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Que vont devenir les élèves qui n'auront pas leur bac cette année?

Au sein des séries générales, les élèves de ES ont particulièrement du souci à se faire.

Les élèves né·es en 2002 ne pourront pas repasser leur bac sous la même forme l'an prochain. | Zeynep Demirbilek <a href="http://www.flickr.com/photos/131938607@N08/24084713370/in/photolist-CGhsbN-FtVLvf-t7KbSJ-AAJkvy-ntfAbm-2ioz1ub-GbEnkq-45CTJK-25ZeDwm-L5Qdev-wS6R8-iQZtLh-7fN2Lt-7koP55-a3ohg5-MsX9sj-24SpwBv-74FGkS-epdYnq-ZApRNW-5azTy4-4kDhUx-jXkx2x-25T7ZjB-E4XYC3-bW5MNQ-ZjvB5U-CcNZjB-2hx8aUv-9muSyZ-6WfNnv-taL5T-XFeyPt-2im8Soe-7YkFdq-CBvpQK-6ngw6U-2hdTZaP-8kdGko-vc4Ws4-QL6TWw-pLHL-a6aESH-muM18c-26k3a7B-4viRFF-UZvqFj-LN8wJm-92bGKq-815gB">via Flickr</a> 
Les élèves né·es en 2002 ne pourront pas repasser leur bac sous la même forme l'an prochain. | Zeynep Demirbilek via Flickr 

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«J'aimerais bien rembobiner l'année scolaire et revenir en septembre. Là, c'est sûr que je me mettrais au boulot.» Élève de terminale ES dans un lycée nordiste, Nadia s'en veut. Habituée à se contenter du minimum, elle pensait mettre un coup de collier en avril-mai afin d'obtenir son bac. «J'ai des tas de potes qui ont fait ça. Franchement, pour aller en fac, c'est suffisant. J'aurais tout donné juste avant la ligne d'arrivée et c'était plié.»

Seulement voilà: sur l'ensemble des deux premiers trimestres de son année de terminale, Nadia a une moyenne de 8,95 sur 20. «Je n'ai clairement pas bossé. Avec un minimum d'efforts j'aurais pu monter jusqu'à 12.» Comme il est probable que l'année scolaire ne reprenne pas en présentiel, et puisque les notes données par ses enseignant·es en temps de confinement ne compteront pas dans la moyenne, Nadia se dit que ses résultats n'évolueront pas: «On n'aura sans doute même pas de moyenne au troisième trimestre.»

Si Jean-Michel Blanquer a annoncé que les oraux de rattrapage devraient être maintenus, Nadia ne se montre pas hyper confiante. «C'est difficile de préparer ça seule chez soi. On ne sait pas comment s'y prendre. Et ma mère me demande pas mal d'aide pour gérer mes frères et ma sœur, donc je ne suis clairement pas dans les meilleures conditions.»

La malédiction des 2002

Nadia n'est pourtant pas très rassurée à l'idée de rater son bac cette année: «Ça tomberait hyper mal. L'an prochain ça va être une grosse galère. J'ai mal choisi mon année de naissance. Les 2002, on est maudits.» L'année scolaire 2020-2021 marquera en effet l'ultime étape de la réforme du baccalauréat initiée par Blanquer après sa prise de fonctions. En septembre 2019, seuls les niveaux seconde et première étaient concernés, tandis que les classes de terminale continuaient à préparer l'«ancien» bac.

Si Nadia n'obtient pas son bac ES en fin d'année, elle ne pourra pas le repasser sous la même forme l'an prochain. L'an prochain, ce bac n'existera plus, tout comme le bac scientifique ou le bac littéraire.

«Les élèves ont intérêt à anticiper pendant les vacances d'été pour rattraper les chapitres non abordés... Or on sait très bien que bosser l'été est une chose très compliquée.»
Marina, professeure d'histoire-géographie

À la place, un baccalauréat général avec des spécialités, dont la note finale prend en compte les résultats des quatre épreuves nationales de fin de terminale (philosophie, grand oral, et deux épreuves de spécialité propres à chaque candidat·e), mais aussi les résultats du contrôle continu et ceux obtenus lors des E3C («épreuves communes de contrôle continu», devoirs communs organisés par les établissements).

