Économie

Sous le dôme de Center Parcs, le paradis a disparu

En difficulté financière, Pierre & Vacances tente de rentabiliser ses Center Parcs. Mais les petits propriétaires de ses fameux cottages et les associations écologistes dénoncent les pratiques du groupe.

L'espace Aqua Mundo du Center Parcs des Trois Forêts à Hattigny (Moselle), le 21 mai 2010. | Jean-Christophe Verhaegen / AFP
L'espace Aqua Mundo du Center Parcs des Trois Forêts à Hattigny (Moselle), le 21 mai 2010. | Jean-Christophe Verhaegen / AFP

Temps de lecture: 6 minutes

Les remous de la fameuse rivière sauvage, attraction phare des complexes aqualudiques Center Parcs, laissent parfois des bleus sur les jambes. Mais en 2019, c'est la direction du groupe hôtelier Pierre & Vacances-Center Parcs, propriétaire des dômes éponymes, qui a pris les plus gros coups.

En déficit depuis 2011, Pierre & Vacances a changé de gouvernance deux fois en douze mois. En septembre 2019, le PDG Olivier Brémond, fils du fondateur du groupe, laissait sa place à Yann Caillère, tout juste un an après avoir été intronisé à la tête de l'entreprise.

En guise de feuille de route, son successeur a affirmé vouloir baisser les coûts tout en montant en gamme, notamment en ce qui concerne les célèbres Center Parcs.

«Le Club Med et la plupart des campings ont fait la même chose. La marge est plus grande et il faut trouver un créneau, alors que les offres low cost tout compris hors Europe reviennent souvent moins cher aux vacanciers, même en comptant l'avion», analyse Saskia Cousin, chercheuse spécialiste du tourisme à l'université Paris-Descartes.

«Les tropiques en toute sécurité»

La marque de villages vacances Center Parcs est née aux Pays-Bas en 1968. Le concept: un gigantesque bâtiment central où la température est maintenue à 29°C et qui abrite des piscines à vagues, des toboggans ou des rivières artificielles et, tout autour de ce dôme, un immense domaine forestier interdit aux voitures, où les touristes séjournent dans des petits bungalows nommés «cottages».

«L'idée qui a fait son succès initial, c'est de prévoir des “cottages” pouvant accueillir trois générations en relation avec la “nature”», relève Saskia Cousin.

En France, le premier Center Parcs ouvre en 1988 à Verneuil-sur-Avre, en Normandie. Le groupe Pierre & Vacances rachète la marque en 2001. Aujourd'hui, il existe six Center Parcs sur le territoire français et dix-neuf autres en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.

Dans les années 1990, Center Parcs rencontre un vif succès: à l'époque, se retrouver en famille dans un monde tropical caché en pleine campagne française était une idée assez magique.

 

L'ethnologue Marc Augé, intéressé par le phénomène, avait décrit dans les pages du Monde diplomatique en 1996 comment Center Parcs était un lieu exotique aseptisé, pour le plus grand bonheur des familles assez aisées pour se permettre ce genre de séjour.

«La bulle de Center Parcs, c'était [...] un lieu de délices et de repos, une eau toujours chaude, une végétation luxuriante, les tropiques en toute sécurité, à deux pas des cafés-restaurants et du bon air normand, pouvait-on lire. [...] L'idée, c'était le “paradis aquatique tropical”, un lagon de céramique peu profond, où chacun trouvait sa place et pouvait barboter en toute sécurité, quelques vaguelettes déclenchées tous les quarts d'heure par une machinerie sans surprise, une fausse cascade, une fausse rivière, des rapides roulant au long de toboggans plastifiés et des bains à remous dans lesquels on pouvait s'allonger en fermant les yeux.»

Renégociations houleuses

Center Parcs n'est pourtant pas un jardin d'Éden pour tout le monde. Depuis plusieurs années, des propriétaires de cottages se révoltent contre les conditions de plus en plus médiocres que leur impose le groupe Pierre & Vacances.

Les petits chalets ont en moyenne coûté 230.000 euros à chaque propriétaire, lié·e à Center Parcs par un bail commercial de neuf ans. À chaque renégociation du bail, l'entreprise hôtelière tente de revoir à la baisse les loyers des locations touristiques versés aux propriétaires, tout en leur faisant payer les coûts de rénovation des cottages.

Pour le Center Parcs lorrain des Trois Forêts, où beaucoup de baux arrivaient à échéance en novembre 2019, Pierre & Vacances avait initialement proposé une baisse des loyers de 10% à 15%. Quelque 750 propriétaires de cottages se sont rassemblé·es et ont créé une association de défense de leurs intérêts.

 

«Pierre & Vacances voulait nous imposer une baisse des loyers de 10%, mais on a réussi à négocier une baisse plus négligeable de 2%. Heureusement que nous avons fondé l'association pour nous unir: il ne faut pas rester seul face à eux», soutient Daniel Fleischhauer, président de l'Association des copropriétaires du domaine des Trois Forêts.

Si Pierre & Vacances a finalement plié sur la question des loyers, des travaux à charge ont été imposés aux propriétaires signant le nouveau bail: «On sait qu'ils nous ont majoré de 30% à 40% le coût des travaux de rénovation pour se faire de la marge.»

