Médias / Politique

Même pendant la crise du Covid-19, les rumeurs politiques ont la vie dure

Remaniement, dissolution de l'Assemblée nationale, démission présidentielle: les médias bruissent, sauf qu'Emmanuel Macron devra sans doute inventer autre chose de tout à fait nouveau.

Adresse d'Emmanuel Macron aux Français·es, le 13 avril 2020. | Martin Bureau / AFP
Adresse d'Emmanuel Macron aux Français·es, le 13 avril 2020. | Martin Bureau / AFP

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En ces temps de crise sanitaire, les réflexes politiques ne disparaissent pas. Certain·es s'en désolent, d'autres s'en réjouissent. Que l'on penche pour l'un ou l'autre de ces deux sentiments, cela montre quand même que la démocratie est toujours vivante.

En l'espace de quelques jours, comme s'il fallait se donner un peu d'air pour se changer des idées morbides que véhicule ce fichu virus, des médias se sont fait l'écho de scénarios pour «le jour d'après».

Selon un processus bien connu dans la presse, les «révélations» de l'un ont été reprises par d'autres, qui n'avaient pas eu le bonheur d'être dans le circuit des fuites, des fantasmes ou des inventions journalistiques –au choix.

Il faut bien combler les vides. Comme le Covid-19 occupe tout l'espace de l'information, ce qui est présenté comme un tuyau politique prend des proportions démesurées et permet d'alimenter la chronique pendant un petit moment. Au risque de brasser de l'air dans le néant, sans prendre le moindre recul.

Il a suffi d'une phrase un peu énigmatique d'Emmanuel Macron dans sa troisième adresse télévisée aux Français·es en un mois, le 13 avril (36,7 millions de téléspectateurs et téléspectatrices), pour que la machine se mette en route.

Propros déformés

Qu'a donc dit le président de la République, sans doute à dessein, pour enclencher le processus? «Il y a dans cette crise une chance: nous ressouder et prouver notre humanité, bâtir un autre projet dans la concorde. Un projet français, une raison de vivre ensemble profonde. Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner ce chemin qui rend cela possible.»

Quitte à tordre un peu les propos du chef de l'État, «bâtir un autre projet dans la concorde» est devenu chez certain·es journalistes «former un gouvernement de concorde» ou, plus précis encore, «un gouvernement d'union nationale».

Peu importe que Macron n'ait pas utilisé ces formules. D'aucuns estimaient qu'ils étaient en droit de lui en attribuer l'esprit, sans barguigner de passer de l'esprit à la lettre.

Ce tour de magie était d'autant plus réalisable qu'un peu plus loin, dans son allocution, le président précisait: «Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner ce chemin qui rend cela possible.» C'était bien la preuve qu'il concoctait un truc.

Pour faire bonne mesure, il s'agissait de donner encore plus de consistance à ce que Macron n'avait pas dit; il fallait remplir les cases et trouver les noms de celles et ceux qui allaient être appelés à incarner la «concorde», voire l'«union nationale».

Patronymes jetés en pâture

Pour satisfaire l'appétit de l'ogre médiatique, on a jeté quelques patronymes ministrables en pâture. On a évoqué les noms de Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), de Michel Barnier, de Stéphane Le Foll, de Jean-Pierre Chevènement et de Manuel Valls.

Toutes ces personnalités ont occupé, dans un passé proche mais aussi parfois très lointain, des fonctions gouvernementales. La première a été ministre de l'Écologie de Nicolas Sarkozy, le dernier a été Premier ministre et ministre de l'Intérieur de François Hollande, pendant que Le Foll était son ministre de l'Agriculture.

Barnier, qui s'occupe des relations post-Brexit de l'Union européenne avec le Royaume-Uni, a exercé sous Sarkozy, Jacques Chirac et même en fin de règne de François Mitterrand.

Chevènement, pour sa part, a été ministre de Mitterrand dès 1981, puis à nouveau pendant la présidence Chirac, après la dissolution ratée de 1997. Longtemps représentant de l'aile gauche du Parti socialiste, il a la particularité assez rare d'avoir démissionné trois fois du gouvernement –autant dire qu'il faut réfléchir avant de l'y faire entrer.

Toutes ces personnalités pourraient occuper un poste ministériel, mais il se trouve qu'aucune d'entre elles n'est vraiment représentative de la «concorde» ou de l'«union nationale».

NKM ne paie plus depuis belle lurette ses cotisations au parti Les Républicains, dont une bonne partie des membres la déteste cordialement.

Le Foll, dont l'ADN hollandais a pris un sérieux coup, est un électron tellement libre au sein du PS qu'on a un peu de mal à le voir représenter ses camarades sociaux-démocrates.

Quant à Valls, ce n'est plus de la détestation qu'il suscite chez beaucoup de militant·es socialistes mais un véritable rejet, voire une haine tenace. Faut-il préciser que Le Foll et Valls ont déjà fait savoir, chacun à leur manière, qu'une telle hypothèse ministérielle n'entrait pas dans leur plan de carrière immédiat.

 


Stéphane Le Foll et Manuel Valls, pas si ministrables. | Martin Bureau / AFP

Socle électoral stable

Toutes ces hypothèses, pour attrayantes et chatoyantes qu'elles soient sur le plan médiatique, n'entrent pas dans le cadre d'une refondation politique à proprement parler.

Elles peuvent tout à fait satisfaire des ambitions individuelles parfaitement légitimes, mais sûrement pas faire bouger les lignes politiques comme la composition du gouvernement post-élection présidentielle de 2017 y était parvenue.