Pour une élève comme Nadia (à supposer qu'elle n'ait pas son bac, ce que personne ne lui souhaite), se présentent deux problèmes majeurs. Souci n°1: l'an prochain, son emploi du temps intègrera deux enseignements de spécialité alors qu'elle n'aura pas suivi les cours correspondants en classe de première, changement de programme oblige.

Le casse-tête des spécialités

«La série ES était basée sur un trio formé des SES, de l'histoire-géographie et des maths», explique Benoît Guyon, vice-président de l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES). «Tout en ayant conscience que l'histoire-géographie est présente dans le tronc commun, l'élève doit choisir deux disciplines parmi SES, maths et HGGSP [histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, ndlr]. Plus qu'un choix, c'est un dilemme.»

Pour ce professeur de sciences économiques et sociales, choisir la spécialité SES ne devrait pas poser de problèmes aux élèves doublant: «Avec la réforme du lycée, certains élements des anciens programmes de terminale ont été basculés en première. Les prérequis de première auront donc déjà été abordés cette année. Ces élèves-là partiront donc avec de l'avance.»

Les autres choix semblent plus épineux, comme l'explique Marina, professeure d'histoire-géographie, qui enseigne la spécialité HGGSP cette année en classe de première (et l'enseignera également l'an prochain en terminale): «Les doublants vont débarquer sans avoir de notion de géopolitique. Ça va leur faire tout drôle. Ils ont intérêt à anticiper pendant les vacances d'été pour rattraper les chapitres non abordés... Or on sait très bien que bosser l'été est une chose très compliquée, et bosser en solo devant un manuel scolaire qu'on découvre relève également du casse-tête.»

Mise à jour indispensable

Dans le lycée où exerce Marina, on envisage de proposer un stage de cinq jours, destiné en priorité aux élèves qui auront raté leur bac, et qui permettra de leur offrir une mise à jour rapide et efficace sur les enseignements non suivis en première. «Si la situation sanitaire le permet, bien entendu.» Il n'y a pas qu'en HGGSP que ce genre de stage semble nécessaire. Les élèves redoublant qui voudraient choisir la spécialité mathématiques en terminale ont du pain sur la planche, en particulier pour les ancien·nes de la série ES.

Le nouveau programme de mathématiques de première est extrêmement chargé, pour ne pas dire impossible à boucler (en janvier, le ministre a même annoncé vouloir aménager l'enseignement des maths afin de colmater les brèches). Il inclut notamment plusieurs chapitres de géométrie (produits scalaires, équations de droites) non abordés dans le cadre de la série ES. Cela représente environ un quart du programme, sans comper d'autres nouveautés telles que l'arithmétique.

«Les redoublants de la filière scientifique se retrouveront en terrain connu», explique Ismaël, professeur de mathématiques en Ille-et-Vilaine, «mais les autres ont du souci à se faire». L'enseignant voit bien une solution, également suggérée par Benoît Guyon: «Parmi les enseignements à caractère optionnel, on trouve une discipline nommée “Maths complémentaires”, proposée uniquement en terminale. Elle est destinée aux élèves ayant arrêté la spécialité mathématiques en fin de première, mais elle peut aussi convenir aux doublants. C'est plus accessible et cela nécessite d'avoir moins de connaissances préalables... mais comme c'est une option, elle représente trois heures de cours en plus dans l'emploi du temps hebdomadaire.»

Dans le nouveau bac sauce Blanquer, les options n'apportent plus de points supplémentaires aux élèves: on les suit pour la beauté du geste, afin de gonfler son dossier Parcoursup. Elles ne sont comptabilisées que dans le cadre du contrôle continu. «Ce sera difficile pour des élèves, surtout pour des doublants, donc des élèves en difficulté ou ayant du mal à se mettre au travail, d'accepter de faire trois heures en plus par semaine sans que cela puisse réellement les aider à obtenir le bac», commente Ismaël.

Conserver ses bonnes notes: prévu... mais impossible

Renseignements pris auprès du ministère de l'Éducation nationale, les élèves redoublant devront bien passer les mêmes épreuves que leurs camarades de terminale, donc travailler sur les nouveaux programmes. Un système de conservation de notes avait été prévu, comme l'indiquait par exemple un article de L'Étudiant. Le but était qu'un·e élève ratant son bac puisse garder pour l'année prochaine une ou plusieurs bonnes notes obtenues en juin 2020, avec un système de correspondances par matière.

