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Votre apéro sert probablement à fabriquer du gel hydro-alcoolique

Les grands groupes alcooliers se mobilisent pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. Et il se pourrait bien que votre vodka préférée se transforme en antiseptique. Santé!

Dans une distellerie du Maryland, aux États-Unis, le 19 mars 2020. | Win McNamee / Getty images North America / AFP
Dans une distellerie du Maryland, aux États-Unis, le 19 mars 2020. | Win McNamee / Getty images North America / AFP

Temps de lecture: 2 minutes

Face à la pénurie de gel hydro-alcoolique dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19, des noms qu'on avait plus souvent tendance à voir sur la table à l'heure de l'apéro qu'au rayon antiseptiques de la pharmacie ont spontanément proposé leur aide pour en fabriquer au plus vite.

En France, Pernod Ricard (Absolut, Jameson, Glenlivet, Ballantine's...), le n°2 mondial des spiritueux, et LVMH (Hennessy, Ardbeg, Glenmorangie...) se sont manifestés très vite: le premier en offrant de faire don de 70.000 litres d'alcool pur au laboratoire Cooper, le second en mobilisant les usines de sa branche parfum pour la production gratuite de gel.

Les producteurs plus modestes se sont également mobilisés un peu partout en métropole et dans les outre-mers: les distilleries de rhum aux Antilles, les distillateurs indépendants, une foultitude de petits acteurs qui, dans un remarquable élan de solidarité, se sont rapprochés des agences sanitaires régionales pour faire don de bidons d'alcool neutre.

À l'étranger, BrewDog en Écosse, Absolut en Suède, Irish Distillers (Jameson) en Irlande, Jim Beam aux États-Unis, pour n'en citer que quelques-uns, ont illico rejoint ce mouvement, suivis par le plus important groupe alcoolier, le britannique Diageo (Johnnie Walker, Smirnoff, Guinness...), qui annonçait le 23 mars activer ses distilleries partout à travers le monde pour livrer sans coût 2 millions de litres d'alcool éthylique à 96%, dont 100.000 livrés au plus vite en Italie. Prêt·es à se frotter les mains au lieu de trinquer?

Les géants sucriers au taquet

Pour fabriquer du gel hydro-alcoolique, il faut d'abord de l'éthanol, celui-là même qui entre dans vos bouteilles de spiritueux favorites. Si votre petite marque de single malt habituelle ne s'est pas ralliée à la cause, inutile de fumasser contre son manque de civisme. Car seules les distilleries équipées de colonnes ou d'encombrants systèmes multicolonnes sont capables de produire de l'alcool neutre, autrement dit de l'éthanol rectifié à plus de 96% –et certainement pas les coquets alambics de cuivre.

Ce sont donc les usines de vodka, d'alcool de grain ou de vin qui montent au créneau (oui, de vin, car la règlementation française impose aux producteurs de jaja de faire distiller tous les sous-produits de la vinification pour les recycler), et surtout les géants sucriers.

Car pour produire de l'alcool, il faut d'abord du sucre. N'importe quelle source de sucre (céréales, canne à sucre, fruits, betteraves...) qui sera brassée, fermentée puis distillée. Ce n'est pas pour rien qu'historiquement, à partir du XVIIe siècle, le développement du rhum s'est appuyé sur la puissante industrie du sucre: au lieu de jeter les mélasses, ces résidus de la cristallisation, les fabricants ont compris qu'ils pouvaient en tirer un alcool qui rendait tout aussi heureux sans carier les molaires.

Les deux géants sucriers français, Tereos (Béghin-Say) et Cristal Union (Daddy), qui sont aussi les premiers producteurs d'alcool en France –leurs colonnes crachant aussi bien de l'alcool neutre que des agrocarburants–, ont donc annoncé qu'ils réorientaient presto leur outil pour couler l'éthanol nécessaire à la fabrication de gel hydro-alcoolique. Cet alcool sera mis gratuitement à disposition des agences régionales de santé et des hôpitaux en situation critique.

Pas le même alcool que dans votre verre

J'en vois parmi vous défaillir à l'idée que l'apéro WhatsApp du soir se concocte avec la même matière première que l'antiseptique. Hé, hé! En fait, oui... et non. Les alcool légers, distillés à très haut degré (la vodka, le gin, les rhums light, les whiskies de grain...), indubitablement, se rapprochent beaucoup de l'alcool neutre, si ce n'est qu'on les réduit généreusement à l'eau avant embouteillage –la vodka à 90° s'achète en pharmacie, celle à 40° chez le caviste– et qu'on ne les dénature pas en y ajoutant des émétiques odorants, voire des colorants, afin d'éviter toute confusion entre le placard à apéro et l'armoire à pharmacie.

Ceci posé, parions que dans un futur qu'on espère proche, une fois la crise sanitaire passée, les gels hydro-alcooliques griffés LVMH ou BrewDog se retrouveront au prix du whisky collector sur les sites d'enchères, qui s'en frotteront les mains.

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