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Le 22 mars, le CIO (Comité international olympique) se donnait quatre semaines pour prendre une décision sur le report ou non des Jeux de Tokyo 2020. Deux jours plus tard, le mouvement olympique annonçait le décalage de l'événement en 2021, qui se déroulera finalement du 23 juillet au 8 août 2021.
Mais pour valider l'opération, le CIO a dû négocier avec son premier argentier, la chaîne américaine NBC, et échanger avec les grands sponsors qui financent une partie du CIO et des JO (Visa, Coca-Cola, Airbnb).
Au Japon, la facture du report va se chiffrer en milliards. Le budget de Tokyo 2020 s'élevait à 11,6 milliards d'euros (5,1 milliards du comité d'organisation et 6,5 d'argent public). Selon un quotidien économique japonais, ce coût pourrait augmenter de 2,5 milliards d'euros.
En cause, l'entretien et la maintenance des installations, le surcoût de l'immobilisation du village olympique qui devait être transformé en appartements après l'été 2020, les conséquences sur le tourisme... En clair, une récession se profile sur l'économie nippone et les contribuables, qui vont devoir payer très cher la facture olympique.
Le CIO va-t-il aider l'État japonais en utilisant une partie de ses gigantesques droits TV, et en demandant aux sponsors de remettre au pot? Dans ce type de dossier hors norme, les pays organisateurs cherchent des montages afin de limiter le manque à gagner:
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nouvelle fiscalité à trouver (cadeaux fiscaux pour attirer des partenaires olympiques)
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nouvelles taxes à inventer (qui pèseront soit sur la population, soit sur les grandes entreprises nippones)
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perte de recettes touristiques à compenser par un budget de l'État remanié
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accompagnement juridique plus profond à mettre en place pour activer les garanties d'assurance.
Chute des droits TV, diminution des salaires
À des milliers de kilomètres, à l'arrêt depuis plusieurs semaines, les cinq grands championnats européens de football (France, Italie, Allemagne, Espagne et Angleterre) se creusent la tête pour finir la saison en cours afin que les clubs fassent rentrer de l'argent dans les caisses. Si les championnats ne reprennent pas (501 rencontres encore à disputer), les pertes seraient comprises entre 3,45 et 4 milliards d'euros, selon KPMG.
Le plus touché serait la Premier League anglaise avec 1,15 à 1,25 milliard d'euros de pertes. Concernant la Ligue 1 française, le montant estimé est compris entre 300 et 400 millions d'euros, liés à la disparition des recettes billetterie, des contrats commerciaux ou de sponsoring, mais aussi et surtout des droits TV. Une très mauvaise nouvelle pour les clubs de Ligue 1 est tombée: sur les 200 millions restants à distribuer, en l'absence de matchs actuellement, Canal+ a annoncé qu'elle ne paierait pas la traite de 110 millions à verser le 5 avril.
Pour aider les entreprises en difficulté, l'État français a autorisé le chômage partiel, et les clubs ont rapidement saisi l'occasion. En net, un joueur de L1 touchera 84% de son salaire habituel. De toutes petites économies, comparé aux millions des droits TV qui ne devraient pas être perçus.
Dans le journal L'Équipe, Richard Duhautois, spécialiste de l'économie du football, apportait quelques précisions sur le business model footballistique: «Le propriétaire du club écossais de Heart of Midlothian (Édimbourg) a demandé à ses joueurs d'accepter de réduire leur salaire de moitié. En France aussi, il est toujours possible de baisser le salaire d'un salarié, mais avec son accord, et en respectant le salaire minimum et le salaire conventionnel minimum de la branche, notamment en cas de difficultés économiques. Nous sommes dans ce cas. Certains clubs vont peut-être estimer que le chômage partiel ne suffit pas, sachant que les salaires peuvent représenter jusqu'à 60% et plus de leur budget.»
La masse salariale constitue le plus gros poste de dépenses pour un club, alors sans recette en face... Au PSG, lors de la saison 2018-2019, la masse salariale s'élevait à 371 millions d'euros sur un budget de 637 millions. Combien de temps cela va-t-il durer et combien de temps les clubs pourront-ils gérer ces échéances? Comme alternative à court terme, ils pourront faire appel aux mesures de soutien du gouvernement et de la Banque publique d'investissement.
Toute la chaîne économique du sport impactée
Au-delà des simples événements sportifs et de la vie des clubs, tout un écosystème se retrouve bousculé, et notamment du côté des équipementiers. La crise du Covid-19 a remis à plus tard la présentation officielle du nouveau maillot de l'équipe de France de football, inspiré de la Coupe du monde 1998. Prévue le 23 mars, elle a été reportée à plus tard avec le décalage de l'Euro en 2021. Et ce alors que Nike avait cette fois anticipé en assurant d'importants volumes pour ne pas revivre le fiasco du maillot deux étoiles introuvable plusieurs mois après le sacre des Bleus à Moscou lors de la Coupe du monde 2018.
La présentation annulée, c'est toute une chaîne qui a été bloquée en conséquence: fabricants, fournisseurs, distributeurs... La plupart des équipementiers fabriquant en Chine, certains ont évidemment constaté des retards de livraison.
Chez le concurrent Adidas, les chiffres montrent à quel point la mise en quarantaine chinoise a impacté le monde du sport: -80% sur ses revenus en Chine entre janvier et février 2020, soit une perte de 800 millions à un milliard d'euros. Par ricochet, la fermeture des magasins un peu partout va pousser les distributeurs à réduire leurs achats, entraînant semble-t-il une baisse de 50% des commandes auprès des équipementiers.
Alors, les différents acteurs s'organisent, car rien ne sera plus pareil. En France, l'importante baisse des recettes a poussé certaines ligues comme la LNR (Ligue nationale de rugby) à créer un groupe censé évaluer l'impact financier de l'arrêt des compétitions et de trouver une manière d'accompagner les clubs et le monde sportif dans cette crise.
Et si pour une fois, une forme de solidarité sportive se mettait en place, avec l'idée d'une redistribution des revenus des plus riches vers les plus précaires? Si c'était l'occasion de mettre un terme à ce modèle économique où les clubs les plus puissants gagnent toujours plus, en faisant en sorte que les petits –les plus touchés et menacés– soient aidés dans cette période de grande incertitude économique? La fin du sport business à outrance? Le PSG du Qatar ou le Stade rennais de la famille Pinault n'ont pas de souci à se faire, mais les petits de Ligue 1 et de Ligue 2, si. Les disparités, plus visibles actuellement, doivent alerter.
Ultra-libérale, l'Angleterre a paradoxalement déjà pris les devants, la Ligue de football professionnel anglaise ayant débloqué 50 millions de livres (56 millions d'euros) pour aider les clubs en difficulté, avec des liquidités à court terme, afin de régler des problèmes urgents de trésorerie et payer les joueurs. Cette crise pourrait ouvrir la voie à une prise de conscience générale et à l'avènement d'un modèle moins inégalitaire, il n'est pas interdit de rêver.