Membre de l'association du Pic noir, qui combat le projet d'implantation d'un Center Parcs dans le Jura, Hervé Bellimaz a écrit et publié en 2017 un livre en autoédition sur les pratiques financières du groupe Pierre & Vacances, dans lequel il interrogeait nombre de propriétaires de cottages concerné·es par les décisions de l'entreprise.

«Le prix du cottage est survalorisé par Pierre & Vacances, indique Hervé Bellimaz. Center Parcs se fait une marge énorme sur ces ventes et attire les acheteurs en promettant une rentabilité de 4% sur les baux.»

Autre atout avancé pour convaincre d'acheter: les multiples avantages fiscaux autorisés par le dispositif Censi-Bouvard, en particulier la récupération de la TVA et l'absence d'imposition sur les revenus locatifs perçus.

Cette déduction fiscale brandie par Pierre & Vacances comme appât cache cependant une face plus sombre. «Il y a beaucoup de problèmes qui apparaissent à la fin des baux. Depuis une dizaine d'années, les contrats sont systématiquement revus à la baisse, en défaveur des propriétaires, pour les baux commerciaux. Les gens préfèrent souvent signer en perdant un peu plutôt qu'en perdant beaucoup plus en cas de revente», dénonce Hervé Bellimaz.

«Un cottage est impossible à revendre au même prix. Ça vieillit assez mal.»
Hervé Bellimaz, membre de l'association du Pic noir

Son discours fait écho à celui de Daniel Fleischhauer. Selon le président de l'Association des copropriétaires du domaine des Trois Forêts, «les prix à l'achat des cottages sont majorés de 30% par rapport à la valeur réelle du bien. Mais on l'a découvert trop tard».

La survalorisation des cottages à l'achat et la position dominante de Pierre & Vacances face aux propriétaires qui voudraient revendre leur bien acculent en effet ces dernièr·es dans une impasse.

«Un cottage est impossible à revendre au même prix, poursuit Hervé Bellimaz. Ça vieillit assez mal, avec beaucoup d'usure liée à l'occupation du bâtiment, et les structures aqualudiques sont très humides. Un bien peut perdre la moitié de sa valeur, et le pire est que seul Pierre & Vacances peut s'occuper de la vente du bien et touche une grosse commission dessus.»

Dégâts environnementaux

Pour faire tourner la machine à cash, vendre des cottages comme des petits pains et rembourser ses dettes, Pierre & Vacances lorgne de nouvelles ouvertures de Center Parcs. Mais la plupart de ses projets sont embourbés dans de longues procédures judiciaires.

L'impact écologique des Center Parcs, avec la nécessité de maintenir une température de 29°C tout au long de la journée sous un immense dôme, hérisse le poil de nombreuses associations écologistes. L'artificialisation de milieux naturels –les Center Parcs sont construits dans des écrins de verdure– soulève également des résistances de la part de la société civile.

En 2014, Michel Dubromel, le président de l'association France Nature Environnement, signait un article critique intitulé «Center Parcs, un concept touristique contre nature» dans la revue scientifique Pour.

«Le concept reposant sur un séjour nature, tout projet de Center Parcs commence par la recherche d'un massif forestier. Pas n'importe lequel: il doit être d'un seul tenant, avec des points d'eau et un mélange d'essences et de classes d'âge diversifiées, et situé dans un secteur bien desservi. [...] Il est donc implicite que ces travaux détruisent le milieu forestier et les espèces animales et végétales qui y vivent, dont des espèces protégées parfois d'intérêt patrimonial», écrivait-il.

Dans le département du Jura, l'association du Pic noir s'élève contre la construction d'un dôme aquatique sur la commune de Poligny, en dénonçant l'argent public dépensé pour le projet et les potentiels dégâts environnementaux.

 

Les opposant·es ont remporté une victoire juridique importante le 26 avril 2019: le tribunal administratif de Besançon a annulé une partie du plan local d'urbanisme (PLU) de Poligny, qui devait permettre la construction du Center Parcs. Le Pic noir avait formé un recours contre une délibération du 23 mars 2017 approuvant le PLU de cette commune de 4.000 habitant·es.

En Isère, c'est dans le massif forestier de Chambaran que le projet d'un Center Parcs est source de tensions. Depuis de longues années, soutiens et adversaires du complexe touristique s'affrontent en justice.

En mai 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a décidé de faire réaliser une mission d'expertise afin d'évaluer la surface des zones humides qui seraient détruites par le futur Center Parcs, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du périmètre du projet.

Six mois plus tard, en décembre 2019, l'association Pour les Chambaran sans Center Parcs faisait part sur son site d'un courrier des avocats de Center Parcs s'opposant à l'expertise de terrain. Le combat judiciaire se poursuit.

Sous le dôme, les propriétaires des cottages font face à la politique de baisse des coûts de Pierre & Vacances, qui n'arrive plus à atteindre la rentabilité avec son modèle touristique. À l'extérieur de l'espace tropical, ce sont des habitant·es de zones rurales et des militant·es écologistes qui craignent la création de nouveaux Center Parcs dans des écrins de nature. La bulle du lagon paradisiaque a bel et bien éclaté.

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