Culture

Avec «Avenue 5», le retour des comédies qui font juste rire

Armando Iannucci, à qui l'on doit déjà la truculente «Veep», nous emmène avec sa nouvelle série à bord d'un vaisseau spatial.

Hugh Laurie, capitaine de croisière face à ses passagèr·es dans <em>Avenue 5</em>. | Capture d'écran <a href="https://www.youtube.com/watch?v=w8Zr3f-_Ft8&amp;feature=emb_logo">via YouTube</a>
Hugh Laurie, capitaine de croisière face à ses passagèr·es dans Avenue 5. | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 6 minutes

Tous les mercredis, Anaïs Bordages et Marie Telling décryptent pour Slate.fr l'actu des séries avec Peak TV, une newsletter doublée d'un podcast.

On ne sait pas si vous avez remarqué, mais depuis quelque temps, nos héros masculins ont perdu de leur superbe. Attention, ils sont toujours aussi fascinants et complexes, sauf que ce n'est pas pour les mêmes raisons.

Pendant longtemps, on s'est pris de passion pour des Don Draper, des Tony Soprano, des Raylan Givens ou des Jaime Lannister. Ils étaient taciturnes, violents, parfois carrément sociopathiques. Mais ils étaient cool. Ils étaient sexy, talentueux, admirables. On voulait être eux, ou coucher avec eux.

Les nouveaux antihéros, eux, n'ont pas vraiment cette qualité. BoJack Horseman est un riche connard, personne n'a envie de lui ressembler. Saul Goodman a vraiment trop de problèmes pour être sexy.

Dans The Outsider, qui vient de sortir sur OCS, Ben Mendelsohn incarne un flic torturé, un archétype dont on avait déjà eu notre dose avec The Wire ou True Detective. Mais Ralph, son personnage, n'est pas un mec cool, ni distant: il est calme et doux. Il est profondément blessé (par la mort de son fils) mais semble être en paix avec sa vulnérabilité.

On est bien loin de l'ère où les mecs blancs infects semblaient encore admirables. C'est peut-être pour ça qu'on n'a jamais trop supporté le Jude Law papal de The Young Pope (2016), régurgitation d'une époque révolue.

On ne peut qu'applaudir cette nouvelle diversité de personnages masculins, qui montre que l'on peut explorer ses démons autrement qu'en rabaissant tout son entourage –même si parfois, la cruauté, ça peut être très marrant, comme le montre notre gros plan.

Le gros plan: «Avenue 5» (OCS)

Depuis quelques années, on a un peu l'impression que les comédies sont devenues les nouveaux drames. De Fleabag à Atlanta, en passant par BoJack Horseman et Barry, elles nous font autant pleurer que rire en abordant des sujets comme le deuil, le trauma, le racisme ou la santé mentale.

Si on est les premières à se réjouir de ces prises de risque, on a parfois envie de se retrouver face à une bonne comédie à l'ancienne, où la profondeur émotionnelle laisse place au pur génie comique.

Armando Iannucci est là pour répondre à nos prières. Le scénariste écossais, à qui l'on doit Veep, The Thick of It et La Mort de Staline, est passé maître dans l'art de la satire à la fois brillante et hilarante, sans une once de sentimentalisme. Avenue 5, sa toute nouvelle série, s'inscrit dans cette lignée.

Loin du cadre politique auquel il nous avait habituées (peut-être la scène politique est-elle devenue trop absurde pour être satirisée?), Iannucci nous emmène dans le futur, sur un vaisseau spatial de plaisance qui se retrouve coincé dans l'espace après un accident.

 

Si on peut s'étonner d'un tel écart avec ses autres productions, on retrouve dans Avenue 5 les thèmes de prédilection du créateur. Comme dans ses autres œuvres, les puissants sont inaptes et médiocres, et ils masquent leur incompétence par des procédés de communication ridicules. Le vaisseau fonctionne ainsi comme un microcosme où les rapports de pouvoir sont exacerbés.

