Sciences / Économie

La forêt française menacée par le douglas?

Cet arbre, originaire de la côte ouest des États-Unis, est aujourd'hui exploité de manière intensive en France, exactement comme on cultive des champs de maïs ou de blé.

Des douglas dans la forêt nationale de Pike (Colorado). | Dave Powell, USDA Forest Service <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pseudotsuga_glauca_forest.jpg">via Wikimedia Commons</a>
Des douglas dans la forêt nationale de Pike (Colorado). | Dave Powell, USDA Forest Service via Wikimedia Commons

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C'est l'histoire du roi des forêts. Oui, un beau sapin, devenu roi de la forêt française depuis plusieurs décennies: le douglas. Ce pin, originaire d'Amérique du Nord, a envahi nos bois avec la complicité des êtres humains. On en trouve aujourd'hui des forêts entières dans le Limousin, en Bourgogne ou dans le Massif central. Ici, les douglas sont partout. Plantés en ligne droite, ils poussent de manière bien rectiligne, pas une branche ne dépasse. Comme des plants de tomates en serre. Ou un champ de poireaux. Vous avez compris le principe.

Des champs d'arbres

Pourquoi cet engouement pour le douglas, me demanderez-vous? Tout simplement parce que cet arbre a la particularité de pousser vite et de donner un bois résistant, les deux principaux critères permettant de vendre un maximum de matière première. On cultive donc le douglas de manière intensive, avec les mêmes procédés que dans l'agriculture. On plante, on laisse pousser le moins longtemps possible, et on récolte. C'est pour ces raisons que le douglas tend à supplanter les autres essences d'arbres dans certaines de nos forêts. Par endroit, ces champs d'arbres ont tendance à remplacer la forêt biodiversifiée que l'on connaît habituellement.

«C'est une menace dans le sens où, aujourd'hui, les forêts naturelles sont régulièrement rasées pour être replantées en douglas», explique François Bonnevialle, bûcheron indépendant en Saône-et-Loire. «On a une perte de forêts au profit de plantations. En Bourgogne, on a des massifs très impactés, comme le Morvan. Autour de chez moi, quasiment tous les chantiers forestiers sont des coupes rases replantées en douglas, quand on n'en est pas déjà à la seconde génération. Partout où c'est faisable, c'est ce qui se fait.»

Couper vite pour vendre plus

Sur le plateau de Millevaches ou dans le Morvan, on plante de jeunes arbres, tous originaires d'une pépinière. On les laisse pousser quarante à cinquante ans, et on coupe tout pour planter de nouveau. Cette durée vous paraît longue? Pourtant, le cycle naturel de croissance est plus proche de quatre-vingts ans. Car plus on récolte vite, plus on a de bois, et plus on peut en vendre. À l'heure actuelle, le douglas est utilisé aussi bien pour fabriquer des palettes, des revêtements de façades de maisons que de la charpente.

«Le Limousin est un des deux principaux massifs de douglas en France. En surface, je pense que c'est en Limousin qu'il y en a le plus, et en volume, c'est dans le Morvan», détaille Emelyne Faure, technicienne forestière indépendante. «C'est à peu près les mêmes dynamiques sur les deux territoires. En Limousin, le douglas est devenu la première essence de reboisement après la tempête de 1999. C'est la première essence résineuse.»

Douglaseraie des Farges à Meymac, Corrèze, Limousin. | Gulokhar via Wikimedia Commons

Dans la région, l'histoire du douglas remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque les porcelainiers de Limoges ont importé différents arbres des États-Unis, dont le douglas. Puis c'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que ce pin est devenu l'essence reine, systématiquement utilisée pour les reboisements de forêts coupées, grâce à un sacré coup de pouce de l'État: le Fonds forestier national (FFN).

«Le douglas est devenu une réelle essence de reboisement intense avec le FFN. C'était une structure émanant de l'État, gérée par le ministère de l'Agriculture. Après la Seconde Guerre mondiale, quand on a constaté qu'il manquait de bois en France pour la reconstruction et la pâte à papier, il y a eu une grande campagne de financement pour faire des plantations, qui a duré de 1946 jusqu'à 1999», relate Emelyne Faure.

