Santé / Société

La ruée vers le PQ? La preuve que le coronavirus s'attaque aussi à nos cerveaux

[BLOG You Will Never Hate Alone] De quels traumatismes les gens souffrent-ils pour accorder à leur papier toilette une importance si capitale?

Dans un supermarché de Burbank, en Californie, le 6 mars 2020. | Robyn Beck / AFP
Dans un supermarché de Burbank, en Californie, le 6 mars 2020. | Robyn Beck / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Parfois, devant le spectacle offert par certaines personnes, je me demande ce qui ne tourne pas rond chez elles. J'entends bien que face au danger parfois mortel représenté par l'épidémie de coronavirus, on en vienne à adopter des mesures de bon sens, comme de se laver plus souvent les mains, mais qu'en est-il lorsque je vois des troupeaux entiers d'individus se ruer comme des abeilles affolées au premier supermarché rencontré, avant d'en ressortir quelques minutes plus tard le caddie saturé de provisions diverses et variées?

Par quels biais un cerveau normalement constitué en arrive-t-il à la conclusion que d'ici peu, si on y prend garde, le chaos sera tel que la chaîne d'approvisionnement s'arrêtera net au point de priver la population de denrées alimentaires de première nécessité? Serait-on en guerre avec l'ennemi à nos portes, à la veille d'une offensive éclair qui nous laisserait exsangues et sans ressources, comme des paysans polonais au lendemain d'un raid des armées du Troisième Reich?

Avons-nous perdu tout sens commun au point de saturer nos garde-mangers de sucre, de pâtes, de riz, de farine, d'eau, de beurre, sans oublier l'élément essentiel à toute survie, un produit sans lequel nous sommes condamnés à une mort certaine, j'ai nommé le rouleau de PQ et ses trois niveaux d'épaisseur, ces minces feuilles de tissu qui superposées les unes aux autres permettent le nettoyage en profondeur de certaines zones dites sensibles.

Car oui, par les temps qui courent, il existe des gens qui s'inquiètent avant tout pour la propreté de leur postérieur et s'en vont dévaliser des rangées entières de papier toilette, des montagnes de PQ entreposées dans leur garage, au fond de leurs armoires, sous leur lit, précieuse cargaison sur laquelle ils veillent jour et nuit comme s'il s'agissait de peintures de maîtres ou d'étoffes particulièrement rares.

On les voit sortir des supermarchés l'air triomphant, le caddie plein de rouleaux de PQ derrière lesquels ils manquent de disparaître, le sourire jusqu'aux dents comme si désormais, vaille que vaille, virus mortel ou non, en cas de pandémie généralisée, ils pourront continuer à se torcher allégrement le fion.

D'un pas résolu, ils s'en vont remplir le coffre de leur voiture avec l'assurance un brin fanfaronne du fantassin qui vient de recevoir sa panoplie complète de munitions, et c'est en vainqueur qu'ils franchissent la porte de leur domicile, au grand soulagement de toute la famille, qui se voyait déjà brasser des feuilles pour mieux se récurer le croupion.

À la guerre comme à la guerre.

«Va savoir ce que nous cache le gouvernement. D'ici là qu'on en vienne à manquer de tissu hygiénique, comment qu'on se nettoiera le cul si la Chine comme que je l'ai vu au journal télévisé n'arrive plus à faire fonctionner leurs usines de malheur, qui c'est donc qui va venir me torcher mes poils de jonc? Le Macron et son Véran de ministre accompagné de son roi Solomon, peut-être?»

J'ignore la naissance et la raison de cette angoisse des plus singulières. De quels traumatismes ces gens souffrent-ils pour accorder à leur papier toilette une importance si capitale? En ont-ils manqué dans leur prime jeunesse? En étaient-ils privés quand ils refusaient de manger leur purée aux épinards?

Pensent-ils au sort tragique de leur arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père qui, engagé dans les armées napoléoniennes, se retrouva un jour aux portes de Moscou, l'estomac vide mais les fesses si chargées de souillures que l'on dût l'amputer sans plus attendre, la gangrène commençant à grignoter les premiers contreforts de sa raie culière?

Et les cure-dents, ils ont pensé aux cures-dents, ces braves couillons? Aux tubes de dentifrice? Au fil dentaire? Aux brosses à dents? Aux coupe-ongles? À quoi bon se promener avec un cul immaculé si notre bouche ressemble à un vieux dépotoir tout dégoûtant et nos pieds à un funérarium ambulant?

Et si on venait à manquer d'eau? Si nos centrales électriques tombaient toutes en panne sous les coups de butoir du Covid-19? Si, dans l'obscurité profonde de nos chiottes, on n'arrivait même plus à distinguer l'évier de nos fosses septiques, on aurait l'air malin, avec nos surplus de papier toilette dont on ne saurait quoi faire.

Si encore la transmission du virus occasionnait des dysenteries et des diarrhées spectaculaires... Mais non, j'ai eu beau interroger le site de l'OMS, je n'ai rien trouvé qui concernerait la détérioration éventuelle de nos transits intestinaux. Rien.

Les experts sont tous formels: on peut continuer à chier tranquilles.

Qu'importe, jour après jour, des esprits inquiets, tétanisés à l'idée de manquer de papier-toilette, continuent à dévaliser les supermarchés au point d'en obliger certains à le rationner. Comme s'il s'agissait là d'un produit de première nécessité sans lequel on ne saurait vivre ou survivre. Comme si à la suite de je ne sais quels sortilèges, les usines qui les produisent cessaient d'en fabriquer. Comme si le premier souci d'un naufragé abandonné sur une île déserte était de s'inquiéter du sort de ce qui vient de ses entrailles.

Ils n'ont donc pas de livres, ces gens-là, de magazines, de bulletins scolaires, de fiches cuisine, de relevés bancaires, de lettres d'amour, de calendriers postaux, dont en dernier recours ils feraient usage si l'Apocalypse frappait à la porte de leur chiotte?

Mais dans quel monde vit-on au juste, finit-on par se demander devant un pareil spectacle? Est-on bien certain que le coronavirus, au lieu de s'attaquer aux poumons comme on le prétend, n'est pas plutôt en train de grignoter la matière cérébrale de nos cerveaux?

Quel monde de merde que le nôtre!

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