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Après avoir lutté contre le Covid-19, la Chine lutte contre les critiques

Tandis que l'exposition de Pékin au virus reste surveillée de près, le Parti communiste chinois se démène pour défendre sa gestion de l'épidémie aux yeux du monde.

Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, durant une séance photos le 10 septembre 2019 à Paris. | Martin Bureau / AFP
Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, durant une séance photos le 10 septembre 2019 à Paris. | Martin Bureau / AFP

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En Chine, l'apaisement de l'épidémie de coronavirus s'accompagne d'un raidissement des autorités. Un climat de méfiance et d'irritation semble régner au sommet du pouvoir chinois, sans doute accompagné de vifs débats internes. Une rare information sur de possibles remous dans la direction chinoise est venue de l'annonce, le 7 avril, qu'une enquête était lancée par la commission de discipline du Parti communiste contre Ren Zhiqiang. Celui-ci est un milliardaire appartenant à la catégorie des «princes rouges», les fils de haut dignitaires du temps de Mao Zedong.

Comme 170.000 officiels du parti, il a assisté le 23 février à une visioconférence où Xi Jinping détaillait la bonne gestion du coronavirus en Chine. Sur internet, Ren Zhiqiang a osé écrire à propos du numéro 1 du parti, mais sans le nommer: «Je n'ai pas vu un empereur exhibant sa nouvelle parure mais un clown qui se déshabillait tout en continuant d'affirmer qu'il était empereur.» L'étonnant est que Ren Zhiqiang est considéré comme un proche du vice-président Wang Qishan, un important allié de Xi Jinping.

Loin de l'agitation possible au sommet du pouvoir, les grandes villes chinoises ont été autorisées à sortir du confinement depuis la mi-avril: Shanghai, Chengdu ou Canton ont retrouvé un rythme de vie presque normal. Même à Wuhan, la ville où le coronavirus est apparu en décembre, les restrictions de circulation ont largement été levées.

En revanche, Pékin reste étroitement surveillée. Les quelques avions –la plupart de compagnies chinoises– venant de l'étranger ne peuvent y atterrir. Ils sont détournés vers les aéroports d'autres villes, Xi'an ou Chongqing notamment, afin que les voyageurs et voyageuses soient soumises à quatorze jours de quarantaine dans une chambre d'hôtel. Même celles et ceux ayant un statut de diplomate doivent se plier à cette obligation.

La gestion chinoise est la meilleure

Dans la capitale, la crainte d'une deuxième vague de coronavirus justifie le maintien de nombreuses précautions. D'autant plus que la haute direction du Parti communiste réside au centre de la ville. Les comités de quartiers restent donc actifs. Leurs membres continuent de vérifier la température de chaque habitant·e sortant de son domicile ainsi que le QR code que doit contenir son téléphone pour indiquer son état de santé. Ces contrôles se sont intensifiés depuis que plusieurs personnes sont autorisées à sortir ensemble d'un même appartement et que les enfants retournent progressivement à l'école.

La surveillance de la population pékinoise est organisée par l'échelon municipal du parti, lequel semble avoir instauré un contrôle plus strict que jamais sur l'administration. Les ambassadeurs et ambassadrices de pays occidentaux le constatent lorsque le ministère des Affaires étrangères les convoque pour leur dire que les critiques formulées dans leur pays à l'encontre de la gestion chinoise du Covid-19 sont «parfaitement inadmissibles».

Un durcissement des autorités chinoises semble s'être instauré mais il n'est pas évident de l'analyser. Le sinologue Jean-François Di Meglio, qui préside l'institut de recherches Asia Centre, propose une interprétation: «Est-ce qu'un débat a lieu au sommet du pouvoir en Chine? Ou est-ce que c'est une répartition des rôles? En tout cas, il y a manifestement de l'inquiétude. On peut avoir l'impression que le pouvoir chinois cherche à cacher qu'il est désorienté. Ce qui provoque des remises en cause au sein de l'équipe dirigeante et dans le pays, tout en provoquant des remous dans la communauté internationale.»

