Société

Le pape François cède aux conservateurs

Le souverain pontife ferme la porte aux prêtres mariés et aux ministères de femmes qui avait été ouverte par le synode des évêques sur l'Amazonie, organisé en octobre 2019 au Vatican.

Le Pape François dans la salle Paul VI, au Vatican, le 22 janvier 2020. | Filippo Monteforte / AFP
Le Pape François dans la salle Paul VI, au Vatican, le 22 janvier 2020. | Filippo Monteforte / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Pour les catholiques progressistes, c'est la douche froide. Le pape réformateur, jésuite et latino-américain, promu par surprise il y a exactement sept ans à la tête de l'Église, était le seul capable de mettre en œuvre cette mini-révolution que, depuis des décennies, ils appellaient de leur vœux: dans un contexte de crise des vocations religieuses, mettre fin au tabou des prêtres exclusivement masculins et célibataires, ouvrir la voie à une ordination des hommes mariés et aussi des femmes. C'est tout le visage de l'Église catholique qui en aurait été changé.

Les catholiques qui s'impatientent souvent de la sclérose de l'institution, qui dépriment devant l'accumulation des scandales d'agressions sexuelles commises par des prêtres, croyaient dur comme fer à cette révolution.

Spectaculaire demande

En octobre 2019, le pape François, réputé à Rome pour être «un po'furbo» («un peu rusé»), a convoqué au Vatican un sommet d'évêques pour parler de l'Amazonie, connue pour ses désastres écologiques mais aussi pour être l'une des régions du monde les plus étendues –34 millions d'habitant·es réparti·es sur huit pays–, où les communautés de fidèles sont les plus dispersées et démunies, privées de messes, de sacrements, de soutien spirituel, menacées par la concurrence sauvage de groupes évangéliques prosélytes.

En trente ans, 46% des catholiques d'Amazonie auraient abandonné leur Église pour s'orienter majoritairement vers l'évangélisme. La pénurie de prêtres s'explique par l'étendue du territoire, ses difficultés d'accès, et par un obstacle d'ordre culturel: pour des populations autochtones, être homme et célibataire est inconcevable.

Il n'était plus possible de continuer à repousser l'évidence: pour répondre au manque de prêtres capables d'assurer la messe, la prédication, la confession et les autres sacrements, il faudrait ordonner des «viri probati», un jargon latin servant à désigner les hommes d'âge mûr, éventuellement mariés, d'expérience humaine et chrétienne reconnue.

Au cours de ce sommet d'évêques au Vatican, appelé synode, tout était en place pour faire sauter l'un des verrous les plus anciens et indestructibles de l'Église, remontant au XIIe siècle. C'est en effet en 1139 que le deuxième concile du Latran avait imposé l'interdiction, pour les hommes mariés, d'être ordonnés prêtres. De toutes les confessions chrétiennes, l'Église romaine est la seule à avoir maintenu, à travers les siècles, cette discipline absolue des prêtres célibataires.

Dès l'ouverture du synode sur l'Amazonie, le pape François avait demandé aux évêques de bannir toute autocensure, et une large majorité d'entre eux se sont prononcés en faveur de ce qui restera comme une brèche historique dans la discipline de l'Église catholique.

Adoptée à la majorité des deux tiers, une proposition ouvrait, pour la première fois dans l'histoire, la possibilité d'ordonner prêtres des hommes mariés et préparés pour cette tâche. Elle formulait une spectaculaire demande: que cette mesure destinée à des régions du monde où les communautés souffrent du manque de prêtres ne soit pas seulement applicable à l'Amazonie mais au monde entier, selon une «approche universelle».

 

Messe de clôture du synode sur l'Amazonie, le 27 octobre 2019 à la basilique Saint-Pierre. | Andreas Solaro / AFP

La ligne de la réforme l'avait donc emporté nettement au cours de ce sommet épiscopal, confirmée par la reconnaissance, également sans précédent, de ministères féminins spécifiques –comme celui de femme diacre, ou «diaconesse», qui a une origine historique ancienne mais que l'Église catholique avait supprimé, pour ne pas risquer d'avoir un jour à ordonner des femmes prêtres.

C'est une autre anomalie qui ne touche pas que l'Amazonie: les femmes sont les vrais piliers des communautés chrétiennes. Elles assurent la liturgie, la catéchèse, le service des malades, sans avoir le droit de célébrer la messe ni aucun autre sacrement.

Demain, il faudra déchanter. La mini-révolution n'aura pas lieu.

Recul apparent

Il appartenait au pape de ratifier –ou non– ces souhaits émis par le synode d'évêques. Dans l'exhortation apostolique publiée à Rome le jeudi 12 février, intitulée Chère Amazonie, dans laquelle il dénonce toutes les formes d'exploitation dont est victime ce «continent», François ferme la porte aux prêtres mariés et aux femmes diacres. Il cède aux conservateurs.

