pas beaucoup parlé, mais le 16 mars, lors de l'audition sur le budget de la défense du Comité des forces armées du Sénat, Petraeus a fait la déclaration suivante:

La persistance des hostilités entre Israël et certains de ses voisins peut mettre à mal notre capacité à faire évoluer nos intérêts dans l'AOR (la zone d'opérations du CentCom, qui comprend l'Irak et l'Afghanistan, ainsi qu'une grande partie du Moyen-Orient). (...) Le conflit fait naître des sentiments anti-américains, [dus à la perception que les États-Unis favorisent Israël, nda]. La colère arabe suscitée par la question palestinienne limite la force et l'intensité des partenariats des Etats-Unis avec les gouvernements et les peuples de l'AOR, et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Al-Qaïda et d'autres groupes militants profitent de cette colère pour mobiliser les soutiens. Le conflit donne aussi à l'Iran une certaine influence dans le monde arabe par le biais de ses clients, le Hezbollah libanais et le Hamas.

Voilà une déclaration audacieuse dans la bouche d'un chef militaire extrêmement respecté-qu'une «perception que les Etats-Unis favorisent Israël» affaiblit les modérés arabes, renforçant ainsi l'influence de l'Iran et jouant le jeu d'al-Qaida.

Ce n'était pas une réaction à chaud sur l'expansion immobilière d'Israël — annoncée il y a deux semaines par le gouvernement israélien, au moment de la visite officielle du vice-président Joe Biden venu évoquer une reprise des pourparlers de paix israélo-palestiniens, dont l'un des sujets devrait sûrement, d'ailleurs, concerner l'expansion des colonies juives.

Petraeus rendait publique la conclusion d'un briefing de 45 minutes qu'il avait fait en janvier à l'amiral Mike Mullen, président du chef d'état major - briefing basé sur une visite de la région et sur de longues discussion avec des chefs arabes, en décembre dernier. (Le briefing a d'abord été rapporté par Mark Perry du Middle East Peace Channel et publié dans Foreign Policy.)

La remarque du général devant le Sénat faisait partie de son discours d'ouverture, ce qui signifie qu'elle avait reçu l'aval de Mullen et peut-être d'autres plus hauts gradés. Voilà qui ne fait que donner plus d'autorité à la remarque faite par Biden à Netanyahou, selon laquelle l'expansion des colonies met en danger les intérêts de sécurité et les soldats américains - et aux déclarations de la Maison Blanche et du département d'Etat qui ont suivi, «condamnant» l'expansion (tout en réaffirmant l'inébranlable engagement des Etats-Unis dans la défense d'Israël).

Querelle de famille

Entre-temps, Netanyahou s'est excusé pour la malheureuse coïncidence de l'annonce et de la visite de Biden (et pour la remarque faite publiquement par son beau-frère que le président Barack Obama était antisémite), mais il a défendu avec conviction la décision d'étendre les colonies.

Comme par un fait exprès, les sénateurs Lieberman et John McCain ont organisé un colloque au Sénat, appelant l'administration Obama à mettre un terme à cette «querelle de famille» avec Israël et à se concentrer davantage sur la menace iranienne (tout en s'abstenant de demander quoi que ce soit au gouvernement israélien). Le sénateur Sam Brownback, républicain du Kansas, a reproché à Obama de condamner un «allié loyal» pour une simple question de «découpage de zones».

Le ministre des Affaires étrangère israélien Avigdor Lieberman est allé encore plus loin. Rejetant toute exigence de cessation de construction de logements juifs à Jérusalem-Est, il a demandé: «Vous imaginez dire aux juifs de New York qu'ils ne peuvent plus faire construire ou acheter dans le Queens?»

La question de Jérusalem doit être négociée

Toutes ces contre-attaques ne sont que pure fourberie. Il ne s'agit pas d'une dispute de famille à régler autour de la table du déjeuner; l'expansion des colonies n'a rien d'une décision de découpage de zones et comparer Jérusalem-Est au Queens est tout simplement grotesque.

Il vaut la peine de noter, par exemple, que tous les pays ou entités internationales qui ont pris position sur la question-excepté Israël-considèrent Jérusalem-Est, au moins officiellement, comme un «territoire occupé».

Israël a annexé Jérusalem-Est en 1980, mais aucun autre pays n'a reconnu ce geste. La résolution 478 de l'ONU, votée peu après, déclarait que cette annexion violait les lois internationales et était par conséquent «nulle et non avenue». (Le Conseil de sécurité vota la décision sans aucune voix contre, même les Etats-Unis s'abstinrent).

La plupart des observateurs estiment que si jamais il y a, un jour, un traité de paix israélo-palestinien, il accordera tout Jérusalem, ou quasiment tout, aux Israéliens. Peu d'entre eux accepteraient un traité qui ne le fasse pas. Cependant, c'est là une négociation vers laquelle il faut tendre, sans la considérer comme acquise avant que les discussions sérieuses n'aient commencé.

