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Russie, une superpuissance low cost

Les superpuissances, ce n'est plus ce que c'était: aujourd'hui, il peut suffire de trois francs six sous pour en faire partie.

Une affiche représentant le président russe Vladimir Poutine à Mitrovica (Kosovo) le 9 mai 2018. | Armend Nimani / AFP
Une affiche représentant le président russe Vladimir Poutine à Mitrovica (Kosovo) le 9 mai 2018. | Armend Nimani / AFP

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Une superpuissance est un pays capable de projeter ses forces militaires sur de longues distances et, si nécessaire, livrer plus d'une guerre à la fois –et sur des continents différents. Cela coûte beaucoup d'argent: bases militaires, navires, avions, chars, missiles, infrastructures de communications et de transports, rien de tout cela n'est bon marché. Cela demande aussi de disposer d'un corps expéditionnaire fort de plusieurs milliers de soldats prêts à partir en guerre n'importe où sur la planète. Et, bien sûr, d'armes nucléaires.

Définition obsolète

Quoique cette définition classique reste valable dans une certaine mesure, il existe aujourd'hui des raccourcis qui permettent à un gouvernement d'intervenir dans un autre pays, ou plusieurs, et d'affaiblir ses adversaires internationaux, ou de les dominer, sans être obligé de consentir des investissements aussi lourds. La Russie est le meilleur exemple de ce phénomène. Vladimir Poutine a prouvé qu'il est passé maître dans l'art de projeter sa puissance sur d'autres pays avec un budget restreint.

Il comprend que son pays ne peut concurrencer militairement ses grands rivaux, les États-Unis et la Chine. Il sait aussi que l'économie russe et sa technologie ne sont pas au même niveau que celles de ses concurrents. Et bien qu'il possède des armes nucléaires, il sait qu'on ne peut s'en servir que dans des cas extrêmes. Elles ne sont utiles, par exemple, dans aucun des conflits armés où la Russie est actuellement engagée, que ce soit en Syrie, en Ukraine ou en Libye.

Cyberguerre russe

Vladimir Poutine n'était pas le seul leader à diagnostiquer ces faiblesses de l'État russe. En 2014, le président Barack Obama parlait avec condescendance de la Russie comme d'une «puissance régionale qui menace ses voisins immédiats». Il estimait aussi que les attaques de la Russie contre d'autres pays «ne s'expliquaient pas par sa force, mais par sa faiblesse».

Tout porte à croire que la Russie tentera à nouveau d'intervenir dans les élections américaines cette année.

Il se trompait. Deux ans plus tard, cette «puissance régionale» dont les initiatives internationales étaient, selon ce président américain, des signes de faiblesse a réussi d'une façon ou d'une autre à intervenir dans l'élection présidentielle des États-Unis, influant ainsi sur la politique américaine d'une manière profonde et inédite. Qui plus est, tout porte à croire que la Russie tentera de récidiver cette année.

«Fermes à trolls»

Nous avons vu comment des hackers russes –ou des pirates commandités par la Russie– ont appris à semer la confusion sur une grande échelle. Ils sèment le doute sur la crédibilité de leurs cibles, exacerbent les différends et les conflits qui existent déjà ou en créent de toutes pièces. Ils sont très habiles lorsqu'il s'agit de promouvoir certains acteurs politiques et ruiner la réputation de certains autres.

 

 

Ils sont capables de faire tout cela –et de fait, ils le font– pas seulement dans les pays voisins du leur, mais dans n'importe quelle nation. Des hackers et des robots informatiques russes se sont mêlés de la crise indépendantiste en Catalogne, du Brexit au Royaume-Uni ainsi que des élections qui ont eu lieu en Allemagne, en France, en Estonie, en Géorgie et en Ukraine.

 

 

En outre, le département d'État américain a récemment annoncé que la Russie est à l'origine d'une vaste campagne d'influence dans toute l'Amérique du Sud visant à déstabiliser les pays qui s'opposent à son allié stratégique dans la région, le Vénézuélien Nicolás Maduro. Selon ce rapport, le Kremlin tente de provoquer des dissensions au Chili, en Bolivie, au Pérou, en Équateur et en Colombie.

Armes russes diverses et variées

Mais ce n'est pas le seul usage innovant de ce que le gouvernement russe appelle les «technologies politiques». Il lui est également possible d'utiliser des cyberarmes pour attaquer le réseau électrique, le système de télécommunications, les réseaux de transport et les infrastructures financières d'un pays.

La capacité renouvelée de la Russie à influer sur la politique internationale n'est pas uniquement le fruit de sa maîtrise des technologies de l'information et de la communication. Le Kremlin n'a aucun scrupule à employer également les armes traditionnelles. Non seulement Vladimir Poutine a missionné en Syrie des robots qui interviennent sur Twitter, mais il y a aussi dépêché des soldats, des avions et des pilotes.

La Russie sait comment se servir de Facebook, de Twitter et d'Instagram, mais elle fait aussi appel à l'unité 29155, au groupe Wagner et au Centre de recherche d'internet.

Au Venezuela, il a envoyé des missiles antiaériens et un soutien financier. Ce sont deux pays sur lesquels la Russie exerce désormais une influence nouvelle et considérable. Le Kremlin n'hésite pas non plus à recourir à des tueurs professionnels, des poisons radioactifs, des tireurs embusqués, des drones armés et d'autres techniques «traditionnelles» pour éliminer ses ennemis.

La Russie sait comment se servir de Facebook, de Twitter et d'Instagram, mais elle fait aussi appel à l'unité 29155, au groupe Wagner et au Centre de recherche d'internet. L'unité 29155 est le nom d'une unité secrète du renseignement militaire russe dont l'objectif est de déstabiliser l'Europe par des assassinats et d'autres moyens. Wagner est une entreprise militaire privée russe qui emploie des mercenaires pour influencer les conflits mondiaux figurant sur la liste prioritaire du Kremlin. Le Centre de recherche d'Internet est une autre organisation privée russe spécialisée dans les opérations sur le web destinées à soutenir ses objectifs mondiaux.

Seulement la onzième économie mondiale, mais superpuissante

Il est clair que l'influence mondiale de la Russie est disproportionnée par rapport à la précarité de sa situation économique et sociale. Même si son territoire est le plus vaste du monde, son économie est moins importante que celles du Brésil ou de l'Italie. Sa croissance est anémique. Les 10% de Russes les plus fortunés possèdent 85% de la richesse du pays. La population russe diminue et d'ici à 2050, elle comptera 32 millions d'habitant·es en moins. C'est un symptôme d'autres faiblesses graves, en particulier l'état lamentable du système de soins de santé.

Ce profil n'est pas celui d'une superpuissance. Cependant, malgré toutes ses faiblesses, la Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur incontournable de la plupart des conflits les plus aigus de ce siècle. Et non seulement Vladimir Poutine manœuvre efficacement, mais cela lui coûte trois francs six sous.

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