Culture

«The Gentlemen», un film d'homme blanc sur des hommes blancs (pour les hommes blancs)

Rétrograde et raciste, le onzième long-métrage de Guy Ritchie ressemble au chant du cygne du réalisateur.

Colin Farrell dans <em>The Gentlemen</em>. | Capture d'écran via YouTube
Colin Farrell dans The Gentlemen. | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 4 minutes

Le 25 janvier dernier, la comédienne et humoriste Melissa Villaseñor proposait sur le plateau de l'émission américaine culte Saturday Night Live un sketch destiné à se moquer des films nommés à l'Oscar du meilleur film. Dans une robe à paillettes, dansant et souriant sur un rythme de samba pré-enregistré, elle entonnait plusieurs petites chansons.

Dans la première, à propos du Joker de Todd Phillips, on l'entendait notamment chanter les paroles suivantes: «But the thing that this movie is really about is white male rage, white male rage, white male rage.» Traduction: «Ce dont le film parle réellement, c'est la colère de l'homme blanc, la colère de l'homme blanc, la colère de l'homme blanc.»

La deuxième concernait The Irishman de Martin Scorsese: «It's three hours long, they're old and they're young, and it's white male rage, white male rage, white male rage» («Ça dure trois heures, ils sont vieux et ils sont jeunes, c'est la colère de l'homme blanc, la colère de l'homme blanc, la colère de l'homme blanc»).

 

Sa conclusion, également chantée, était que l'immense majorité des films nommés aux Oscars 2020, du dernier Tarantino à Toy Story 4, portent sur le même sujet: la «white male rage, white male rage, white male rage». De façon fort prévisible, ce sketch a d'ailleurs déclenché ce qu'il dénonçait: une vague de colère émanant d'hommes blancs.

Un condensé de «white male rage»

The Gentlemen n'est pas nommé aux Oscars (ce qui est peut-être une preuve de l'existence de Dieu), mais il aurait tout à fait pu figurer dans le sketch de Melissa Villaseñor. Guy Ritchie y revient à ses premières amours cinématographiques, le polar de gangsters british sur-énergique.

Après Arnaques, crimes et botanique et Snatch, qui l'ont propulsé sur le devant de la scène, Revolver et RockNRolla avaient confirmé (avec moins de bonheur) son amour du polar fun et testostéroné. Des films comme Le Roi Arthur et Aladdin avaient coupé Guy Ritchie d'une partie de ses fans de la première heure… qui se réjouiront sans nul doute du retour aux sources opéré avec The Gentlemen.

Le film imagine la trajectoire de l'Américain Mickey Pearson (Matthew McConaughey), qui commence à dealer de l'herbe à l'université avant de gravir les échelons et de devenir l'un des puissants barons de la drogue en Angleterre. L'annonce de sa retraite engendre une valse de conspirations, chantages et trahisons entre des personnages prêts à tout pour reprendre son trône.

Le résumé ressemble à celui d'un divertissement de potentiellement bonne facture, mais la simple lecture des gros titres de la presse anglophone avait de quoi semer le doute. Pour The Observer, «The Gentlemen prouve que Guy Ritchie est l'un des pires réalisateurs de notre ère». Polygon opinait du chef en affirmant que The Gentlemen «fait de Guy Ritchie son propre pire ennemi». Salon enfonçait le clou en décrivant un film «si grossier et embarrassant que c'en est criminel». Quant au site Bleeding Cool, il annonçait «la quintessence de Guy Ritchie, saupoudré de racisme ordinaire».

Ci-gît Ritchie

À la vue du film, sorti en salles le mercredi 5 février, les raisons de cette colère collective sautent aux yeux. The Gentlemen n'est ni plus ni moins que le chant du cygne des poids lourds d'un cinéma définitivement éculé, une réaction indécente et disproportionnée aux débats actuels sur la place des femmes au cinéma. Dans le film de Guy Ritchie, un seul personnage féminin: la compagne de Mickey Pearson, cheffe d'entreprise au sang froid incarnée par Michelle Dockery.

Malgré l'importance que lui accordent tous les personnages dans la gestion de l'entreprise de son époux, celle-ci n'aura droit qu'à quatre scènes dont une totalement gratuite et insultante pour toutes les femmes qui auraient eu la drôle d'idée de s'aventurer dans la salle.

The Gentlemen n'est pas un film pour le public, ni pour les femmes, c'est un film pour les hommes, les vrais. Ceux qui aiment voir verser des pintes au ralenti. Ceux qui apprécient –sans jamais, bien sûr, questionner leur désir– être aux premières loges pour les grands numéros de charme de leurs acteurs fétiches, Matthew McConaughey et Charlie Hunnam en tête. Ceux qui aiment le cuir, la viande rouge, l'odeur de la cigarette, les combats à mains nues.

 

 

The Gentlemen, c'est aussi le cinéma de ceux qui pensent que les personnes accros aux drogues dures sont des moins que rien, que toutes les affaires se traitent dans la violence, et qu'une bonne blague bien minutée, à teneur sexuelle de préférence, saura toujours rattraper un tragique «accident de personne». Comme on a pu le lire sur Medium, The Gentlemen est un lieu sécurisé à destination de ces hommes qui voudraient faire comme si les vingt-cinq dernières années n'avaient pas eu lieu.

Avec son passéisme évident et son mépris total pour le monde qui est en train de se construire, The Gentlemen s'inscrit dans ce cinéma de «white male rage» tout comme il revendique d'être un film de boomers. Ritchie oppose sans subtilité les vieux briscards du trafic, intelligents et puissants, aux jeunes qui voudraient trouver une place, clairement pas très futés, mal organisés, et plombés par des réseaux sociaux qui les obsèdent.

Racisme ordinaire

Le racisme du film est quant à lui d'autant plus nauséabond qu'il est quasi constant et assumé avec un demi-sourire. Pour présenter un personnage, on le qualifie de version «chinoise, japonaise ou pékinoise de James Bond» avec une «ricense to kill» (jeu de mots sur le fameux permis de tuer octroyé à 007 et sur le riz, l'un des éléments principaux de l'humour raciste visant les personnes asiatiques)… alors que l'acteur, Henry Golding a lui-même la double nationalité malaisienne et anglaise. Il aura sans doute apprécié la façon systématique dont chaque personnage d'origine asiatique est désigné comme «Chinois».

Le comble du cynisme survient lorsque le personnage de Colin Farrell se permet d'expliquer à son interlocuteur noir pourquoi une insulte faisant directement référence à sa couleur de peau n'est pas raciste, comme pour dédouaner définitivement le film de cette accusation évidente. L'argument est que si c'est dit avec sympathie, ce n'est pas raciste. On croit tomber de sa chaise.

En termes de cinéma, tous les acteurs, y compris le brillant Jeremy Strong, alias Kendall Roy dans l'indispensable série HBO Succession, cabotinent comme s'il n'y avait pas de lendemain, prenant visiblement plaisir à déblatérer avec un accent cockney plein de gourmandise, les immondices insupportables que Guy Ritchie a bien voulu leur mettre dans la bouche.

Un emprunt outrancier à la série britannique Black Mirror vient compléter un tableau déjà bien sombre. Derrière les grands discours sur comment être et rester le roi de la jungle se cache –à peine– un cynisme crasse qui ferait presque douter que le monde est en déjà en train de changer.

cover
-
/
cover

Liste de lecture