Santé / Société

L'amour aux temps du Covid-19: «Je pense que je vais baiser local, du coup!»

Au-delà des vieux couples en cohabitation forcée ou des jeunes amant·es séparé·es, le coronavirus reconfigure aussi les amours virtuelles sur les applis. Sortez masqué·e.

<em>«J'ai l'impression qu'on cherche plus de la compagnie que des dates.» </em>| Dessidre Fleming <a href="https://unsplash.com/photos/f4rsjtMyTxo">via Unsplash</a>
«J'ai l'impression qu'on cherche plus de la compagnie que des dates.» | Dessidre Fleming via Unsplash

Temps de lecture: 6 minutes

Loin des yeux, loin du cœur ou le plein de capotes à la pharmacie, c'est selon. Alors que le gouvernement a annoncé lundi 16 mars un confinement d'au moins quinze jours, la période est peu propice aux échanges de fluides, sous peine de s'exposer à une fatale projection buccale de gouttelettes qui propagerait le virus.

En l'absence de pénombre propice au roulage de pelles frénétique avec des inconnu·es (bars, cinémas, salles de concerts...), «on part sur une période de disette, un peu comme pour le Ramadan en fait», estime Louisa Amara, tenancière du podcast Single Jungle.

«Le date le plus chelou que j'aie jamais eu»

Au début de l'épidémie, les précautions d'usage sont d'abord venues compliquer la parade amoureuse. Warol*, 40 ans, avait rendez-vous avec une jeune femme asthmatique, donc à risque: «Je sors mon gel hydro, mais en vrai, je n'ai pas envie de lui serrer la main. Ça fait trop bizarre. On dirait un rendez-vous pro. L'avantage, c'est que je n'ai pas à choisir entre la mort et la bise. Je propose qu'on se fasse la bise dos contre dos, nuque contre nuque. Ça l'a fait rire» –même si, note t-il rétrospectivement, «c'est le date le plus chelou que j'aie jamais eu».

Héléna, 32 ans, a revu ses plans et proposé à son date de passer le week-end chez elle, tout en respectant la distance de sécurité d'un mètre. Elle raconte: «On a passé le week-end ensemble, mais on ne s'est pas touchés ni embrassés, et on se lavait les mains toutes les cinq minutes. Finalement, on a quand même couché ensemble en faisant très attention. C'était cocasse.»

Par prudence, d'autres ont cessé par avance tout contact intime, comme Pierre, 35 ans, qui pratique une sexualité en groupe avec chem-sex (prise de drogue) à la clé: «Il y a ceux qui, comme mon conjoint et moi, ont pris la décision assez tôt d'interrompre leurs activités de sexe à plusieurs et ceux qui continuent de traiter ça par-dessus la jambe et vont se trouver fort dépourvus quand les dealers ne seront plus approvisionnés.» Gageons que ces derniers se sont depuis retranchés chez eux.

«Ça va forcer tout le monde à apprendre à se connaître»

En période de confinement, le dialogue amoureux a migré sur les applis de rencontres, où les utilisateurs et utilisatrices ont parfois adapté leur profil, période de crise oblige, avec l'ajout circonstancié des emojis microbe et rouleau de papier toilette: «Bored by this quaranteen» ou encore «Trois semaines sans voir personne c'est long, alors autant venir discuter ici», peut-on lire en phrase d'accroche. D'autres, plein d'insouciance, ont oublié de se mettre à jour («Allons boire un verre gente damoiselle»).

Pour la chaleur humaine, on repassera: «J'ai l'impression qu'on cherche plus de la compagnie que des dates», remarque Alexis, 28 ans, croisé sur OkCupid.

«Avec mon amante, pour entretenir la flamme, on s'envoie des selfies nus tous les matins.»
Thomas, 34 ans

Judith Duportail, autrice de L'Amour sous algorithme, se félicite de cette forme de décroissance romantique qui fait le tri: «Je pense que c'est un bon moment pour aller sur les applis de rencontres, car le dating est devenu tellement rapide que là, on va être obligés de ralentir et ça va forcer tout le monde à apprendre à se connaître. La situation rend un peu plus vulnérable, cela peut créer des conversations plus intéressantes. Ça me rappelle quand j'étais ado, j'allais chatter sur AOL, je parlais pendant des mois avec des gens avant de les voir, on avait le cœur qui battait, c'était hyper beau.»

La plupart des applications, à l'instar de Tinder ou de l'appli LGBT+ Hornet, ont mis en garde sur la possible propagation du virus par le biais de rencontres. L'appli lesbienne Lex, quant à elle, a trouvé la parade ultime avec ce message à l'intention de ses usagères, diffusé sur son compte Instagram: «Fuck la quarantaine, échangeons des nudes

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Sextos, nudes, messages vocaux sur WhatsApp, webcam... tout est bon pour titiller le chaland. «Avec mon amante, pour entretenir la flamme et se remonter le moral, on s'envoie des selfies nus tous les matins, relate Thomas, 34 ans. Cela m'oblige à travailler l'esthétique au masculin, c'est un bon exercice.»

