Santé / Société

Accouchement: la masturbation comme antidouleur?

Le clitoris aurait le pouvoir de réduire considérablement les maux de l'enfantement. Un sujet qui reste encore très difficile à aborder pour les patientes comme pour les spécialistes de l'accouchement.

<em>«Quand je me masse le clitoris en accouchant, je ne suis pas dans un esprit d'excitation sexuelle».</em> | Anna Civolani <a href="https://unsplash.com/photos/7PRk6B8timc">via Unsplash</a>
«Quand je me masse le clitoris en accouchant, je ne suis pas dans un esprit d'excitation sexuelle». | Anna Civolani via Unsplash

Temps de lecture: 8 minutes

Elle préfère parler de massage plutôt que de masturbation. Le 4 mai 2018, l'illustratrice Gayelle publiait sur son compte Facebook une courte BD intitulée Le clitoris, oublié de l'accouchement. La dessinatrice y raconte s'être masturbée en donnant naissance à son deuxième enfant, afin d'apaiser la douleur. Gayelle, qui avait choisi d'accoucher à la maison, se souvient qu'elle avait déjà entendu parler de la masturbation pendant le travail.

«J'étais dans mon bain lorsque ça m'est venu à l'esprit. Je l'ai fait sans vraiment réfléchir, ça me paraissait bien de le faire à ce moment-là», se souvient Gayelle, contactée par Slate. «J'ai réussi à couper avec le côté rationnel de mon cerveau, ce qui m'a permis de me masturber. Mais le mot me dérange: c'est plus un massage qui a permis de me détendre et à supporter les contractions.» Elle affirme que le soulagement a été immédiat.

Si chaque naissance est évidemment marquante, celle-ci le fut tout particulièrement pour Gayelle. Après un premier accouchement difficile, sous péridurale, celui-ci s'est déroulé de façon totalement différente. «Mon bébé est passé tout doucement. J'étais en total contrôle, je m'arrêtais quand ça brûlait trop, elle remontait un peu. Et je repoussais. Elle dormait en arrivant au monde, en dix minutes. J'étais hallucinée de ce qui venait de se produire», raconte l'illustratrice.

Cette méthode pour un accouchement sans douleur est très éloignée de ce qu'apprennent la plupart des femmes dans les cours de préparation à l'accouchement. Plus d'une serait bien mal à l'aise d'accueillir son nouveau-né sous le sceau de la masturbation. Et pourtant…

Une BD qui a choqué

Défenseuse d'un accouchement à domicile –lorsque la grossesse n'est pas pathologique, précise-t-elle–, Gayelle souhaitait lever un tabou en remettant l'accouchement au centre de la sexualité. «Je suis convaincue que l'accouchement et la sexualité sont étroitement liées», explique la jeune femme. «La masturbation peut être quelque chose de très sain si on accepte le fait que ces deux actes sont primaires et animaux. Quand je me masse le clitoris en accouchant, je ne suis pas dans un esprit d'excitation sexuelle. Je n'ai aucune image pornographique en tête!»

Si Gayelle prend le soin d'insister sur ce point, c'est que sa bande dessinée, qui a connu un certain écho dans la presse féminine notamment, a été très mal reçue par une partie du lectorat: «“Jouir sur la tête de son bébé”, en quelque sorte, était très dérangeant pour certaines personnes.» Des commentaires ont particulièrement fait souffrir l'illustratrice, comme ceux qui expliquaient qu'il fallait qu'on lui retire ses enfants.

«Jouir sur la tête de son bébé, en quelque sorte, était très dérangeant pour certaines personnes.»
Gayelle, illustratrice

Il semble certes plus simple de lâcher prise dans un environnement familier. Mais l'accouchement du quatrième enfant de Gayelle a été déclenché et s'est déroulé à la maternité. Si, lors de son troisième accouchement, elle n'avait pas ressenti le besoin de se masser le clitoris, elle a de nouveau utilisé cet outil comme antidouleur pour cette dernière naissance.

«J'ai pu prendre un bain. Quand la sage-femme n'était pas là, je me caressais. Ce n'était pas une excitation sexuelle, mais un moyen d'avoir moins mal. J'ai juste ressenti le besoin de le faire. C'est un super outil. J'ai eu l'impression que les contractions étaient plus efficaces et moins douloureuses.» Gayelle ajoute qu'elle n'a pas eu d'orgasme en tant que tel, mais juste une impression de soulagement.

Naissance orgasmique?

Spécialisée dans les accompagnements d'accouchements, la Canadienne Marie-Jeanne Leblanc-Bastien a accepté d'analyser la façon dont le massage du clitoris permet d'apaiser les douleurs de l'accouchement. «Cette stimulation du clitoris ou de ses parties génitales sert à libérer plus d'ocytocine et d'endorphine, les deux hormones “de l'amour”, qui doivent être produites en grande quantité pour favoriser un accouchement physiologique. C'est un outil puissant pour gérer l'intensité du travail, détendre le corps et ainsi diminuer significativement les inconforts reliés à l'accouchement.»

