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Vous ne savez pas vraiment ce que signifie le «posh» britannique

Le terme «posh» séduit les étrangers, mais seuls les Britanniques savent qu'il tient plus de l'insulte que du compliment.

La chasse à courre est l'une des habitudes <em>posh </em>héritées de l'époque féodale. | Derek Malou via <a href="https://unsplash.com/photos/j2bxiEGNGgA">Unsplash</a>
La chasse à courre est l'une des habitudes posh héritées de l'époque féodale. | Derek Malou via Unsplash

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Je suis Britannique, journaliste, et je vis à l'étranger. Je reçois donc beaucoup de questions sur le rôle de la reine ou les spécificités du Parlement. Un autre sujet revient aussi beaucoup: la notion de poshness. Être posh, qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce que cela signifie? Les étrangèr·es pensent connaître le terme, mais ne le comprennent pas vraiment. Et souvent, ils ne réalisent pas que lorsque les Britanniques l'emploient, ils sous-entendent acerbement un fossé entre deux classes.

Comprendre la notion de poshness est d'autant plus important qu'elle revient à la mode. Comme l'humidité dans une vieille maison de campagne, elle ne disparaît jamais vraiment. On la retrouve aujourd'hui chez l'actuel Premier ministre britannique, Alexander Boris de Pfeffel Johnson, ancien élève d'Eton et de l'Université d'Oxford et membre du Bullingdon Club. Ou encore chez le leader de la Chambre des communes, Jacob Rees-Mogg, un homme tombé dans la caricature à force de se donner des airs d'aristocrate, ce qui lui a valu d'être nommé «membre honorable du XVIIIe siècle».

Les Américain·es aiment tout particulièrement la notion de poshness, qui semble susciter chez eux une sorte de désir de revenir à la hiérarchie ordonnée d'autrefois. Pour eux, être posh c'est avoir de la classe. Les Britanniques et leur adorable accent les font glousser, tandis que Downton Abbey leur arrache des soupirs d'admiration ou de perplexité. En réalité, les étrangèr·es de tous horizons semblent admirer cette qualité, mais passent à côté des complexités inhérentes à la notion de classe qu'elle recouvre, et comprennent donc mal la Grande-Bretagne.
 

Le laxisme plus que la rectitude

La poshness a perdu de son standing au fil des années, mais elle reste présente dans une série d'habitudes héritées pour une bonne partie de l'époque féodale, comme pratiquer la chasse à courre, tuer des faisans, des lapins, des renards, des écureuils ou n'importe quel autre animal à la bonne saison, boire trop de vin ou encore s'envoyer en l'air avec les femmes des uns et des autres. C'est une attitude qui convient davantage à une période de laxisme que de rectitude morale: l'époque victorienne, par exemple, marquée par une montée de la classe moyenne, était clairement anti-posh, jusqu'à ce qu'elle bascule à nouveau sous l'éminent épicurien Edouard VII.

Être posh, c'est surtout se trouver au sommet d'un ancien système de castes. Or, trop souvent, les étrangèr·es passent à côté de cet aspect du concept de classe. Ils admirent l'esthétique et le charme de ce qui leur semble posh, sans comprendre l'impitoyable stratification sociale que cette notion impose à la Grande-Bretagne.

Boris Johnson est le vingtième Premier ministre du Royaume-Uni à avoir fréquenté Eton: une seule école, étonnamment dominante. Sous le mandat de Johnson et de son prédécesseur David Cameron, issu de la même école, le nombre de sans-abri au Royaume-Uni a presque triplé. Dans le même temps, les posh possèdent encore une bonne partie du pays. Une étude parue en 2019 a révélé que 25.000 personnes (et quelques entreprises) détenaient plus de 50% des terres au Royaume-Uni. Le domaine du duc de Buccleuch, par exemple, couvre près d'un-demi pour cent du pays. Et lorsqu'une personne issue de la classe ouvrière réussit à échapper à sa condition, elle gagne 17% de moins par an que son homologue posh.

À bonne école

Au fondement de la poshness se trouve un réseau, une fresque d'aristocrates affublé·es de titres de noblesse, et la plus sophistiquée des classes moyennes supérieures. Ils et elles fréquentent les mêmes écoles (Eton, Harrow, Downe House, Marlborough, Winchester) et universités (Oxford, Cambridge, Edinburgh, Bristol, St. Andrews), et finissent par se marier les un·es avec les autres pour préserver cet état de fait. La poshness doit une grande partie de son pouvoir à l'hégémonie de l'éducation. Bien que le nombre d'élèves ayant reçu une éducation privée à Oxbridge ait diminué, l'emprise des lycées d'élite s'est resserrée. Un rapport de 2018 a révélé que huit des meilleures écoles au Royaume-Uni envoyaient autant d'élèves à Oxford et Cambridge que les trois-quarts de toutes les écoles et universités du pays réunies.