Le pape se contente d'«exhorter tous les évêques» à envoyer plus de missionnaires en Amazonie, rend hommage au rôle des femmes pour transmettre la foi dans ces communautés lointaines, estime qu'elles devraient avoir plus de place dans la hiérarchie de l'Église, sans donner plus de précisions.

Sans doute sa position ne peut-elle tout à fait surprendre: le pape François loue régulièrement le «trésor du célibat sacerdotal» et souligne que le célibat des prêtres n'est pas «optionnel». Seulement, le même répète également que ce n'est pas un «dogme», c'est-à-dire une vérité de foi qui s'impose absolument, mais une discipline évoluant à travers le temps et l'espace.

L'Église a toujours compté des prêtres mariés, jusqu'à aujourd'hui: des prêtres anciennement protestants et anglicans qui étaient mariés avant de rejoindre les rangs catholiques et, au Moyen-Orient, les prêtres des Églises catholiques de rite oriental.

Aussi la position actuelle de François ressemble-t-elle à un recul. Certes, on savait que le pape marchait sur des œufs. On devinait le choc qu'une exception amazonienne aurait provoqué dans d'autres régions du monde catholiques, qui attendent de passer à l'acte et de pouvoir ordonner des hommes mariés ou des femmes.

En Allemagne, la Conférence des évêques a déjà décidé d'ouvrir la discussion. Là, c'est un autre proche de François qui est à la manœuvre, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich, présent au synode sur l'Amazonie.

Occasion manquée

Le pape François se trouve désormais cerné. Dans une Église plongée dans la crise pédophile, qui bruit de rumeurs de divisions, de dissidences, qui se trouverait au bord du schisme, personne n'ignore l'étendue des résistances qui le visent, à Rome, aux États-Unis, en Afrique ou en France.

Jamais un pape en exercice, réputé cassant, présenté comme un «populiste» argentin à la mode péroniste, n'avait suscité autant d'oppositions organisées et publiques. On conteste sa générosité jugée excessive pour les populations réfugiées, pour les immigré·es, pour l'islam, ou bien ses coups de poignard dans la doctrine traditionnelle sur le couple, la famille ou l'homosexualité.

 


Audience du pape François avec des réfugié·es arrivé·es de l'île grecque de Lesbos, le 19 décembre 2019 au Vatican. | Ettore Ferrari / Pool / AFP

Le camp conservateur est aujourd'hui en embuscade sur le célibat des prêtres, dont la disparition créerait, à l'entendre, un clergé à deux vitesses –marié et non marié– et risquerait de tarir davantage l'entrée dans les séminaires, réservée aux seuls jeunes hommes célibataires.

Récemment, un livre brulôt, auquel a contribué le pape émérite Benoît XVI, 92 ans, et dont l'auteur principal est un cardinal africain de la Curie, Robert Sarah, dénonçait ceux qui veulent faire sauter le verrou du «célibat consacré».

À leurs yeux, le célibat des prêtres n'est pas négociable. Il n'est ni une simple discipline, ni une matière à option: «L'aptitude à renoncer au mariage pour se mettre totalement à la disposition du Seigneur est un critère absolu pour le ministère sacerdotal», écrivent-ils.

Les pressions qui s'exercent sur lui depuis des semaines ont fait trembler la main du pape François dans ce qui restera pour l'histoire une occasion manquée.

Comment continuer à tolérer une situation où, dans des territoires immenses et reculés, le prêtre âgé est obligé de parcourir des centaines de kilomètres pour pouvoir rencontrer ses fidèles? La situation du clergé est dramatique en Amazonie, mais qui dira qu'elle ne l'est pas en Afrique ou dans les territoires ruraux français?

La France compte moins de 12.000 prêtres diocésains, contre 50.000 dans les annés 1950, majoritairement agés de plus de 75 ans. Sur les seuls 4.000 qui sont sous cette barre des 75 ans, 2.000 prêtres viennent de l'étranger –d'Afrique, de Pologne, voire d'Inde.

Le bon sens impose également de donner leur vraie place aux femmes dans l'Église catholique, où le pouvoir, on le sait, est encore réservé aux seuls hommes célibataires.

Repliée sur sa caste cléricale, l'Église ne produit plus que des discours coupés du réel. Face à des évolutions qui, partout dans le monde, vont dans le sens d'une prise de pouvoir plus grande des femmes, face à des campagnes pour mettre hors jeu et punir le harcèlement, le machisme et le sexisme, l'argumentation catholique pour légitimer la mise à l'écart des femmes dans la célébration du culte, dans la prédication, aux postes d'enseignement, n'est plus tenable.

cover
-
/
cover

Liste de lecture