«Cette stimulation permet aussi à la personne qui accouche un plus grand abandon, ajoute la doula, puisque ce grand relâchement est dû à l'état de conscience altéré de celle qui accouche par les hormones nommées précédemment. Durant l'accouchement, cette auto-stimulation permet l'autonomie, l'intimité, le plaisir parfois, et surtout le soulagement nécessaire à ce grand moment qu'est la venue au monde de notre bébé.»

Marie-Jeanne Leblanc-Bastien ne souhaite pas non plus parler explicitement de masturbation. Pour la professionnelle, cela renvoie au tabou de la sexualité qui peut mettre les femmes mal à l'aise. Avec ses patientes, elle parle donc d'«auto-stimulation génitale».

Le plaisir éprouvé durant l'accouchement peut aller jusqu'à l'orgasme, parfois même sans stimuli sexuel. Dans de rares cas, sans crier gare, un orgasme survient. En France, ce qu'on appelle l'accouchement orgasmique a été documenté en 2013 par Thierry Postel, psychologue et sexologue. Dans une étude intitulée Naissance et jouissance: mise en évidence de l'existence d'un orgasme obstétrical, publiée dans la revue Sexologies, il écrit:

«Sur un échantillon de 206.000 naissances, un total de 1.381 cas de plaisir obstétrical déclaré ou observé a été dénombré, soit 0,7% des accouchements. En particulier, 668 mamans ont confié à leur sage-femme avoir ressenti un plaisir physique durant un accouchement [soit 0,3% des femmes, ndlr]. Cette jouissance s'apparentait à un plaisir de nature sexuelle, très intense, parfois orgasmique. Elle était décrite comme une sensation physique surgissant du corps à l'insu de la parturiente, sans fantasme érogène.»

Outre le phénomène hormonal exposé plus haut, Thierry Postel décrit, dans un vocabulaire scientifique, le phénomène anatomique qui se produit: «La distension et la compression extrêmes des voies génitales durant l'accouchement pourraient recruter des zones érogènes méconnues de la mère. En fin de travail l'étirement des muscles ischio-pubiens et bulbo-caverneux par la tête de l'enfant comprime les bulbes vestibulaires et les piliers du clitoris cependant qu'il écarte ces formations de part et d'autre du vagin. Par ailleurs, à l'occasion du dégagement de l'enfant, le fascia sous-urétral de la zone de Gräfenberg se trouve comprimé entre la symphyse pubienne et la nuque de l'enfant.»

Pour le dire plus simplement, la pression exercée par le bébé sur des points spécifiques du vagin peut provoquer un orgasme.

Reprendre le contrôle?

Les Américaines Debra Pascali-Bonaro, doula, et Elizabeth Davis, sage-femme, ont théorisé cette naissance orgasmique dans un livre publié en 2010, Naissance orgasmique, guide pour vivre une naissance sûre et satisfaisante. «Notre définition est suffisamment large pour inclure celles qui décrivent la naissance comme extatique, et suffisamment spécifique pour donner la parole à celles qui ressentent effectivement les contractions de l'orgasme et atteignent son paroxysme au moment de l'accouchement», écrivent-elles.

«Parmi les femmes que nous avons interrogées, nombreuses sont celles qui ont parlé d'une pression et d'une sensation stupéfiante dans le vagin à l'approche de la naissance, suivies par un flot de soulagement et d'émotion lors de la sortie du bébé», ajoutent-elles. L'objectif de ce livre est simple: «Nous avions toutes deux l'ambition de remettre la puissance et la beauté de la naissance entre les mains des femmes et de ceux qui les soutenaient.»

«Parmi les femmes que nous avons interrogées, nombreuses sont celles qui ont parlé d'une pression et d'une sensation stupéfiante dans le vagin à l'approche de la naissance.»
Debra Pascali-Bonaro, doula, et Elizabeth Davis, sage-femme

C'est d'ailleurs ce que raconte Gayelle. Elle a ressenti une telle sensation de pouvoir qu'elle assure s'être sentie femme après cette deuxième naissance. «J'étais hallucinée de ce que je venais de vivre et ça m'a profondément transformée. Je suis convaincue qu'il n'y a pas besoin de vivre ça pour être une femme, mais dans mon cas, après cet accouchement, je me suis réellement sentie femme et en plein pouvoir féminin.»

C'est aussi ce que raconte Camille Farge dans une vidéo partagée sur YouTube en 2012. Alors qu'elle se trouvait sous la douche en attendant la sage-femme dans le but d'accoucher à domicile, elle a alors eu l'idée de se masturber pour parvenir à se détendre. Son bébé est sorti comme une fleur, sans aucune poussée.

