Égalités / Parents & enfants

Il faut apprendre aux petits garçons qu'ils ne sont pas le centre de l'univers

Oui, je pratique une éducation genrée. Mais je le fais parce que nous ne vivons pas dans un monde abstrait.

À un certain âge, il est temps de révéler aux garçons qu'ils doivent aussi se détourner d'eux-mêmes. | Hunter Johnson <a href="https://unsplash.com/photos/W82dYwtQrTk">via Unsplash</a>
À un certain âge, il est temps de révéler aux garçons qu'ils doivent aussi se détourner d'eux-mêmes. | Hunter Johnson via Unsplash

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Le sexisme est-il soluble dans l'éducation positive? Comme le fait très justement remarquer Béatrice Kammerer dans son livre L'éducation vraiment positive, personne n'est capable de définir précisément l'éducation positive. Mais on va dire qu'il s'agit de la tendance actuelle à refuser les rapports de hiérarchie entre adultes et enfants, et les relations de contrainte et d'ordre qui en découlent ordinairement.

Ayant horreur des rapports d'autorité, qu'il s'agisse de subir l'autorité ou de l'exercer, j'ai tout de suite été séduite. Et puis, quand on lit les grands textes sur le sujet, tout a l'air merveilleux. Sauf qu'il y a un impensé, c'est le rapport à l'égalité filles-garçons.

Laisser de la place aux autres

A priori, l'éducation positive apprend à l'enfant qu'on respecte ses limites, son corps, ses envies. A priori, par son refus de la contrainte, l'éducation positive se marie à merveille avec la culture du consentement. A priori, l'éducation positive a toujours été unigenre, s'appliquant exactement de la même manière aux filles et aux garçons. Donc tout devrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.

Seulement voilà, il y a ce détail qui s'appelle le réel. Et dans le réel, je vois de nombreux cas où ces principes éducatifs ne sont pas loin de produire des petits masculinistes en série. Selon certain·es, il semblerait que l'absence de contrainte amène à écraser les autres, que l'épanouissement individuel autorise à oublier autrui et à être le centre du monde.

Par exemple, le volume sonore. L'enfant est libre de s'exprimer. Alors il le fait, il prend toute la place sonore. Il prend également tout l'espace physique. Dégagé de toute contrainte, il pousse des hululements en grimpant au mur. Sans entrave physique, il s'épanouit –au détriment du reste de la population qui l'entoure.

Si j'avais une fille, j'imagine que je l'encouragerais à prendre plus de place, à se déployer physiquement. Il se trouve que j'ai des garçons, et que ma vigilance s'exerce exactement à l'inverse: leur apprendre à laisser de la place aux autres.

Évidemment, il y a une question d'âge. On n'exige pas d'un enfant de 18 mois la même chose que d'un gamin de 6 ans. Il y a des stades de développement. Mais à un certain âge, il est temps de révéler aux enfants, aux garçons, qu'ils ne sont pas le centre de l'univers, qu'ils doivent aussi se détourner d'eux-mêmes pour voir les autres, se taire pour écouter, se pousser pour faire de la place.

Je passe beaucoup de temps à rappeler à mes enfants la présence dans l'univers d'autres êtres humains. Qu'ils doivent parler moins fort, qu'ils doivent laisser des zones physiques de vide entre leur corps et celui des autres. Alors oui, je pratique une éducation genrée. Mais je le fais parce que nous ne vivons pas dans un monde abstrait. Mes enfants évoluent dans une société qui encourage les garçons à prendre toute la place. Alors je contrebalance.

Il faut également apprendre aux garçons le contrôle de soi. C'est un exercice d'équilibriste délicat: il s'agit à la fois d'insister sur le fait que les garçons ont évidemment le droit de pleurer et d'exprimer leurs émotions, et dans le même temps, de leur dire qu'ils doivent apprendre à se contrôler pour respecter les gens qui les entourent. Salut les injonctions contradictoires.

Mais là encore, il faut s'adapter à l'âge de l'enfant et tenir compte des différences entre les émotions. Un accès de tristesse, une peur, une jalousie ne se gère pas de la même façon que la bonne grosse colère liée à la frustration.

Mon propos n'est pas d'attaquer l'éducation positive. En vrai, ses principes ne sont pas du tout en contradiction avec une éducation à l'égalité et au respect. Mais je m'inquiète de voir des garçons «s'épanouir» en balançant leurs affaires n'importe où, en hurlant des «vroum tacatacatac clac» sans qu'ils aient conscience que leur liberté (le fameux «j'ai le droit») connaît une restriction: la liberté des autres.

Gérer sa charge émotionnelle

Il est important de mener avec les petits garçons un travail sur leurs émotions, mais il faut se méfier d'un danger: «Mes émotions sont plus importantes que celles des autres, je suis le centre de l'univers.» Les laisser exprimer leur colère, leur rage, leur frustration, ok, mais à partir d'un certain âge, on peut aussi les interroger sur les émotions des autres et l'impact qu'ils peuvent avoir sur leur entourage.

L'une des solutions concrètes que j'ai trouvée, c'est de leur parler des émotions que leur comportement provoque chez moi. «J'ai moi aussi des émotions, et t'entendre me hurler dans les oreilles alors que je suis fatiguée, ça me met très en colère.» (Parents de jeunes enfants: oui, il y a un âge où ils deviennent capables de comprendre ça, ne perdez pas espoir.) Ce qu'ils font a des conséquences sur les autres dont ils doivent avoir conscience.

(Puisque nous en sommes à la catégorie trucs et astuces, chez moi, l'aîné est un grand bavard qui coupe sans cesse la parole. On a mis en place le «truc du poignet», et ça fonctionne parfaitement. Si je suis en train de parler avec quelqu'un d'autre, y compris son petit frère, il pose sa main autour de mon poignet. Ça signifie qu'il a quelque chose à dire. Je mets ma main sur la sienne, signe que j'ai compris. Et il attend que je me tourne vers lui pour parler.)

Sur cette question de la colère, j'étais partagée entre le fait qu'on ne peut pas leur interdire d'être en colère et en même temps que les laisser hurler, c'était ne pas leur apprendre à faire attention aux autres –autres que leur crise est précisément en train de déranger.

Et puis j'ai vu une solution simplissime chez une copine. Sa fille devait avoir 4 ans et piquait une crise de colère. Et là, mon amie est restée hyper calme et lui a dit: «Tu es en colère, je le comprends, c'est ton droit, mais dans ta chambre.» Et la fillette était partie crier dans sa chambre. (Elles avaient évidemment déjà eu cette discussion au calme avant, sinon ça n'aurait jamais fonctionné.)

Je fais la même chose. J'ai expliqué à mes enfants qu'en cas de crise, ils avaient le droit de crier mais sans déranger tout le monde, et donc ailleurs. Qu'ils devaient aller s'isoler. Que l'ensemble des personnes présentes n'avait pas à supporter l'expression de leurs émotions –même si évidemment, je suis là s'ils ont besoin de parler ou de faire un câlin.

Parce que j'aimerais qu'ils apprennent à gérer eux-mêmes la charge émotionnelle. La leur d'abord. Sans que ce soit à quelqu'un d'autre (et soyons honnête quelqu'une) de prendre en charge leurs émotions.

Quand j'ai lu cette phrase, elle a résonné en moi:

 

Le podcast en question est là.

Et une fois qu'on a appris à maîtriser sa propre charge émotionnelle, qu'on sait identifier ses émotions et se calmer, on peut communiquer avec les autres, et même les aider.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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