«Tu es la personne avec qui j'aimerais être confiné»

Chez les jeunes couples, l'expression d'usage «Netflix and chill» prend un tout autre sens: c'est «un scénario catastrophe de comédie romantique» qui se profile, s'inquiète Aloïs, 30 ans.

Quand certain·es se font larguer par texto sans ménagement à la veille du confinement, d'autres, comme Marion, 33 ans, passent en revue leurs options: «Quinze jours ensemble H24, c'est un peu suicidaire. Mais c'est pas plus déprimant d'être solo sans baiser?»

Pire qu'une virée chez Ikea un samedi, cette mise à l'épreuve sentimentale permet aussi de reformuler le romantisme. La déclaration suivante tourne ces jours-ci sur les réseaux sociaux: «Tu es la personne avec qui j'aimerais être confiné·e.» Une pénurie de papier toilette, ça rapproche.

Pour les ménages installés, la cohabitation –subie ou choisie– peut être fatale à la longévité et dépend sans doute des conditions matérielles de vie. Dans le pire des cas, certaines femmes vont être confinées avec un conjoint violent, a rappelé le collectif #NousToutes.

 

Hors normes, la situation a inspiré à l'autrice italienne Cristina Comencini un texte publié dans Libération: «Est arrivé le moment de la vérité, pour les couples qui ne se supportent pas, pour ceux qui disent s'aimer, ceux qui vivent ensemble depuis une vie entière, ceux qui s'aiment depuis peu de temps, ceux qui ont choisi de vivre seuls par goût de la liberté ou parce qu'ils n'avaient pas d'autre choix.»

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«Beaucoup plus de moments pour la baise»

Être obligé·e de supporter stoïquement la toux grasse ou les humeurs d'un·e partenaire acariâtre peut entraîner le crêpage de chignons, voire le divorce des parties en présence.

Antoine, 37 ans, dont la conjointe présente des symptômes bénins, se dit «angoissé à l'idée d'être coincé avec elle, parce que je suis super prudent et hypocondriaque». La période d'incubation pouvant aller jusqu'à quatorze jours, il lui a prudemment proposé de rester en contact à distance par Facetime.

D'autres, à l'inverse, s'attachent à inventer un vivre-ensemble amoureux ou affectif, comme Victoire, 30 ans: «En confinement amoureux, on vit notre meilleure vie (lecture à voix haute, siestes à volonté, visionnage de la dernière compétition de Martin Fourcade).»

Ce tête-à-tête forcé dans le blanc des yeux peut aussi faciliter une introspection, à l'image de Sandra, 34 ans, qui n'a pas fait l'amour avec son conjoint depuis la naissance de leur enfant et envisageait d'aller «voir ailleurs»: «Je pense que je vais baiser local, du coup!»

«Mon amante ne veut plus qu'on lui crache dessus.»
Tom, 31 ans

Une seule solution face au désœuvrement, la fornication, tranche Léa, 29 ans, pour qui les mesures de télétravail vont être bénéfiques: «Plus de temps ensemble la journée, pas seulement le soir quand tout le monde est HS, c'est aussi beaucoup plus de moments pour la baise.»

Même en relation longue, certain·es adaptent leurs pratiques. «Mon amante ne veut plus qu'on lui crache dessus», s'amuse Tom, 31 ans. Sam, 29 ans, croisé sur OkCupid, est formel: l'avenir, c'est «le sexe sous la douche». «Moins d'embrassades et un peu plus de levrettes, peut-être», suggère de son côté Louis sur Twitter.

Alors que l'on s'interroge sur un possible baby-boom dans neuf mois, les spéculations sur la dénomination de cette génération à venir vont bon train: coronials ou quaranteens?

«Quand ce sera terminé, il y aura une explosion du cul»

Quant aux personnes seules ou isolées: on ne peut compter que sur soi-même. Les plateformes de contenus pornos Pornhub et Jacquie et Michel, qui ne perdent pas le nord, offrent actuellement des contenus gratuits aux internautes français·es –mais il est encore un peu tôt pour évaluer si le X en costume d'infirmièr·e fait recette.

Rappelons à toutes fins utiles que les podcasts Dipsea, Voxxx ou Le Son du désir permettent aussi de travailler différemment les imaginaires érotiques.

Chacun·e élabore son plan d'attaque pour les semaines à venir: «Tout ça se réglera à coup de Pornhub pendant quinze jours, puis suivra une vague de premiers dates ratés en fin de confinement, après des relations épistolaires épiques», prédit Sam.

«Quand ce sera terminé, il y aura une vraie tension pour retrouver une intimité... et une explosion du cul», diagnostique Thomas, qui rappelle qu'en danois, un terme désigne le manque de contact physique: hudsult, ou «famine cutanée».

En attendant, on peut toujours se consoler en regardant la télé-réalité de Netflix Love Is Blind, où les participant·es tombent amoureux sans se voir, dans des capsules.

* Les prénoms ont été changés.

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