Par exemple, un·e candidat·e de terminale L obtenant 13 en littérature mais échouant au bac aurait dû avoir la possibilité de conserver sa note, laquelle serait devenue un 13 dans la spécialité Humanités, littérature et philosophie.

Avec l'annulation des épreuves écrites du mois de juin, le système de conservation des notes n'a plus lieu d'être.

Un tel choix aurait permis à cet·te élève de ne pas être évalué·e dans cet enseignement de spécialité lors de sa nouvelle année de terminale, ce qui aurait représenté un poids en moins.

Mais le Covid-19 en a décidé autrement. Avec l'annulation des épreuves écrites du mois de juin, ce système de conservation des notes n'a plus lieu d'être, et les élèves devront donc choisir deux spécialités dans lesquelles il leur faudra rattraper les chapitres de première tout en travaillant ceux de terminale.

L'échéance de mars

Et il leur faudra être prêt·es le plus vite possible, d'abord parce que le contrôle continu entre en jeu dès le début de l'année, mais aussi parce que les deux épreuves écrites correspondant aux deux spécialités de terminale auront lieu... dès le mois de mars. «Le rythme sera très rapide dès la rentrée, avec des programmes plus volumineux que les anciens, qu'on finissait déjà au chausse-pied, avertit Benoît Guyon. Il faudra s'y mettre tout de suite.»

La série ES est sans doute la plus fragilisée par cette période de transition. Ailleurs, les enseignant·es semblent relativement confiant·es: «Ça ne me semble pas irrémédiable, confie Sara, professeure de lettres modernes. De toute façon, on a l'habitude du bricolage et des changements de programmes intempestifs. Les élèves savent s'adapter. Et puis, sans vouloir leur infliger le coup de pied de l'âne, il y en a toujours une bonne partie qui n'a quasiment aucun souvenir des enseignements de l'année précédente. Alors qu'on arrive de première ou qu'on redouble sa terminale, au fond...»

Moyenne pondérée

Souci n°2: comment la note de Nadia sera-t-elle calculée si elle doit refaire une année de terminale l'an prochain? Depuis cette année, les notes de contrôle continu (et des E3C) sont comptabilisées dès la première. Or Nadia a fait son année de première en 2018-2019, avant l'application de la réforme du bac. Là-dessus, le ministère s'est montré très clair: dans ce genre de situation, seule l'année de terminale sera prise en compte pour le contrôle continu. À titre personnel, Nadia regrette que ses notes de première ne puissent pas compter: «Je comprends cette règle, mais comme mes notes de première étaient plutôt correctes, ça aurait été un cool bonus.»

La note du bac Blanquer se calcule sur un total de cent coefficients, et tient compte de l'ensemble des éléments suivants:

  • la moyenne du contrôle continu de première (coeff. 5) et de terminale (coeff. 5).
  • les notes obtenues aux E3C de première (coeff. 15) et de terminale (coeff. 15).
  • les notes du bac français (coeff. 10).
  • les notes des épreuves passées en terminale (coeff. 50).

     
    «Avec ce ministère, on n'est plus à une surprise ou à une aberration près.»
    Marina, professeure d'histoire-géographie

     

Pour les élèves qui n'obtiendront pas leur bac cette année et retenteront leur chance l'an prochain, le calcul ne se fera pas sur une base 100, mais sur une base 80, puisqu'il faut ôter le contrôle continu et les E3C de première, qui ne devront pas être rattrapées.

«C'est un soulagement, reconnaît Marina à propos de ces dernières. Vous imaginez le calvaire d'élèves qui viendraient de rater leur bac et qu'on obligerait à cumuler travail intensif sur les contenus de terminale et bachotage sur les programmes non suivis en première? Cela semblait improbable, mais les annonces officielles nous ont beaucoup rassurés. Vous comprenez, avec ce ministère, on n'est plus à une surprise ou à une aberration près.» Une dernière phrase dans laquelle un grand nombre d'enseignant·es, ce qui inclut l'auteur de ces lignes, se reconnaîtra sans mal.

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