Il ne faut, en effet, pas s'y tromper: la victoire inattendue de Macron a provoqué un véritable séisme sur l'échiquier politique, dont les répliques successives se font encore sentir à droite et à gauche, trois ans après sa survenance.

Ce phénomène politique, dont quelques prévisionnistes avaient annoncé la disparition rapide –et continuent d'ailleurs à le faire–, s'est installé dans l'électorat mitoyen de l'axe central que représente le macronisme.

Il suffit pour le constater, à défaut de s'en convaincre, d'examiner les sondages qui, imperturbablement, donnent les mêmes indications depuis des mois et des mois.

Hors La France insoumise (gauche de la gauche) et le Rassemblement national (extrême droite), un tiers à la moitié des sympathisant·es de droite (Les Républicains) et de gauche (Parti socialiste), selon les enquêtes d'opinion et les items, ne sont pas dans une opposition frontale à l'exécutif. La vérité des chiffres, c'est que le socle du chef de l'État reste assez stable.

Filtre des «conseillers»

Que penser, au vu de ces constatations, des autres hypothèses émises dans les médias, qui citent pêle-mêle –c'est de bonne guerre, si l'on peut dire– des «conseillers», des «amis», des «proches», des «visiteurs du soir» ou les «entourages», soit de Macron, soit d'un·e ministre dont on a rarement la chance de connaître l'identité?

Le phénomène n'est pas nouveau, et on est tenté de dire qu'il est normal, puisque l'ensemble des professionnel·les de l'information vont à la pêche auprès de leurs contacts ou de leurs sources.

En même temps, comme dirait l'autre, les citoyen·nes sont en droit d'attendre un minimum de recul et d'analyse de la part de ces mêmes professionnel·les, afin de décrypter et de contextualiser.

Ces autres hypothèses qu'on lit ou qu'on entend, ici ou là, pour le «jour d'après» sont donc la dissolution de l'Assemblée nationale voire, plus exotique encore, une élection présidentielle anticipée provoquée par le locataire de l'Élysée lui-même. Excusez du peu!

Notons d'abord qu'il est extrêmement rare qu'on tienne ces bons tuyaux de la bouche du cheval lui-même. Et dans les deux cas mentionnés ci-dessus, le cheval, c'est le président de la République.

Les infos en question passent par les fameux filtres des «conseillers», des «amis», etc., quand elles ne répercutent pas tout bonnement les suggestions, les désirs ou les fantasmes des dits intermédiaires.

Il en va ainsi du «remaniement gouvernemental profond» qui est annoncé. Du reste, à force de l'annoncer avec la régularité d'un métronome, les météorologistes patenté·es finissent par avoir raison un jour ou l'autre –d'où les «comme nous l'annoncions», les «c'était prévisible» et les «on l'avait bien dit».

Scénarios improbables

Les journalistes prédisant le changement de Premier ministre car le bruit courait qu'il y avait du tirage entre l'Élysée et Matignon devraient prêter plus d'attention à la répartition des rôles entre Macron et le chef du gouvernement.

Non seulement Édouard Philippe s'occupe de l'intendance, et on pense ce qu'on veut de la politique qu'il met en œuvre mais l'homme s'en tire plutôt avec brio, mais il est un paratonnerre pour le président de la République –et il en est ainsi depuis mai 2017.

 


Édouard Philippe et Emmanuel Macron, duo dynamique. | Ludovic Marin / POOL / AFP

À l'évidence, les deux hommes ont tout intérêt à fonctionner ensemble le plus longtemps possible. Pendant tout le quinquennat, peut-être. L'annonce de son départ imminent est d'abord le fait de celles et ceux qui le souhaitent, à droite chez LR ou à La République en marche elle-même.

Quant à une dissolution de l'Assemblée, arme atomique du chef de l'État, l'intérêt en paraît plus que limité, à moins de vouloir ajouter une déstabilisation supplémentaire à la crise sanitaire en cours.

Lancer une campagne législative serait une décision qui non seulement ne se justifierait pas en l'absence de désaccord politique majeur au sein de la représentation nationale, ou même de la majorité parlementaire, mais elle aurait en outre de grandes chances d'être incomprise par l'opinion.

Toutes choses égales par ailleurs, la dissolution dite «de confort» décidée par Chirac en 1997 a de quoi faire réfléchir ses successeurs.

Il en irait de même, de façon décuplée, pour la démission du président de la République en vue de provoquer une présidentielle anticipée, à laquelle participerait le démissionnaire dans l'espoir de se ressourcer. Une telle opération courrait tous les risques d'être perçue par l'électorat comme un geste narcissique dévastateur.

Système inclusif

Si le quinquennat traverse une épreuve majeure et inattendue, celle-ci n'est pas le produit d'une crise politique traditionnelle. Elle nécessite, selon le mot de Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, une «réinitialisation», mais celle-ci doit certainement se faire avec des outils nouveaux qu'il faudra inventer.

L'union nationale n'est probablement pas la bonne méthode, tant elle risquerait, en laissant de côté les extrêmes, de les présenter en majesté comme les seules oppositions possibles à l'axe central macronien, flanqué d'une aile droite et d'une aile gauche.

Macron a probablement devant lui l'exercice le plus compliqué de son quinquennat, qui entre dans sa dernière partie: faire en sorte que les oppositions politiques restent les oppositions politiques tout en inventant un système inclusif qui, sur quelques dossiers impliquant l'avenir à court terme de la nation, intègre ces oppositions dans la réflexion de l'exécutif.

Le pari est audacieux pour le couple à la barre depuis trois ans. Il ne l'est pas moins pour lesdites oppositions qui, elles aussi, marchent sur une ligne de crête. On est loin de la tambouille d'un remaniement, d'une dissolution ou d'une démission présidentielle!

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