Cet élément est fondamental: être posh n'est pas seulement une question d'argent. C'est aussi montrer que l'on a accès aux sources du pouvoir dominant au Royaume-Uni depuis des siècles, et la possibilité de devenir «le bon type de personne». La poshness va généralement de pair avec la richesse, mais pas toujours. On peut être posh sans être riche, mais pas indéfiniment, et on peut tout à fait être riche sans être posh: les magnats ayant réussi seuls, comme Philip Green (Topshop) ou Alan Sugar (Amstrad), sont considérés comme vraiment balourds.

La poshness garantit l'accès à la richesse, même si l'on est ruiné: le fait de pouvoir continuer à assister aux fêtes organisées par vos ami·es à leur domicile ou d'emprunter leurs maisons de vacances en France ou en Italie. Elle peut aussi vous catapulter au sommet: si vous fréquentez la bonne école, vous avez 94 fois plus de chances de rejoindre l'élite professionnelle du pays.

Pour de nombreux étrangèr·es, posh est un compliment, mais seuls les gens posh le voient comme tel.

Être posh, c'est avoir un certain style, ce chic suranné qui ne dit pas seulement que vous possédez des terres, mais que vous les possédez depuis longtemps, avec l'assurance que cela procure. De grandes maisons, certes, mais au sol recouvert de tapis élimés et dotées d'un chauffage central déplorable, aux placards garnis de vestes en tweed et de bottes Wellington qui n'appartiennent à personne en particulier mais qui attendent, pleines de boue devant la porte, le préposé à la promenade des chiens.

La poshness est une voix, dont on dit parfois qu'elle pourrait briser le verre, s'accompagnant d'une prononciation claire et soignée. Et à chaque voix son jargon –dites W.C. plutôt que toilettes. Les termes proscrits sont français, car associés aux arrivistes de la classe moyenne qui s'efforcent d'employer un langage apparemment classe.

Pour de nombreux étrangèr·es, posh est un compliment, mais seuls les gens posh le voient comme tel, et encore pas toujours. En Grande-Bretagne, le reste de la population l'emploie comme une insulte. Être traité de posh hors d'une maison de posh revient à être qualifié·e de prétentieux, de pourrie gâtée.

Une question de privilèges

Les Britanniques sont très attaché·es à la notion de classe sociale, ce qui leur donne peut-être un avantage, un certain réalisme, par rapport à leurs cousin·es transatlantiques. Ce n'est pas un aspect de son histoire que l'Amérique aborde, ni dans les livres, ni dans les films. Le mythe national tourne autour des idées de liberté, de richesse et d'opportunités affranchies des conventions du Vieux Monde. Et pour celles et ceux à qui cette histoire ne plaît pas, il en existe une autre bien plus sombre, celle de l'oppression raciale et du génocide des autochtones. La classe sociale en est généralement absente, à l'instar de la race chez les Britanniques.

Mais si l'on examine les chiffres, les Britanniques font légèrement mieux que les Américains dans le domaine de la mobilité sociale. Un enfant né dans une famille appartenant au 20e centile le plus bas des niveaux de revenus a 11,4% de chances d'atteindre le 20e centile le plus haut au Royaume-Uni, contre 7,8% aux États-Unis.

Significativement, les Américains ont beaucoup plus tendance à surestimer la mobilité sociale dans leur pays, bien que la classe moyenne se soit développée en Grande-Bretagne, alors qu'elle s'est réduite aux États-Unis. Le succès relatif de la Grande-Bretagne sur ce front est dû en grande partie à des facteurs d'égalisation traditionnels comme la couverture de santé universelle et l'éducation supérieure à bas coût.

Un pays à ce point obsédé par la notion de classe est également mieux placé pour la comprendre.

Dans la pratique, ces systèmes ont pourtant été créés à cause de la poshness: les hommes politiques de la classe moyenne qui en sont à l'origine méprisaient l'aristocratie et faisaient campagne contre. Ironie du sort, la révolution thatchérienne des années 1980 aussi, initiée par la fille d'un épicier qui s'était entraînée à parler avec un accent posh, mais dont le mépris pour les institutions d'autrefois était légendaire. Un pays à ce point obsédé par la notion de classe est également mieux placé pour la comprendre.

Les spécificités de la poshness britannique sont peut-être uniques, mais pour la comprendre dans son essence, jetez un œil à ces personnes qui détiennent le pouvoir n'importe où dans le monde et demandez-vous qui sont leurs parents et où elles sont allées à l'école. Elles auront beau s'exprimer avec un accent différent, être moins charmantes et moins aimer les chiens et les chevaux, elles incarneront sans doute le privilège inné dont jouissent les posh.

Cet article a initialement été publié sur le site Foreign Policy.

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