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C'est parti d'un coup, comme si quelqu'un avait brusquement éteint la lumière. En quelques heures, j'avais totalement perdu mon goût et mon odorat.
Le déni s'est brièvement installé dans ma tête. Oui, il n'est pas impossible que j'ai ingéré une cuillère à soupe de sauce poisson, qui ne m'a fait ni chaud ni froid, pour me tester. Mais ce doute a vite été balayé par la seule conclusion qui s'imposait: j'étais positif au Covid-19.
L'auto-diagnostic a été confirmé deux jours plus tard par ma médecin traitante, d'autant que ce que l'on appelle scientifiquement l'anosmie et l'agueusie s'accompagnaient alors de courbatures et d'une fatigue intense.
J'ai eu de la chance, je me suis physiquement remis en quelques jours, mais persistait toujours cette perte de goût et d'odorat: mon appartement empestait peut-être l'oignon pourri, je n'avais aucun moyen de le savoir.
Manger un plat n'avait plus aucun intérêt. Non, pour répondre à la question que l'on m'a beaucoup posée, ce n'est pas comme lorsque l'on est enrhumé·e et que l'on a le nez bouché. Ici, c'est comme si un sens entier s'était envolé. Il n'y a plus rien, nada.
«Une simple machine à digérer»
En parcourant les réseaux sociaux, j'ai vite réalisé que j'étais loin d'être le seul à être dans cette situation. Les scientifiques ne savent pas encore vraiment pourquoi le coronavirus coupe ces sens, mais le symptôme est très courant –surtout dans les cas bénins.
Olga, une amie qui travaille pour une ONG, me raconte qu'elle n'a pas compris tout de suite ce qu'il se passait: «C'était hyper soudain, sachant que je n'avais absolument pas le nez bouché. Ça m'a immédiatement frustrée, parce que c'est quelque chose qui m'arrive parfois quand j'ai une crève et étant très proche de mon odorat, si j'ose dire, c'était une souffrance.»
Très vite, lorsque l'on a la chance de ne pas trop souffrir du Covid-19, le moral en prend un coup. Cuisiner, prendre du plaisir à manger et tester de nouvelles recettes sont devenus pour beaucoup une façon de s'échapper du confinement, mais pour celles et ceux qui n'ont plus de goût, c'est la déprime qui s'installe sans crier gare.
«J'étais vraiment triste», se souvient Ana, une artiste dans sa vingtaine qui s'est rendu compte qu'elle ne sentait plus rien en mangeant des nouilles instantanées. «Tu parles d'un dernier repas, rigole-t-elle. Tout avait un goût de carton. Tu manges, mais uniquement pour te nourrir. Tout d'un coup, les plaisirs, comme manger des Coco Pops l'après-midi, n'existent plus.»
Une ancienne camarade de fac confie sur Twitter avoir perdu l'appétit quand elle a réalisé que même cuisiner ses plats préférés ne changeait rien à la donne. Elle était devenue, comme elle le dit, «une simple machine à digérer».
Je vais vous révéler quelque chose de terrible: sans goût, un morceau de chocolat n'a absolument aucun intérêt. Pareil pour un bout de fromage. Pire, mon pain-beurre salé du matin était devenu fade. Il m'est même devenu difficile, pendant un moment, de déceler à quel moment j'avais faim.
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Tout est dans la texture
Une fois la déprime passée, il faut se rendre à l'évidence. L'anosmie et l'agueusie vont durer de longs jours, voire quelques semaines. J'ai de la chance, évidemment: certaines personnes passent des années, voire une vie entière, sans retrouver le goût ou l'odorat, souvent des suite d'une maladie.
Mais en attendant de récupérer tous mes sens, il a bien fallu mettre en place des stratégies pour tenter de prendre un peu de plaisir en mangeant. La solution tient en un seul mot: «texture». Je ne pensais pas autant prononcer ce mot, et encore moins apprécier de manger de la salade frisée sans sauce, mais l'année 2020 est visiblement pleine de surprises.
J'ai également consommé beaucoup de chou-fleur, cru évidemment, et de thon en boîte. La prochaine fois que vous en mangerez, arrêtez-vous deux secondes sur la texture du poisson: c'est dur, fondant et filandreux à la fois. Un peu magique.
Olga, elle, a testé les effets «“chaud/froid”, comme par exemple mettre une grosse lampée de crème fraîche avec un plat brûlant», ainsi que les épices, le poivre et le sel.
Si le goût est absent, la langue continue tout de même de détecter le salé, l'amertume ou l'acidité: «Je me suis mise à saler, poivrer, épicer à l'extrême ma nourriture, histoire de déclencher au moins un petit feu dans ma bouche, pour ressentir quelque chose.» C'est le moment d'essayer ce mélange d'épices que vous avez acheté sur un marché il y a quatre ans.
Ana est pour sa part devenue fan des petits pois préparés dans du riz, question de contraste sensoriel en bouche. Elle déconseille en revanche les ravioles: «C'est une grosse déception, tout était mou.» «J'ai continué à manger de l'avoine, ce qui avait l'avantage de ne pas trop changer en matière de goût, puisqu'il y en a très peu en temps normal», ajoute-t-elle.
J'ai moi-même trouvé un certain plaisir à manger des cracottes de sarrasin, qui ressemblent de base à du carton, matériau que j'avais de toute façon l'impression de consommer quotidiennement.
Le moment de boire de la piquette
«Coté saveurs, je privilégie les plus amères, acides et épicées», indique Fabien, journaliste et anosmique en raison d'une maladie chronique, dont le goût est très fortement altéré.
«Je privilégie les textures: pain aux céréales ou grillé, sushis, makis, sashimis. Tout ce qui peut croquer, croustiller est un plus» –de fait, je me suis moi aussi découvert une passion pour les pâtes très, très al dente qui craquent presque sous la dent.
Reste que le principal conseil que j'ai à vous donner est de prendre votre mal en patience. Une impression de goût, comme une pertinence olfactive, viendra parfois effleurer votre cerveau lorsque vous serez en train de manger. Dans ces moments, concentrez-vous sur la joie que vous ressentirez en récupérant votre odorat et votre goût, ce qui semble quasiment certain d'arriver si vous avez le Covid-19.
En attendant, profitez-en pour manger et boire ce que vous n'aimez pas trop et qui traîne dans vos placards –par ici, la boîte de salsifis de 2013. Au passage, je tiens à remercier la personne qui m'a rapporté une bouteille de piquette à 3,50 euros lors d'une soirée en 2018. Je l'ai enfin bue.
Le retour du goût vous fera apprécier les choses simples. Ana, qui a recouvré 100% de son goût, n'a plus l'impression de vivre par procuration, à devoir écouter son copain décrire le goût des plats.
Pour ma part, je ne pensais pas un jour lâcher une larme en sentant une clémentine pourrie. C'est pourtant ce qu'il s'est passé quelques heures avant l'écriture de ces lignes. Quelle vie.