France / Société

Avec Monique Villemin, un personnage-clé de l'affaire Grégory disparaît

La grand-mère du petit garçon est décédée le 19 avril à l'âge de 88 ans. A-t-elle emporté le secret dans sa tombe?

Monique Villemin et son mari à la cours de Dijon le 25 septembre 1987. | Gérard Cerles / AFP
Monique Villemin et son mari à la cours de Dijon le 25 septembre 1987. | Gérard Cerles / AFP

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Monique Villemin, et son époux Albert, avaient quitté leur pavillon d'Aumontzey, une commune vosgienne de moins de 500 habitant·es située en plein cœur de la vallée de la Vologne souvent rebaptisée «la Vallée des larmes», depuis que le corps du petit Grégory Villemin, 4 ans, avait été retrouvé, pieds et mains ligotées, dans les eaux glaciales de la rivière, à quelques kilomètres de là, le 16 octobre 1984. Il y a six mois, les grands-parents de l'enfant s'étaient installés dans un Ehpad de Baccarat (Meurthe-et-Moselle) où Monique Villemin est décédée, dimanche 19 avril, vraisemblablement des suites du Covid-19.

Le petit Grégory, 4 ans, a été retrouvé ligoté dans la Vologne. | Sandrine Issartel

«Je pense que Monique savait certaines choses en ce qui concerne le crime de Grégory», déclarait le 20 avril à l'AFP Me Thierry Moser, l'avocat de Jean-Marie et Christine Villemin, les parents de Grégory. «Elle aurait pu faire certaines révélations, mais elle ne l'a pas fait pour des raisons qui lui appartiennent.»

«Avant de mettre fin à votre déposition, avez-vous quelque chose à nous déclarer spontanément?», avait tenté l'un des gendarmes venu interroger Monique Villemin à son domicile en juin 2017, alors qu'elle était suspectée d'être l'autrice d'une lettre de menace anonyme adressée, en 1989, au juge Simon, en charge de l'instruction. La vieille femme avait implacablement répondu par la négative, rapporte le JDD. Quelles sont donc les raisons qui auraient pu contraindre cette grand-mère endeuillée par la mort de son petit-fils à s'emmurer dans le silence pendant près de quarante ans? Que cherchait-elle à préserver? Qui cherchait-elle à protéger?

Michel, le fils fragile

«[Ma mère] était douce et protectrice. Elle s'occupait beaucoup de ses six enfants, notamment de mon frère Michel qui était nerveusement fragile», se souvient Jean-Marie Villemin, dans le livre-témoignage, Le seize octobre, écrit avec son épouse et publié en février 1995. Michel est le second fils de la fratrie. Illettré, en proie à des convulsions et des accès de fureur depuis sa plus tendre enfance, il se sent exclu de la famille. Bien que demeurant en face de chez ses parents, il se plaint de n'être jamais convié aux repas dominicaux et nourrit un sentiment très vif de jalousie à l'encontre de son petit frère, Jean-Marie, à qui tout semble réussir.

Le jour du drame, c'est lui qui reçoit, aux alentours de 17h30, le funeste appel du corbeau. «Je me suis vengé du chef et j'ai kidnappé son fils. Je l'ai étranglé et je l'ai jeté à la Vologne. Sa mère est en train de le rechercher mais elle ne le retrouvera jamais. Ma vengeance est faite.» Le corps de l'enfant est retrouvé quelques heures plus tard. Lorsqu'il est entendu par les gendarmes le soir même, Michel est dans un tel état d'agitation qu'il est placé en garde à vue.

«Ma mère ne comprenait pas que je questionne [Michel]. Elle donnait plus d'importance au malaise de mon frère qu'à notre douleur.»
Jean-Marie Villemin, «Le seize octobre»

Rapidement mis hors de cause, Michel s'est toutefois bien gardé de s'épancher sur la proximité qu'il entretient avec son cousin, Bernard Laroche, qui fera rapidement figure de suspect numéro 1. Ce jour-là, Bernard Laroche et Michel Villemin ont passé l'après-midi ensemble chez ce dernier et Monique, qui a constaté la présence du véhicule de Laroche devant chez elle, n'en a fait état qu'en 2017.

Jean-Marie Villemin avait remarqué quelque chose d'inadapté dans l'attitude de sa mère concernant son frère. Après le drame, le couple de jeunes parents s'était installé chez Albert et Monique, ne pouvant supporter le poids de l'absence de leur enfant dans leur maison. Tandis que Bernard Laroche commençait à susciter l'intérêt des enquêteurs, Jean-Marie avait questionné son frère Michel, les sachant très proches, ce qui avait plongé Michel dans une rage folle au point de nécessiter l'intervention d'un médecin. «Il vaut mieux que vous partiez, c'est pour lui», avait dit Monique à Jean-Marie. «Ma mère ne comprenait pas que je le questionne. Elle donnait plus d'importance au malaise de mon frère qu'à notre douleur», se désolait-il dans son ouvrage.