«En Limousin, la première essence qui a été reboisée avec le FFN, c'est l'épicéa commun. C'est ce qui a été essentiellement planté dans les années 1950-1960. Ce n'est qu'à partir des années 1970 que le douglas a été véritablement introduit en Limousin. Il a été choisi parce que l'expérience montrait que même si c'était une essence exotique, elle s'était très bien acclimatée à notre territoire. C'est une essence très plastique, qui pousse dans des zones très sèches et très humides, toutes altitudes confondues. C'est une essence qui s'est très bien adaptée à notre territoire, dans le Limousin et tout le massif central», précise la technicienne forestière. En bref, une essence qui pousse facilement, sur tous types de sols et dans tous les climats.

Une industrialisation grandissante

Plus d'un demi-siècle après son implantation en France, le douglas est devenu un incontournable de nos forêts. On le retrouve tout au long de la filière bois, de l'arbre sur pied au meuble en kit acheté en magasin. C'est bien pour ça qu'il est si populaire, parce qu'il répond à toutes les attentes des industriels.

«On optimise la forêt pour l'industrie, déplore François Bonnevialle. Pour beaucoup de gens, à commencer par les utilisateurs, la forêt est vue comme une ressource en bois. Du coup, si on veut optimiser l'exploitation de cette ressource, il faut qu'elle soit facilement industrialisable. Pour ça, il faut des arbres qui ont des structures assez simples. Si vous regardez l'architecture d'un douglas et celle d'un chêne, par exemple, ça n'a rien à voir. Un douglas est très facile à mécaniser, au moment de l'abattage et du débardage [la coupe et l'acheminement hors de la forêt, ndlr]. Les plantations permettent de rationaliser tout ça en faisant des coupes d'arbres.»

L'arbre qui cache la forêt

Avec tout ce que l'on sait, le douglas serait donc l'arbre à abattre pour préserver nos forêts? En réalité, le problème n'est pas si simple. Pour Emelyne Faure, «l'arbre en lui-même n'est pas le problème, le problème c'est sa gestion». «Ce n'est pas au douglas qu'il faut en vouloir, c'est aux forestiers, assure-t-elle. Le fait qu'il soit planté en monoculture, qu'il soit coupé jeune. La sylviculture dominante du douglas est une sylviculture intensive, où on plante en monoculture, on dégage, on fait une ou deux éclaircies et à quarante ans on rase tout et on recommence. C'est vrai que ça ressemble plus à un champ de maïs, même si c'est sur quarante ans et pas une année, qu'à une forêt.»

Même son de cloche du côté de François Bonnevialle, en Bourgogne: «Il y a l'essence mais il y a aussi la sylviculture qui est associée à ça. Le douglas, en soi, n'est pas forcément une catastrophe. Par contre, la sylviculture régulière avec des cycles courts et des coupes rases, ça c'est vraiment un gros problème. Ça met sous le tapis les aspects autres que la production de bois qui existent dans une forêt, comme la biodiversité, la constitution des sols, les animaux, les champignons, les bactéries, la filtration de l'eau... ce qui fait toute la vie d'une forêt permanente. Quand on passe sur une monoculture, tout ça est sous le tapis.»

La vision des industriels VS celle des écologistes

C'est donc bien le système d'exploitation qui est à incriminer, et non l'essence en elle-même, comme le confirme Ghislaine Nouallet, du Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM). «Ce n'est pas le douglas qui est une menace. Le douglas est un arbre qui est très bien adapté, qui est magnifique. L'arbre en lui-même n'a rien de grave mais la manière dont on le produit en monoculture intensive est problématique, comme pour les épicéas ou les chênes rouges d'Amérique. C'est le principe de la monoculture qui est très dommageable en matière de sylviculture.»

En résumé, la forêt doit-elle être envisagée comme une simple ressource en bois ou comme un milieu fragile qu'il convient de préserver pour le transmettre aux générations futures? «De mon point de vue, c'est juste savoir ce qu'on appelle une forêt. C'est la définition même qu'on en a. Si on a une définition très large de la forêt, une plantation de douglas n'est pas une forêt», affirme François Bonnevialle.

Que souhaite-t-il pour l'avenir? «J'espère que la gestion des forêts ne sera pas menée par les industriels et que les autres usagers de la forêt pourront faire entendre leur voix. J'espère qu'on gardera une forêt mélangée et diverse.»

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