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À Hong Kong, le racisme anti-chinois se propage aussi rapidement que le coronavirus

L'épidémie n'a fait qu'accentuer la colère du peuple hongkongais à l'égard de Pékin et de la population de Chine continentale.

Dans les rues de Hong Kong, près des bureaux du gouvernement, le 2 mars 2020. | Isaac Lawrence / AFP
Dans les rues de Hong Kong, près des bureaux du gouvernement, le 2 mars 2020. | Isaac Lawrence / AFP

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Le 19 février 2020, le Time publiait un article intitulé «Le coronavirus a mis en lumière le côté laid du mouvement protestataire hongkongais». Loin d'être anodin, ce titre puissant souligne une réalité que beaucoup à Hong Kong préférèrent ignorer: celle de la montée du racisme à l'encontre des habitant·es de la Chine continentale.

«Jusqu'à il y a quelques années, les minorités les plus discriminées à Hong Kong étaient les Asiatiques du Sud et les Africains, indique Gordon Mathews, professeur d'anthropologie et spécialiste de l'identité culturelle à l'université chinoise de Hong Kong. Aujourd'hui, la minorité la plus rejetée se trouve être celle des “Chinois continentaux”, ou du moins ceux qui parlent mandarin. Si on considère ces discriminations comme une hostilité systématique à leur égard, on peut même parler de racisme.»

Sentiment d'abandon

Depuis la fin mars 2019, Hong Kong a marqué le monde entier par son impressionnante vague de manifestations. La raison de ce mouvement: la population de la région administrative spéciale considérait que son gouvernement préférait contenter les attentes du président chinois Xi Jinping plutôt que les siennes.

À cause de cette dichotomie, les tensions entre les Hongkongais·es et les Chinois·es du continent ont eu le temps de se développer. Beaucoup de manifestant·es se complaisaient à dire: «Je ne déteste pas les Chinois, je déteste leur gouvernement et leur Parti communiste.»

Si cette rupture était déjà présente, elle paraissait relativement limitée. L'arrivée de l'épidémie du Covid-19 a contribué à aggraver la situation: le virus a donné une excuse à certaines personnes pour intensifier les critiques.

Après l'annonce de l'épidémie, le gouvernement de Hong Kong a refusé de suivre le chemin emprunté par les pays voisins, qui ont bloqué les arrivées de la Chine continentale sur leur territoire. Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif, a déclaré lors d'une conférence de presse le 1er février qu'une fermeture totale des frontières serait «discriminatoire».

 


Conférence de presse de Carrie Lam, le 3 mars 2020. | Isaac Lawrence / AFP

Si le peuple hongkongais cherchait la promesse d'une protection de la part de son gouvernement, il n'a pas pu en trouver dans ses paroles. Au contraire, il y a vu une nouvelle preuve de la primauté des exigences du Parti communiste chinois sur ses besoins.

Le corps médical fut le premier à réagir, en entrant en grève le 3 février. Encore traumatisé·es par la crise du SRAS de 2003 (qui avait tué 299 personnes à Hong Kong), plus de 7.000 médecins et infirmières ont exprimé leur mécontentement: pour beaucoup, cette décision politique aurait dû être médicale avant tout.

«Si les frontières ne sont pas totalement fermées, il n'y aura pas assez de main-d'œuvre, d'équipements de protection et de chambres d'isolement pour combattre l'épidémie», prévenait Winnie Yu, la présidente de l'Alliance de la direction générale des employés des hôpitaux.

À ce jour, le gouvernement n'a ni accepté de rencontrer l'Alliance, ni accédé à sa demande. Entre-temps, le nombre de cas est passé de 15 à 106 à Hong Kong, et deux personnes sont mortes. Il faut remercier les réflexes de la population locale, qui ont limité au mieux la propagation à l'aide de masques et de lavages de mains réguliers.

Discriminations quotidiennes

D'après Gordon Mathews, c'est ce mépris qu'a le gouvernement hongkongais pour les demandes de son peuple qui a catalysé cette nouvelle vague de racisme anti-chinois.

«Le gouvernement hongkongais est perçu localement et internationalement comme inapte, incompétent et incapable de gérer les manifestations et l'épidémie de Covid-19, souligne le spécialiste. Ça a créé une certaine peur dans la population. Ils se sont dit: “Je dois me protéger moi-même, puisque le gouvernement ne le fait pas.” Et leur manière de le faire, en plus de faire des stocks inutiles de papier toilette et de riz, inclut le racisme envers les Chinois continentaux.»

«Les Chinois continentaux sont perçus comme les uniques porteurs potentiels du coronavirus par le monde entier, et Hong Kong ne fait pas exception à la règle», relève Mathews.