Le problème dépasse les subtilités juridiques. L'émissaire américain George Mitchell était sur le point de lancer des pourparlers «indirects» entre Israéliens et Palestiniens, en faisant la navette entre les deux, du moins au début. Les négociations étaient tranquillement soutenues par l'Arabie Saoudite, dont les dirigeants veulent enrayer les ambitions régionales de l'Iran, qui utilise comme substitut (et fournit) le Hezbollah et le Hamas. Une convergence d'intérêts entre Israël et des modérés arabes - parmi lesquels on peut citer le Premier ministre palestinien Salam Fayyad — ferait pencher la balance régionale en défaveur de l'Iran. Cette position pourrait aider la campagne visant à empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires — et peut-être renforcer le soutien des politiques américaines et de l'Otan en Afghanistan et au Pakistan.

Les deux solutions qui s'offrent à Obama

Cependant, toute cette chaîne repose sur un maillon crucial: l'apparition d'un véritable mouvement prometteur vers un accord israélo-palestinien. Etant donné leur position dans le reste du monde arabe et aux yeux de leurs propres populations potentiellement instables, aucun pays arabe ne peut se permettre de trop se rapprocher des Etats-Unis, et encore moins d'Israël, tant que ce lien sera rompu.

En continuant leur expansion à Jérusalem-Est, les dirigeants israéliens montrent qu'une vraie paix ne les intéresse pas. En agissant ainsi, tout en snobant le vice-président américain Biden (dont le soutien à Israël est aussi ancien qu'incontesté), ils se mettent, ainsi que les Etats-Unis, dans une position intenable.

Le président Obama n'a que deux solutions. Soit il recule et accepte les agissements Israël - auquel cas il perd sa crédibilité de négociateur honnête, et les Etats-Unis perdent la puissance que leur confère leur position dominante dans la politique du Moyen-Orient -soit il augmente la pression contre l'Etat hébreu, ce qui aura pour conséquence de braquer encore plus les actuels dirigeants israéliens, et de rendre les militants anti-israéliens et anti-occidentaux de la région, qui en sentiront la faiblesse, encore plus agressifs.

Dans l'intervalle, trop de membres du Congrès farouchement pro-israéliens — qui rivalisent, à chaque réunion de l'Aipac, pour savoir lequel d'entre eux sera plus pro-Israël que l'Israélien moyen - ne font qu'encourager les Israéliens de droite à ne rien lâcher (en partant du principe que leurs amis s'assureront que les Etats-Unis continuent à envoyer de l'aide et à ne rien dire), desservant ainsi les intérêts à plus long terme d'Israël (autre mauvais timing, le congrès annuel de l'Aipac débutait ce week-end à Washington DC).

Il se peut qu'au bout d'un moment cette relation ait l'effet inverse à celui escompté sur le territoire national. A mesure que les gens se rendront compte que cette habilitation mutuelle fait du tort à la sécurité américaine, le soutien pour Israël pourrait décliner très rapidement. Certains signes semblent indiquer que cette désaffection a déjà commencé. Un sondage Rasmussen datant d'août dernier indiquait que 70% des Américains interrogés considéraient Israël comme un allié.

«Attaqués dans le dos»

Aujourd'hui, une nouvelle étude de la même agence dévoile que ce chiffre est tombé à 58%. La situation n'est pas catastrophique: seuls 2% considèrent Israël comme un ennemi; mais curieusement, quelque 32% des sondés le voient comme un pays oscillant entre les deux. Si les dirigeants israéliens ne se soucient pas des sondages américains, ils devraient peut-être écouter l'un de leurs plus éminents soutiens, le député démocrate de Californie Howard Berman, président du comité des Affaires étrangères de la Chambre des représentants. Dans une déclaration du 16 mars, Berman a signalé que les deux pays étaient encore de grands alliés et qu'ils ne devraient pas laisser leur récent différend occulter ce fait. Mais il a ajouté:

L'administration a de bonnes raisons d'être contrariée par le moment choisi pour annoncer l'implantation des nouveaux logements. Un processus était supposé empêcher que les Etats-Unis soient pris au dépourvu par ce genre de développement, et pourtant, une fois de plus, nous avons été attaqués dans le dos. Les dirigeants israéliens doivent y remédier et mettre en place un système pour que cela ne se reproduise plus.

Si d'autres prétendus amis d'Israël abondent dans ce sens, alors peut-être cela ne se reproduira-t-il plus, en effet. A défaut, le contraire est déjà presque certain.

Fred Kaplan

Traduit par Bérengère Viennot

Photo: Netanyaou lors de la conférence annuelle du lobby pro-israélien, l'Aipac, le 22 mars à Washington. REUTERS/Jonathan Ernst

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