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Et si le Qatar perdait l'organisation de la Coupe du monde 2022?

Après que la justice américaine a accusé le pays d'avoir corrompu des membres du comité exécutif de la FIFA en échange de leur vote, les États-Unis mettent la pression sur Doha.

Certains stade sont déjà terminés, comme celui de al-Bayt à Doha et les travaux de construction continuent malgré l'épidémie. | Giuseppe Cacace / AFP
Certains stade sont déjà terminés, comme celui de al-Bayt à Doha et les travaux de construction continuent malgré l'épidémie. | Giuseppe Cacace / AFP

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Ils ne l'ont jamais digéré, leur défaite face à Doha à propos de l'attribution du Mondial… Des Américains sûrs de leur campagne et dominés par un petit État gazier, c'est l'affront de trop pour Bill Clinton, raconté en détails par le Daily Telegraph. L'ex-président et ambassadeur de la candidature américaine, qui s'attendait à lutter contre l'Australie et le Japon, avait en rentrant dans sa suite d'hôtel pris un ornement de la table basse en face de lui et «fracassé» le miroir. À l'époque président, Barack Obama en était resté sans voix.

Depuis, la justice américaine a déclenché le Fifagate, fait tomber Blatter, et mis Platini hors-jeu pour son vote pro-Qatar. Depuis le début, l'objectif est clair: récupérer la Coupe du monde 2022.

Le dernier communiqué de la justice américaine rappelle ce que tout le monde sait depuis des années, avec un petit tacle vis-à-vis de l'ennemi russe au passage:

  • Jack Warner (à l'époque vice-président de la FIFA) aurait reçu 5 millions de dollars de la Russie en échange de son vote (Mondial 2018).

  • le Brésilien Teixera (ex-membre du comité exécutif de la FIFA) aurait, lui, touché des pots de vin afin de voter pour Doha (Mondial 2022).

Accords secrets, corruption via des distributions d'enveloppes pleines de billets, chantage et échanges de voix, le cerveau de la victoire du Qatar, Mohamed Bin Hammam a, lui, été banni à vie par la FIFA de toute activité footballistique… Et l'interdiction formelle de s'exprimer pour ce proche du père Al Thani, qui a laissé le trône à son fils en 2013.

À quel point la pression américaine peut-elle peser? Certains stades qataris sont déjà terminés et les États-Unis ont été désignés pour co-organiser le Mondial 2026 avec le Canada et le Mexique.

La réponse pourrait être géopolitique: selon des personnes bien informées, si le régime iranien tombe sous la pression commerciale américaine et qu'un nouvel organigramme pro-occidental prend le pouvoir à Téhéran, cela pourrait rebattre les cartes dans le Golfe et voir l'Iran, principal allié de Doha, l'abandonner dans un jeu de dominos politico-footballistique.

Blatter s'en mêle

Dire tout et son contraire. Sepp Blatter est maître en contre-vérités, intox et manipulations médiatiques. Alors qu'il a lui-même voté pour Qatar 2022 d'après de fins connaisseurs du scrutin (tout en ayant toujours affirmé avoir voté pour les Américains), l'ex-président historique de la FIFA a pris le relais du procureur général de Brooklyn, suggérant désormais de retirer l'organisation du tournoi au Qatar. Mais alors où jouer le Mondial? À qui le confier? «À l'Allemagne, mais cela ferait alors deux éditions de suite en Europe après l'édition 2018 en Russie. Le Japon est aussi une possibilité, mais je pense aux États-Unis. Ils organisent déjà l'édition de 2026 (avec le Mexique et le Canada) et ont déjà l'expérience de 1994», répond Blatter. Les Américains, évidemment, ont des dossiers sur lui…

 

 

En Allemagne? Le Suisse a certainement dû oublier comment s'était faite l'attribution de la Coupe du monde 2006 outre-Rhin, et qu'un procès s'était ouvert début mars pour corruption vis-à-vis de quatre hauts responsables germaniques (il a ensuite été suspendu à cause de la crise de coronavirus, et n'ira pas à son terme pour prescription). Le temps que la pression médiatique fasse son office sous l'impulsion de Blatter, lequel est par ailleurs appuyé régulièrement par des ONG, soucieuses à présent de voir des travailleurs immigrés poursuivre les travaux dans la construction des stades de Doha et ses environs malgré l'épidémie de Covid-19 dans le pays.

Les relations cordiales entre Infantino et le Qatar

Difficile à imaginer que Gianni Infantino lâche le Qatar tant le successeur de Blatter à la tête de la FIFA a montré sa proximité avec le petit pays du Golfe. Quelques semaines après avoir été élu, l'Italo-Suisse se rendait en jet privé à Doha, «dans des conditions interdites à partir du moment où les vols ont été payés par des tiers et considérés comme avantage personnel», selon un rapport interne de l'instance du foot mondial.

Leurs relations sont toujours aussi cordiales aujourd'hui. Récemment, la FIFA a retiré sa plainte contre Nasser al-Khelaïfi, président du PSG, mis en cause dans «l'octroi de droits de retransmission (TV) de plusieurs éditions de la Coupe du monde et de la Coupe des confédérations (de 2018 à 2030)», d'après un communiqué du parquet suisse. Pour quelles raisons? Le quotidien britannique The Times affirme que le patron du Paris Saint-Germain aurait payé «un peu plus d'un million de francs suisse» (environ 943.000 euros) à la FIFA contre l'abandon des poursuites.

En clair, Gianni Infantino ne laissera pas tomber Doha. Très sûr de lui, il semble en plus profiter de la clémence de la justice suisse dans le cadre d'une affaire bien embarrassante. En cause, trois rencontres très secrètes avec Michael Lauber, le patron du parquet helvète et des soupçons de collusion entre le Suisse et des magistrats helvètes.

Le 27 avril, la Tribune de Genève va encore plus loin, expliquant que «Gianni» aurait insisté auprès de la justice suisse pour qu'une enquête le concernant soit abandonnée.

Que risque le président du foot mondial? Pas grand-chose de la part d'une institution judiciaire ayant souvent fermé les yeux vis-à-vis d'une FIFA qui apporte de l'argent, paie des impôts et crée des emplois de l'autre côté des Alpes.

Protégé dans son pays pour le moment, Infantino marche sur un fil, avec le souci de ne troubler personne, et surtout pas les plus grand·es chef·fes d'État. Mais jusqu'à quand pourra-t-il résister à la justice américaine sans remettre en cause le Mondial qatari?

Son nom a été cité il y a plusieurs années dans l'affaire des Panama Papers et les Américains ont les moyens de le faire tomber. Et si l'on assistait prochainement à un nouveau Fifagate cinq ans après? Tous les ingrédients sont réunis. Digne d'un thriller Netflix.

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