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Pourquoi l'Union européenne en fait si peu dans la lutte contre le coronavirus

L'UE essaie tant bien que mal de coordonner l'action de ses États membres, mais elle reste limitée par ses statuts. Jusqu'à quand?

«<em>Nous devons décider si la seule chose qui importe est l'État-nation ou si nous croyons que l'UE est aussi une communauté.» </em>| Kenzo Tribouillard / AFP
«Nous devons décider si la seule chose qui importe est l'État-nation ou si nous croyons que l'UE est aussi une communauté.» | Kenzo Tribouillard / AFP

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D'abord l'Italie, puis la Hongrie, la Slovaquie, l'Espagne et l'Allemagne. Telle une série de dominos qui s'écroulent, les pays membres de l'Union européenne ont ces dernières semaines fermé un à un leurs frontières et pris des mesures drastiques pour lutter contre la propagation du coronavirus –le tout sans vraiment se coordonner avec les autres États, et encore moins avec les autorités européennes basées à Bruxelles.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a beau mettre en scène des réunions sur Twitter, il aura fallu de longues journées avant que les gouvernements ne se parlent enfin.

 

Début mars, l'Allemagne décide d'interdire l'export de masques à ses voisins européens et d'un coup, c'est la solidarité entre pays qui est remise en question. La décision a depuis été annulée, mais elle est symbolique d'un manque de coordination et de décision au niveau européen.

Les économies et les vies des citoyen·nes européen·nes n'ont jamais été aussi interconnectées, et malgré tout, à l'heure de l'écriture de ses lignes, des centaines de ressortissant·es roumain·es et ukrainien·nes sont toujours coincé·es à la frontière hongroise.

Pourtant, comme le souligne Simona Guagliardo, une analyste spécialisée dans la santé de l'European Policy Centre, «les virus ne s'arrêtent pas aux frontières».

Compétence des États membres

Le confinement entier de l'Italie faisait-il sens alors que la France et la Suisse ne l'avaient pas encore mis en place? Probablement pas. Mais le problème, ici, c'est qu'en matière de gestion de crises sanitaires, l'Europe ne peut pas faire grand-chose.

«Elle ne peut pas fermer les écoles, suspendre des matchs de football ou mettre des villes européennes en lockdown», souligne Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC et fondateur de The Good Lobby, qui vise à créer un lobby des citoyen·nes europén·nes.

Dans le domaine de la santé, les compétences restent largement l'exclusivité des États membres. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne indique que «l'action de l'Union [...] complète les politiques nationale» et qu'elle «encourage la coopération entre les États membres» –une construction qui peut sembler déséquilibrée, lorsque l'on songe à la liberté de circulation des citoyen·nes du bloc.

Si l'organisation peut organiser des flux, pourquoi ne pas rationaliser et mutualiser ses équipements médicaux et son personnel de santé?

«Nous devons nous rendre compte que les systèmes de santé sont liés à des traditions nationales, à l'histoire des pays et à comment ces sociétés sont construites, avance Simona Guagliardo. C'est pour cela qu'il est difficile de faire basculer ces compétences d'un niveau à l'autre.»

Au début de la crise, un sentiment de flottement s'est installé dans les couloirs des institutions européennes. Il aura fallu attendre le lundi 16 mars pour que la Commission se décide à fermer des frontières extérieures de l'UE pour trente jours. Mais même là, complexité européenne oblige, ce sont aux pays de décider s'ils suivent et implémentent cette décision.

Si des réunions sont désormais organisées quotidiennement par la Commission, on note encore un manque de coordination entre les États: les Français·es sont en confinement, pas les Allemand·es. On cherche encore la logique, compte tenu de l'énorme frontière que partagent les deux pays.

«Il y a déjà des outils qui permettent la coordination», assure Simona Guagliardo, parce que l'Union est avant tout un espace de discussion et d'échange pour les États, important mais peu visible.

 

Soutien économique

Il faut bien reconnaître que l'UE a sorti l'artillerie lourde sur les questions économiques. La Banque centrale européenne, après une réaction timide, a débloqué 750 milliards d'euros pour soutenir l'économie du Vieux Continent.

Quant à la Commission, elle a annoncé vouloir assouplir les règles budgétaires, notamment la fameuse interdiction de dépasser les 3% de déficit, durant la crise du Covid-19.

«L'Union fait tout ce qu'elle peut faire, dans le sens que la Commission a immédiatement mis de l'argent sur la table», observe Roberto Castaldi, professeur et directeur du think tank italien CesUE. Mais est-ce qu'une réponse financière est suffisante, lorsque l'on touche à la vie des gens?

La culture politique européenne, souvent lente, basée sur le compromis et les discussions sans fin, est mise à mal par la rapidité de la crise du coronavirus.

Vu de loin, l'Europe donne l'impression d'un orchestre dans lequel chaque instrument aurait décidé de jouer à son propre rythme. Vu d'ici, certain·es pourraient avoir l'impression d'être abandonné·es par leurs voisins.

En Italie, l'extrême droite a d'ores et déjà commencé à taper sur l'Union européenne. La partition est la même en France, où Marine Le Pen s'indigne contre les frontières ouvertes par l'UE.

Ce risque de poussée eurosceptique n'est certainement pas aidé par les réflexes de replis nationalistes qui prennent le dessus un peu partout.

Destin partagé

L'Europe, qui a su surmonter la crise financière de 2007-2008 et le Brexit, doit désormais montrer qu'elle sert à quelque chose dans le cadre d'une pandémie qui menace la vie de ses citoyen·nes.

«Cette crise montre que nous devons décider si nous voulons être une vraie communauté européenne de personnes partageant la même destinée», s'alarme Roberto Castaldi, qui a lancé un appel pour plus d'intégration européenne, signé par des centaines de personnalités.

«La crise offre une opportunité aux États membres de montrer qu'ils peuvent se rassembler et se battre contre une menace commune.»
Simona Guagliardo, chercheuse à l'European Policy Centre

«Nous avons une crise dans laquelle la vie des citoyens est en jeu, poursuit-il. Nous devons décider si la seule chose qui importe est l'État-nation ou si nous croyons que l'UE est aussi une communauté avec un destin partagé. C'est ce qui va être décidé dans les prochains mois, de facto, par la façon dont nous répondons à cette crise. Prenez les mots de Macron, qui a dit que nous étions “en guerre”. Quand vous êtes en guerre, vous décidez vraiment qui est votre ami et qui est votre ennemi. C'est ce que doivent décider les États membres.»

Alors que de l'argent et un assouplissement des règles budgétaires sont mis sur la table, la question sera bien de voir comment l'Union européenne se comportera après la crise. Si l'Italie et sa dette colossale se retrouvent soumises au même régime que la Grèce en 2010, les conséquences risquent d'être catastrophiques pour le projet européen.

«La crise offre une opportunité aux États membres de montrer qu'ils peuvent se rassembler et se battre contre une menace commune», juge Simona Guagliardo. À l'UE, comme a pu le faire Emmanuel Macron en revêtant les habits du chef de guerre, d'arriver à fédérer l'ensemble de ses citoyen·nes, et aux chef.fes d'État d'impulser ce changement.

D'une manière ou d'une autre, l'Union, en perpétuelle construction, devra revoir ses règles communes une fois la crise passée. «Cela va se produire comme cela s'est toujours produit dans l'histoire de l'intégration européenne, prédit Alberto Alemanno. Comme l'a dit Jean Monnet, “L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises”.»

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