Christine, «la pimbêche»

Les parents de Grégory se sentent de plus en plus rejetés. Personne dans le clan Villemin ne fait cure de l'antipathie ressentie à l'égard de Christine, que l'on surnomme «la pimbêche». Et Monique ne se prive pas d'accabler sa belle-fille auprès des enquêteurs, en avril 1985, lorsque Jean-Marie est incarcéré après avoir abattu Bernard Laroche, qu'il considérait comme le meurtrier de son fils, alors même que Christine se retrouve dans le viseur des enquêteurs. «Je trouve qu'elle n'était pas prête à avoir un gamin. Elle ne lui portait pas un véritable amour maternel. Elle l'embrassait très peu, contrairement aux autres mamans. Elle profitait de chaque occasion pour donner Grégory à Jean-Marie. […] Elle s'en débarrassait.» La grand-mère va jusqu'à faire porter la responsabilité de la mort de Laroche à sa brue. «Jean-Marie […] agissait ou parlait pour prendre la défense de Christine, après que celle-ci l'avait remonté. Selon moi, ce serait plutôt elle qui l'aurait poussé à tuer Laroche [...]. Quand Laroche était en prison, Christine s'est énervée et a dit à Jean-Marie: “Tu n'as qu'à buter Marie-Ange [la femme de Bernard Laroche] et son fils”.»

Et lorsque Christine Villemin est traînée à terre, accusée à tort d'être la meurtrière de son propre fils, en juillet 1985, ce n'est là encore pas auprès de sa belle-famille qu'elle pourra trouver du réconfort, puisque les parents de Jean-Marie se sont constitués partie civile contre elle, lorsqu'elle sera mise en examen pour l'assassinat de son fils.

 

 

Les liens entre Jean-Marie et ses parents se rompent. En 1988, le couple fuit ce climat malsain et part s'installer dans l'Essonne sans savoir qu'il n'est pas au bout de ses peines. En juin 2017, Claire Barbier, la présidente de la Chambre d'instruction à Dijon, les convoque dans son bureau et annonce que de récentes études graphologiques font de Monique Villemin l'autrice d'un courrier de menace adressé en 1989 au juge Simon, convaincu de l'innocence de Christine Villemin. «Vas-tu voir 1990? ça, c'est notre affaire, en tous cas, tu seras tué», avait reçu le magistrat à la santé fragile. Interrogée à ce sujet en 2017, la vieille femme avait reconnu une similitude avec son écriture lorsque les enquêteurs lui avaient soumis la missive.

Pourquoi tant d'acharnement contre sa belle-fille? Et surtout pourquoi tant de détermination à défendre son neveu Bernard Laroche? Est-ce parce qu'elle l'a en partie élevé lorsque sa mère est morte en couches qu'elle le défend contre son propre fils? La proximité de Michel et du petit frère de Monique avec Bernard Laroche a-t-elle fait perdre à cette mère de famille tout sens du discernement?

Marcel Jacob, l'envieux

Le nom de Marcel Jacob, petit frère de Monique, n'avait pas fait couler beaucoup d'encre jusqu'au dernier rebondissement de l'affaire en juin 2017. De nouvelles investigations avaient mené les enquêteurs jusqu'à lui et son épouse. Une perquisition avait été menée dans leur maison mauve, sur les hauteurs d'Aumontzey, voisine de celle qu'occupait Bernard Laroche au moment des faits. Marcel n'a jamais caché son animosité à l'encontre d'Albert Villemin, encore moins sa jalousie vis-à-vis de son neveu Jean-Marie. En 1982, alors que celui-ci venait d'être nommé contremaître, son oncle l'avait violemment pris à parti: «Je ne serre pas la main à un chef. Tu n'es qu'un rampant qui n'a pas de poils sur la poitrine.»

La maison des Jacob sur les hauteurs d'Aumontzey. | Sandrine Issartel

En fouillant le domicile de l'ancien ouvrier, les gendarmes ont retrouvé, dans le garage, une lettre écrite par Marcel, adressée à sa sœur Monique et datée du 14 décembre 2009, mais jamais envoyée. Une lettre dont on a pu lire la retranscription sur le site du quotidien Libération: «16/10/84, dans l'affaire Grégory Villemin, je suis innocent à 100%, je le jure sur la tête de maman et ma fille ma blondinette mes petits-enfants Régine grec et toute ma famille. Signé Marcel.» Pourquoi un tel courrier de la part d'un homme qui n'a rien à se reprocher? «[…] parce que j'étais embêté par les gendarmes et que s'il m'arrivait quelque chose que ma famille et mes proches apprennent que je n'ai rien à voir dans cette affaire», avait-il tenté d'expliquer.

Marcel Jacob et son épouse, Jacqueline, dont les emplois du temps le 16 octobre 1984 n'ont jamais pu être vérifiés, ont été mis en examen, ainsi que Murielle Bolle, la jeune belle-sœur rousse de Bernard Laroche, en juin 2017 pour «enlèvement et séquestration suivis de mort». Ces mises en examen ont finalement été annulées en mai 2018 pour vice de procédure, ce qui ne signifie pas que l'enquête soit close pour autant.

Il faudra cependant aujourd'hui se passer des révélations, fantasmées ou attendues, qu'aurait pu livrer Monique Villemin, celle qui jusqu'à la fin de sa vie aura tenté de concilier l'inconciliable au sein d'une famille scindée en clans rivaux sur fond de jalousie. Et ce, quand bien même cela eut-il coûté le prix de la vérité. Il est trop tard pour en juger. «Jean-Marie est évidemment triste, a fait savoir Me MoserC'est le chagrin d'un père qui perd sa mère malgré les difficultés très intenses qui ont pu exister entre eux à un moment donné.»

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