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Pourquoi l'Allemagne rechigne à se confiner

Alors que plusieurs pays européens se sont mis sous cloche ces dernières semaines pour ralentir la propagation du Covid-19, l'Allemagne se refuse encore à appliquer une telle mesure.

Un couple passe devant un hôpital du quartier de Prenzlauer Berg à Berlin, le 22 mars 2020. | John MacDougall / AFP
Un couple passe devant un hôpital du quartier de Prenzlauer Berg à Berlin, le 22 mars 2020. | John MacDougall / AFP

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Frappée de plein fouet par la pandémie, l'Italie a été le premier État européen à placer sa population en confinement le 10 mars, suivie quatre jours plus tard par l'Espagne, puis par la France le 17 mars.

Même le Royaume-Uni, qui s'était montré jusque là rétif à instaurer le confinement, a finalement mis en place la mesure le 23 mars.

Et l'Allemagne? Elle vient d'annoncer une série de mesures restrictives, mais pas un confinement à proprement parler. Depuis ce lundi, les rassemblements de plus de deux personnes sont interdits dans tout le pays.

Sorties autorisées

Si les Allemand·es sont prié·es de rester à leur domicile le plus possible, leurs sorties ne sont pas limitées stricto sensu. Nul besoin d'attestation pour se rendre au travail, faire ses courses, aller chez le médecin, se promener, faire du vélo ou du sport.

Les parcs et les espaces verts restent ouverts. Celles et ceux qui louent un petit lopin de terre dans un jardin partagé ont même le droit de s'y rendre quotidiennement pour jardiner.

 


Au bord du canal de Landwehr, dans le quartier de Kreuzberg à Berlin, le 24 mars 2020. | David Gannon / AFP

Les couples qui vivent séparément peuvent se voir l'un·e chez l'autre. Il est en revanche interdit de rendre visite à un·e ami·e, mais les rendez-vous en plein air, pour peu qu'ils se déroulent en tête-à-tête, restent tolérés.

Les piétons ont enfin à respecter une distance de sécurité de 1,5 mètre dans l'espace public ainsi que dans les supermarchés et les quelques commerces qui sont encore autorisés à accueillir du public –parmi lesquels les ateliers de réparation de vélos, l'usage de la bicyclette étant préconisé afin d'éviter les transports en commun.

Certains médias estiment qu'il s'agit d'un confinement qui ne dit pas son nom, mais ces mesures n'ont pour le moment pas le caractère contraignant de celles qui ont été décrétées en France et ailleurs en Europe. Plusieurs pistes peuvent permettre de comprendre cette particularité allemande.

Économie à protéger

Première puissance de l'Union européenne, l'Allemagne fait tout pour protéger son économie, ce qui peut en partie expliquer pourquoi elle a tant tardé à fermer d'abord les théâtres et les cinémas, puis les clubs et les bars, les commerces, puis enfin les cafés et les restaurants, qui sont restés ouverts les deux semaines passées.

À Berlin, samedi 21 mars, il était encore possible de prendre son café en terrasse au soleil ou d'aller déjeuner au resto, ces établissements étant autorisés à ouvrir en journée. Ces derniers n'ont désormais plus que le droit de vendre de la nourriture et des boissons à emporter.

Le semi-confinement instauré le 23 mars est une façon de limiter les dégâts, en permettant pour le moment à de nombreuses entreprises de poursuivre leur activité.

Le gouvernement allemand a d'ailleurs annoncé cette semaine la mise à disposition d'une enveloppe de 156 milliards d'euros dans le cadre d'un vaste plan de sauvetage de son économie. Du jamais-vu dans l'histoire de la république fédérale, qui en dit long sur les craintes suscitées par le ralentissement massif de l'activité économique outre-Rhin.

Lenteurs du fédéralisme

La lenteur avec laquelle l'Allemagne a réagi jusqu'à présent face à la crise du coronavirus tient aussi à son système politique: fédéralisme oblige, de nombreuses décisions concernant l'ensemble du territoire ne peuvent être prises qu'en accord avec les Länder.

Les régions allemandes sont compétentes dans des domaines-clés, tels que la police et l'éducation. Voilà pourquoi le gouvernement allemand n'a pas pu instaurer une fermeture généralisée des établissements scolaires à l'échelle du pays. Jardins d'enfants et écoles ont donc fermé leurs portes peu à peu, selon le choix de chaque Land.

Plusieurs Länder –et villes, à l'instar de Fribourg– ont pris les devants en plaçant leurs habitant·es en confinement. C'est le cas de la Bavière, qui interdit à ses treize millions d'administré·es de quitter leur domicile à part pour aller travailler ou «en cas d'urgence» depuis le 21 mars 2020, soit la veille de la rencontre entre la chancelière Angela Merkel et les dirigeant·es des Länder pour discuter des nouvelles mesures à adopter.

À la mi-mars encore, cette cacophonie pouvait même s'observer au sein des villes. À Berlin, les aires de jeu étaient barricadées dans certains quartiers et pleines d'enfants dans d'autres, chaque mairie d'arrondissement ayant décidé d'appliquer ses propres règles dans le flou environnant.

 


Dans un parc du quartier de Schöneberg à Berlin, le 20 mars 2020. | Odd Andersen / AFP

Appel au sens civique

Contrairement à la France, l'Italie et l'Espagne, qui ont mis en place un confinement forcé, l'Allemagne continue de miser sur le sens civique de ses citoyen·nes.

Dans son allocution exceptionnelle à la télévision allemande, le 18 mars 2020, Angela Merkel a appelé chacun·e à faire preuve de solidarité. Ses mots sonnaient comme un dernier avertissement avant un passage à des mesures plus drastiques, les médias allemands ayant relayé les jours précédents nombre d'images de parcs pris d'assaut et de terrasses de cafés bondées –preuve que de beaucoup d'Allemand·es prenaient encore la situation à la légère.

Évoquant la fermeture des frontières, la chancelière a souligné qu'il s'agissait d'une décision qui avait été difficile à prendre pour elle, eu égard à son passé en Allemagne de l'Est: «Pour quelqu'un comme moi pour qui la liberté de voyager et de circulation a été un droit durement acquis, de telles restrictions ne peuvent être justifiées que par une nécessité absolue. Dans une démocratie, elles ne devraient jamais être décidées à la légère, et seulement de façon provisoire. Mais elles sont en ce moment indispensables pour sauver des vies.»

Cette déclaration n'est pas anodine dans un pays qui, compte tenu de son histoire, reste viscéralement attaché à la défense des libertés individuelles.

Quand les premiers pays européens sont passés au confinement, plusieurs journaux outre-Rhin se sont par exemple demandé si une telle mesure était conforme à la loi fondamentale allemande, avec en toile de fond une peur très allemande que cette crise sanitaire ne mette en péril les droits fondamentaux et la démocratie.

En persistant à inviter les Allemand·es à faire preuve de sens civique plutôt que de les sanctionner avec un confinement forcé, Angela Merkel espère gérer cette crise à sa façon: d'une main de fer dans un gant de velours.

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