Dès le début de l'épidémie, nombreux sont les restaurants et magasins hongkongais à avoir affiché ouvertement qu'ils ne serviraient plus les personnes parlant mandarin.

 


Stand de restauration à Hong Kong, le 4 mars 2020. | Vivek Prakash / AFP

Officiellement, les justifications sont nombreuses. La chaîne de restaurant Kwong Wing Catering a déclaré que cette nouvelle mesure s'expliquait par leur manque de personnel maîtrisant le mandarin. D'autres établissements, un peu plus transparents, ont affirmé que cette décision leur permettait de réduire les risques de contamination. Mais dans le fond, toutes ces excuses conduisent à une discrimination certaine.

Comme l'explique Gordon Mathews, «il est extrêmement dangereux de réduire une population de 1,4 milliard d'habitants à un virus ayant touché environ 80.000 personnes dans le monde entier. Même si le comportement des Hongkongais possède une certaine logique, il n'est pas réellement justifiable».

Sur internet, le sentiment anti-gouvernemental et anti-chinois est encore plus présent, et les rumeurs encore plus nombreuses. Le bruit circule librement que les Chinois·es du continent ont intentionnellement infecté Hong Kong par égoïsme, en essayant de fuir l'ingérence de leur gouvernement, ou encore que le gouvernement local les a laissé faire pour stopper les manifestations.

La population chinoise continentale est aussi accusée d'avoir dépourvu l'archipel de son stock de masques, de désinfectant pour les mains, de papier toilette ou même de ses lits d'hôpitaux. Si toutes ces informations ont été vérifiées et réfutées, il est facile d'imaginer l'ambiance qui règne à Hong Kong.

 

«Hong Kong déplore sa première mort liée au coronavirus –et cela ne fera qu'alimenter les manifestations. Une grande partie des gens qui menaient le mouvement pro-démocratie ont trouvé une nouvelle cause anti-Pékin et appellent à la fermeture de la frontière avec la Chine.»

Continentalisation forcée

Face au ciblage systématique de la population chinoise et à la colère des Hongkongais·es contre leur gouvernement, certaines personnes tentent de faire la part des choses.

Thomas Abraham, journaliste spécialisé dans la communication autour des maladies infectieuses et consultant pour l'OMS, défend le point de vue selon lequel le comportement et les demandes de la population de Hong Kong n'ont pas lieu d'être.

Cela serait «regrettable» et «aucunement scientifique», assure-t-il: «La fermeture totale des frontières n'est pas recommandée par l'OMS, puisqu'elle n'est pas assez efficace pour stopper la propagation des maladies, comparée aux perturbations quotidiennes et économiques qu'elle provoque. De plus, il est complètement faux de penser que le virus n'affecte que les personnes venant de la Chine continentale» –la propagation du Covid-19 en Italie, en Corée du Sud ou au Japon en serait la preuve.

De la même manière, le journaliste réfute le fait que les Chinois·es cherchent à se rendre à Hong Kong pour échapper à un gouvernement totalement incapable de gérer cette crise sanitaire: «Contrairement à ce qui est relayé, la Chine a plutôt fait du bon travail pour avertir le monde de l'existence du Covid-19. Les premiers cas affichaient tous les symptômes basiques de la pneumonie, qui sont loin d'être anormaux en hiver. Dès le 31 décembre, la Chine a mis au courant l'OMS de l'existence d'une nouvelle forme de pneumonie, et elle a partagé la séquence génétique du virus dès le 12 janvier. C'est relativement rapide, en comparaison d'autres pays.»

Cela fait des décennies que le sentiment de colère contre le gouvernement hongkongais et contre la Chine est profondément ancré dans la population de l'archipel. «Depuis 1997, il faut se rendre compte que la Chine continentale a brutalement forcé son identité sur la population hongkongaise», fait remarquer Gordon Mathews.

Aux yeux du spécialiste, l'un des exemples les plus frappants est la politique d'immigration entre les deux territoires. Tous les jours, quelque 150 Chinois·es choisi·es par le Parti communiste sont autorisé·es à venir vivre à Hong Kong. Cette politique fait encore grimper le prix des logements de l'une des villes les plus chères du monde, empêchant les Hongkongais·es d'accéder à la propriété.

Il ne faut pas non plus oublier le fait que la Chine choisit les leaders de la région administrative spéciale, et davantage de manière à contrôler le territoire que pour inspirer son peuple. Cette dépendance politique a largement contribué à la profonde colère et à l'immense frustration de la population hongkongaise.

«Il y a vingt ans, tout le monde prédisait que la nouvelle génération de Hongkongais se sentirait chinoise, relate Gordon Mathews. Et il s'est passé exactement l'inverse. Aujourd'hui, il est quasiment impossible de trouver des jeunes locaux qui diraient: “J'aime la Chine, c'est mon pays.”»

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