La jeune maman raconte être sortie de la douche en tenant son enfant dans les bras: «M'est alors venu un sentiment de puissance, d'énergie féminine de la terre, du ciel, je rayonnais de bonheur. Et je me disais: wahou, je suis puissante.» La masturbation constituerait alors un moyen d'émancipation des femmes face au tout médical et à l'accouchement standardisé, leur permettant de reprendre le contrôle de leur corps et de la venue au monde de leur enfant.

Sortir des standards de l'accouchement

Dans son cabinet, Étienne Forin, sage-femme libéral, parle de cet outil, parmi d'autres, à toutes ses patientes. «En progressant dans le cours, on parle à un moment des hormones de l'accouchement comme l'ocytocine, qui est aussi l'hormone de l'orgasme. Le système hormonal fonctionne un peu sur le même schéma lors de l'accouchement que lors d'un rapport sexuel. On parle du fait que l'accouchement est quelque chose de sexuel. Pas sexuel dans le sens “partie de jambes en l'air” mais dans le sens où le sexe de la femme sert aussi à accoucher», explique-t-il.

Certaines patientes se montrent intéressées et veulent en savoir plus, de nombreuses femmes redoutant le jour de l'accouchement par peur des douleurs qu'elles s'attendent à subir. «Contre la douleur, la meilleure chose à faire est de se faire du bien», résume Étienne Forin. «Câlins, massages… la masturbation fait aussi partie de l'arsenal à la disposition des femmes, contre la douleur.»

Ces différentes techniques pourraient permettre, pour celles qui le souhaitent, de sortir du schéma de l'accouchement en France: sur le dos, jambes écartées, péridurale posée. «Plusieurs types de techniques facilitent l'accouchement sans péridurale: on utilise tel ou tel outil quand on sent que c'est le bon moment», explique Étienne Forin. «Mais dans une salle d'accouchement en France, c'est effectivement compliqué, le dispositif médical étant souvent très présent. L'accouchement est extrêmement codifié ici: il existe un modèle principal, dont il est difficile d'en sortir.»

L'anesthésie péridurale est en effet devenue une norme en France: elle permet aux femmes de soulager les douleurs provoquées par les contractions tout en conservant leur capacité à pousser. En moyenne, en 2016, 82% des femmes se sont vues poser une péridurale pendant leur accouchement, selon les chiffres dévoilés par la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) et publiés par Le Monde.

Si la péridurale a permis de soulager des milliers de femmes et de s'affranchir de l'injonction biblique «Tu accoucheras dans la douleur», elle médicalise de fait l'accouchement. En France, avec le débat sur les violences obstétricales, est née la question de l'accouchement physiologique. Il ne s'agit pas d'enterrer l'accouchement médical, mais de se mettre à informer toutes les femmes que plusieurs types d'accouchements existent.

C'est ce qu'explique Camille Farge, qui ne veut surtout pousser personne à vivre l'accouchement qu'elle a vécu dans la douche: «Chaque accouchement est différent, et je ne dis pas que tout le monde peut le faire. Il existe les accouchements médicalisés, qui sont très bien, mais il existe aussi une autre manière d'avoir un enfant. Et il y a des femmes qui choisissent d'autres voies. On a encore ce pouvoir et cette puissance de procréer toute seule.»

Le pouvoir du clitoris

Pour envisager l'outil masturbation, il convient aussi de dépasser certains tabous. De prime abord, enfantement et masturbation sont effectivement deux mots qui ne vont pas ensemble. Pourtant, il est naturel de les corréler, comme l'explique Marie-Jeanne Leblanc-Bastien: «On conçoit notre enfant en utilisant notre sexe, et la plupart du temps bébé passe par ce sexe lorsqu'on accouche. C'est ainsi que la vie voit le jour.»

Pour la doula, il serait cependant intéressant de se demander comment chaque femme a envie d'intégrer son sexe dans cet acte puissant qu'est l'enfantement: «Demandons-nous comment pouvons nous en prendre soin, le protéger, le soulager et même l'utiliser. Lorsqu'on “désérotise” cet acte sexuel [la masturbation, ndlr] et que l'on en parle de façon physiologique et utilitaire, cela devient souvent bien intéressant.»

«Lorsqu'on “désérotise” cet acte sexuel et que l'on en parle de façon physiologique et utilitaire, cela devient souvent bien intéressant.»
Marie-Jeanne Leblanc-Bastien, doula

Si elle se sentait marginale dans son pays lorsqu'elle évoquait ces sujets, Marie-Jeanne Leblanc-Bastien remarque que ces dernières années, l'idée progresse au Canada. Ce n'est pas l'avis d'Étienne Forin, qui déclare ne pas parler de ces questions avec ses collègues sages-femmes. «Peut-être devrions-nous être davantage formés à la sexologie», avance-t-il prudemment.

Si accouchement et clitoris en France ne font pas bon ménage, on parle plus facilement des bienfaits de la masturbation clitoridienne sur les douleurs liées aux règles, ou encore sur les migraines. Si le clitoris peut remplacer le Doliprane, peut-il aussi remplacer la péridurale?

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