Pour souligner son efficacité, le pouvoir chinois proclame avoir mené une «action victorieuse» contre le Covid-19. Il n'admet pas qu'on lui rappelle qu'il a attendu plus d'un mois avant de déclencher une mobilisation contre la maladie, ni qu'il a commencé par faire taire les médecins qui, à Wuhan, lançaient l'alerte. La priorité, pour le régime, est d'affirmer que son mode de gestion, et en particulier dans le domaine de la santé, est grandement supérieur à celui des démocraties occidentales.

Terrain diplomatique glissant

Les éditoriaux publiés sur le site internet de l'ambassade de Chine en France s'inscrivent dans cette logique. Il n'est pas sûr qu'ils atteignent l'objectif souhaité à Pékin. Le dernier en date de ces papiers, paru le 12 avril, a certainement reçu un aval à Pékin où, semble-t-il, des consignes d'affirmation de la supériorité de la gouvernance à la chinoise dominent actuellement. Sous le titre «Rétablir des faits distordus – Observations d'un diplomate chinois en poste à Paris», ce texte demande: «Qu'ont fait les Européens et les Américains pendant les deux mois qui ont suivi le premier signalement [du Covid-19 par la Chine]?»

Et de répondre: «Ils ont déclaré qu'il ne s'agissait que d'une “grippette”, qu'il était inutile de s'inquiéter, que le virus ne frappait que les Jaunes et que le risque de le voir circuler dans leurs pays était minime.» Un peu plus loin sont écrites d'autres affirmations tout aussi déroutantes: «On a vu des politiciens [...] s'entre-dérober des fournitures médicales; revendre à des structures privées les équipements achetés avec l'argent public pour s'enrichir personnellement. Et les personnels soignants des Ehpad ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie.»

Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, parfaitement francophone, est considéré comme l'auteur de ces écrits. Il s'était fait remarquer en janvier 2019 dans son précédent poste au Canada, en dénonçant «l'égoïsme occidental» et le «suprémacisme blanc» lorsque la directrice financière du groupe chinois d'informatique Huawei avait été arrêtée à Vancouver à la suite d'une fraude de l'entreprise. Lorsqu'il a quitté Ottawa pour Paris, nombre de médias canadiens se sont réjouis de son départ.

En tout cas, ce qui a été écrit sur le site de l'ambassade à Paris a valu à Lu Shaye d'être convoqué, le 14 avril, par Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères. Depuis qu'en 1964, la France et la Chine ont établi des relations diplomatiques, jamais un ambassadeur de Chine n'avait fait l'objet d'une pareille démarche, qui plus est clairement annoncée par le ministère et non pas entourée de discrétion. Au sortir de cette rencontre, Jean-Yves Le Drian a publié un communiqué dans lequel il indique avec concision: «J'ai fait connaître clairement ma désapprobation de certains propos récents à l'ambassadeur de la République populaire de Chine en France.»

Le lendemain, à Pékin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères parle d'un «malentendu» et rejette «tout commentaire négatif sur la façon dont la France fait face à l'épidémie» de coronavirus. Tandis qu'à Paris, l'ambassade de Chine explique que, dans l'article incriminé, les propos concernant les Ehpad sont «issus de reportages de presse sur d'autres pays européens et ne concernent pas la France».

Par ailleurs, le 16 avril, lors d'une interview au Financial Times, Emmanuel Macron estimait qu'«on ne sait pas comment le coronavirus est apparu en Chine». Et précisait: «Ne soyons pas naïfs au point de dire que la Chine a été meilleure que nous. Le pays devra répondre après la crise à des questions difficiles.» Sur RMC, l'ambassadeur Lu Shaye commente prudemment ces propos en disant: «Je ne crois pas qu'Emmanuel Macron ait l'intention d'accuser la Chine. Il veut seulement dire que les systèmes français et chinois sont différents et qu'il n'est pas possible de faire la comparaison.» Le dialogue franco-chinois est désormais en mode on ne peut plus feutré.

Le chaud et le froid

La relation avec les États-Unis n'est certainement pas plus simple. La mise en cause d'une absence de précaution sanitaire par la Chine a succédé à Washington au conflit économique et commercial qui avait démarré il y a près de deux ans entre les deux pays. Face à la pandémie actuelle, une volonté d'entraide réciproque est parfois affichée.

Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, a ainsi déclaré que la Chine et les États-Unis «ont confirmé leur engagement à vaincre l'épidémie et à rétablir la santé et la prospérité mondiales». De même, Yang Jiechi, qui auprès de Xi Jinping est conseiller spécial pour la politique étrangère, a proclamé que Pékin est «prêt à continuer à partager ses informations et son expérience» de la gestion de la pandémie avec les États-Unis.

Mais visiblement, à l'approche des élections présidentielles américaines de novembre prochain, l'un des objectifs de Donald Trump est d'accuser la Chine de n'avoir pas su arrêter à temps la diffusion de la pandémie. Les États-Unis ont donc décidé de suspendre leur contribution financière à l'OMS –l'Organisation mondiale de la santé étant aux yeux de Donald Trump trop complaisante à l'égard de la Chine. Ce retrait a amené la Chine à annoncer le 23 avril son intention de faire un don de 30 millions de dollars à l'OMS –qui s'ajoutent aux 20 millions qu'elle a donnés en mars. Mais ces sommes restent loin des 450 millions de dollars que versaient chaque année les États-Unis à l'organisation.

D'autre part, le laboratoire P4, situé dans l'institut de virologie de Wuhan et qui héberge des germes extrêmement pathogènes, est ouvertement soupçonné par l'administration Trump et la chaîne de télévision Fox News d'avoir accidentellement provoqué l'épidémie actuelle de coronavirus. Il aurait laissé échapper une chauve-souris sur laquelle étaient pratiquées des expérimentations.

L'origine demeure inconnue

Le laboratoire P4 en question a été installé à Wuhan en 2013. Il est une réplique du P4 inauguré en 1999 par Jacques Chirac dans le quartier de Gerland à Lyon. Un lien d'amitié personnel existe entre Alain Mérieux et Xi Jinping depuis les années 1990, lorsque le futur numéro 1 chinois était gouverneur de la province du Fujian et que le directeur du laboratoire français cherchait où, en Chine, installer un premier centre de recherche qui verra finalement le jour à Shanghai.

Que le Covid-19 provienne du P4 de Wuhan «n'est pas une hypothèse crédible» selon la direction du laboratoire Mérieux en France. Où de toute façon, on indique ne plus participer à la gestion de cet institut chinois depuis plusieurs années. Mais à Wuhan, des chercheurs chinois travaillant dans ce P4 ont souligné, notamment sur la CGTN, la télévision nationale chinoise, combien les standards de sécurité scientifiques sont stricts à l'intérieur de ce laboratoire.

Dans plusieurs journaux chinois, Yuan Zhiming, le directeur de l'Institut de virologie de Wuhan, assure: «Nous savons exactement quel type de recherche sur les virus est effectué dans notre institut et comment l'institut traite les échantillons. Comme nous le disons depuis longtemps, ce virus ne pouvait en aucun cas venir de chez nous. Nous avons un système de gestion strict, il y a un règlement sur la recherche et d'autres choses du genre, donc nous en sommes absolument sûrs.» Quant à l'hypothèse selon laquelle le virus aurait été créé artificiellement, Yuan Zhiming souligne l'absence de preuve en ce sens et affirme: «Jamais je ne pourrai croire que l'humanité a déjà suffisamment de connaissances pour recréer un tel virus.»

Il est fort probable que la polémique sur l'origine du Covid-19 durera longtemps. Pour le moment, les dirigeants chinois font procéder, à leur manière, à quelques mises en ordre: ils ont fait arrêter le 18 avril par la police de Hong Kong quatorze leaders du mouvement pro-démocratie. Parmi eux, l'avocat Martin Lee qui a rédigé la constitution locale et Jimmy Lai, un dirigeant de médias.

Ces quatorze personnalités sont accusées d'avoir, l'an dernier, soutenu et participé aux manifestations hostiles à la mainmise de Pékin sur le territoire. Cette vague d'arrestations ne s'était pas produite entre juillet et novembre, au plus fort de la contestation. Mais, en ce mois d'avril, alors que Hong Kong comme le reste du monde s'occupe en priorité de gérer la pandémie, le Parti communiste chinois a visiblement décidé de passer à la répression.

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