Culture

La révolution burtonienne, de Disney à Disney

Avec Alice au Pays des Merveilles, Tim Burton opère son grand retour chez Disney. Mais qu'y a-t-il de l'autre côté du miroir?

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Passer à travers le miroir, telle est la mythologie de la nouvelle réalisation de Tim Burton, Alice au pays des merveilles. Comme la petite blonde qui a tenté l'aventure de l'autre côté, Burton a, lui aussi, traversé la psyché, visité l'autre monde et en est revenu. 2010, retour au point d'ancrage Disney, révolution astronomique parfaite. Peut-être trop.

Tout commence à Burbank, sous les palmiers californiens en 1976. Agé de 18 ans, le jeune garçon blafard obtient une bourse pour étudier au CalArt, sorte d'école Disney, vivier des futurs grands noms du studio (John Lasseter, Brad Bird ou encore Henry Selick). Il y perfectionne ses talents de dessinateur et y apprend l'animation. Sa formation achevée, il est engagé par Disney où il travaille comme animateur (Tron ou Rox et Rouky), et intervalliste (Lord of the rings). Son talent et sa bizarrerie intriguent certains de ses collaborateurs qui lui proposent alors de mettre en scène l'un de ses scénarios: Vincent.

Ce court d'animation gothique est fortement influencé par la Hammer (société de production anglaise célèbre grâce à ses films de loups-garous ou de vampires), et la voix off de Vincent Price (acteur culte des films d'horreur des années 60) évoque la poésie d'Edgar Allan Poe. Toutefois, Vincent ne convainc guère les pontes de Disney. Trop sombre, trop fantasque, trop littéraire (le texte déclamé est en vers). Mais Burton a des idées plein les tiroirs. Il remet le couvert la même année avec un moyen métrage cette fois, Frankenweenie. L'histoire d'un petit garçon, Victor Frankenstein, inconsolable après la mort de son chien, et qui s'improvise apprenti sorcier, pour ranimer l'animal.

Mais les dirigeants de Disney, en monopole absolu sur l'entertainment pour enfants à l'époque, ne comprennent manifestement pas l'univers morbide, ultra référencé et tellement personnel du cinéaste. Ses deux projets enterrés par la firme aux grandes oreilles, il termine l'écriture d'un scénario qui lui tient à cœur (l'histoire de Jack Skellington qui donnera naissance dix ans plus tard à L'étrange Noël de Mr Jack) et claque la porte des studios Disney en 1984 pour tenter l'aventure en solo, loin des studios Disney à l'imaginaire sclérosé.

Repéré par la Warner grâce à ses courts métrages, Burton est engagé pour réaliser Pee Wee Big Adventure, objet filmique non identifié. Le film atterrit sur les écrans en 1985, excitant la curiosité du public et des critiques. Trois ans plus tard, Burton est propulsé dans le box office grâce au démon libidineux Beetlejuice (ne le répétez pas trois fois, on ne sait jamais!) Ce succès permet à Tim de se lancer dans son premier projet d'envergure, Batman. Débute alors une ère glorieuse. Edward aux mains d'argent (produit par la Fox après le refus de la Warner qui s'en mord encore les doigts), Batman, Le Défi (pour lequel la Warner a retenu la leçon et a laissé une liberté totale à Burton) et Ed Wood. Ces films intronisent Burton dans le panthéon des Grands d'Hollywood. Il parvient même en 1993, après un accord obligatoire avec Disney (son ancien contrat spécifiait que toute activité créatrice d'un membre de Disney appartenait au studio) à produire L'étrange Noël de Mr Jack, son scénario délirant se déroulant à Halloweenland.

Naïvement sombre, prodigieusement gothique et expressionniste, mettant en scène des inadaptés chroniques, éternels adolescents rêveurs, la grammaire cinématographique de Burton est imparable. S'emparant des codes visuels des films d'épouvante de la Hammer ou des maîtres expressionnistes allemands (dont il se goinfrait enfant), y injectant ses propres fantasmes, il transfigure Gotham City en une Metropolis lugubre (Batman et Batman le défi), ou réinvente le réalisateur qualifié de «plus mauvais cinéaste de l'histoire du cinéma» en loser magnifique (Ed Wood).

Construisant son équipe (Danny Elfman rencontré lors d'un concert dans les années 80 devient son compositeur attitré, alors que Johnny Depp, double parfait du maestro est intronisé acteur burtonien par excellence) et sa mythologie, Tim Burton semble au sommet de son art. Mais Ed Wood sorti en 1994 marque le premier échec de sa carrière. Film somme des obsessions de son créateur, jeu de miroir des relations réalisateur-acteur (celles de Ed Wood/Bela Lugosi en écho à celles de Tim Burton/ Vincent Price), le métrage, un chef d'œuvre pourtant, ne trouve pas son public.

Alors qu'en cinq ans, Burton a réalisé une tétralogie proprement hallucinante, il entame en 1996 un nouveau quatuor qui oscille entre parodie de films (Mars Attacks, La planète des singes), autocomplaisance (Sleepy Hollow) et chant du cygne (Big Fish). Moins inspirée, la filmographie du réalisateur peine à convaincre. Seul Big Fish, hymne à un père mourant touche par sa sincérité. Revisitant la version mythomane d'une histoire familiale, Tim Burton enchante l'imaginaire par ce que le cinéma sait le mieux produire: l'illusion que l'on veut croire. Travestissant la réalité, Big Fish semble le moment où Burton «tue» le père, résolvant ses peurs enfantines et court-circuitant sa propre créativité.

Il réalise encore des films mais la magie s'est évaporée. Charlie et la chocolaterie en 2005 ou Sweeney Todd en 2008 cartonnent dans les salles, sans pour autant réactiver les visions crépusculaires de ses débuts. L'adaptation de la comédie musicale à succès Sweeney Todd, en est un probant exemple. Le réalisateur, conscient des attentes de ses fans, leur offre ce qu'ils désirent: du gothique cheap, un Londres crapuleux, un Johnny Depp qui cabotine, bref une quasi parodie, agréable mais sans âme.

Ayant exploré toutes les arcanes de ses fantasmagories, Burton paraît vidé de sa substance. Mais pour parfaire le parcours, après le zénith (1989-1994) et la routine (1995-2008), il se devait de retourner à la source, abandonnée plus d'un quart de siècle auparavant: Disney. Chose faite avec Alice, le grand classique animé de 1951 qu'il revisite aujourd'hui. Retour aux studios de Burbank, sa ville natale en Californie. Retour vers ceux qui l'avaient ostracisé (un peu comme ses personnages incompris). Retour en arrière? Peut-être... Une chose est sûre, Burton a pactisé avec Disney pour réaliser deux longs métrages. Alice au pays des merveilles donc, mais surtout Frankenweenie, son premier film dénigré par le même studio.

Une revanche sur la cécité artistique de Disney diront certains. Mais Disney cherche-t-il un nouveau souffle via Burton pour concurrencer l'inventivité d'un Pixar, ou Burton s'est-il suffisamment «disneysé» pour entrer dans les carcans du studio? «Je me sentais enfermé dans un schéma qui ne cadrait pas avec ce que j'étais», déplorait-il après sa démission. De Burton ou Disney, qui a changé? Attention aux miroirs, déformants ou aux alouettes, ils ne reflètent finalement que ce que l'on veut bien y voir.

Ursula Michel

Photo: Tim Burton / REUTERS, Jas Lehal

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