L'écriture est précise, les répliques mordantes et le casting sans faute. Hugh Laurie (Docteur House, Veep) est parfait dans le rôle du capitaine et Josh Gad (La Reine des neiges) réjouissant dans celui du milliardaire mégalo propriétaire du vaisseau –pensez à Elon Musk, en encore plus absurde. On a hâte de voir la suite.

Pour bien commencer l'année, un épisode très spécial. Avec deux critiques séries de talent, Nora Bouazzouni et Olivier Joyard, on a discuté du futur des séries. En 2019, 532 séries ont été diffusées aux États-Unis: un record. Les plateformes de streaming, elles, se multiplient à vue d'œil. Combien de temps cela peut-il durer? La bulle de création va-t-elle exploser? Qui va gagner la guerre du streaming? Et surtout, qu'est-ce qui vient après la Peak TV? On en parle dans l'épisode 8 de Peak TV, le podcast.


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On regarde aussi

On aime vraiment:

Little America (Apple) – Chaque épisode de cette série d'anthologie retrace le parcours inspirant d'un immigrant américain, basé sur une histoire vraie. Très, très attendrissant.

Sex Education (Netflix) – On a parfois l'impression d'être face à un bingo de la représentation, mais le charme et l'énergie de la série opèrent toujours.

Giri/Haji (BBC/Netflix)Son nom n'est pas très vendeur, mais Giri/Haji, qui suit une enquête criminelle dans le milieu yakuza à Londres et à Tokyo, est un bon thriller comme la BBC sait les faire.

Our Boys (Canal+) – Une série israélienne sous haute tension, souvent éprouvante, mais bien écrite, très bien menée et avec un excellent casting.

Servant (Apple) – Maintenant qu'on l'a vue dans son intégralité, on peut vous le dire: cette saison 1 était exceptionnelle. Au programme: des twists, une performance hallucinante de Lauren Ambrose et l'un des épisodes (le 9) les plus perturbants de l'histoire de la télé.

Plaisirs coupables:

Messiah (Netflix) Un très bon binge: aussitôt regardé, aussitôt oublié.

Spinning Out (Netflix) – Une série un peu cliché sur une patineuse artistique en proie à des problèmes de santé mentale. Ça s'inspire clairement du duo de patineurs canadiens qui avait enflammé Twitter lors des derniers JO, sans jamais réussir à reproduire leur alchimie électrique.

AJ and the Queen (Netflix)Une comédie cheap et charmante, avec des ficelles tellement grosses qu'on pourrait descendre la tour Eiffel en rappel avec.

Chacun ses goûts:

The Outsider (OCS) – Ce thriller surnaturel manque de mordant, mais son casting est parfait et on pourrait regarder Ben Mendelsohn dans n'importe quoi.

Dracula (Netflix) – Chaque nouvel épisode est moins bon que le précédent. Dommage, Claes Bang est délicieux.

The Witcher (Netflix) – N'est pas Game of Thrones qui veut, et à part le nombre de seins nus à l'écran, cette production Netflix ultra kitsch n'a rien à voir avec le phénomène HBO.

The New Pope (Canal+) – Visuellement superbe, thématiquement assez creux.

L'épisode culte: «Congressional Ball» («Veep», S5E7)

Veep, autre création d'Armando Iannucci, est une série si constante dans son excellence qu'on a eu du mal à choisir un épisode à mettre en valeur plus qu'un autre. Mais «Congressional Ball» brille de la première à la dernière seconde: pas une fausse note ne vient entacher cette demi-heure de parfaite satire.


Comme dans tous les volets de Veep, plusieurs intrigues s'entremêlent. Gary se retrouve accidentellement sur la liste des politiques les plus sexy de Washington, D.C. Son bonheur est de courte durée, puisque Amy lui apprend bientôt que cette distinction est le fruit d'une faute de frappe dans son nom. Quant à Jonah, il continue sa campagne électorale, enchaînant slogans populistes et bourdes monumentales.

Mais c'est Selina qui mène la danse, alors qu'elle tente de convaincre les députés américains de voter pour confirmer sa présidence. Souvent médiocre et dépassée par les événements, elle est ici féroce et impitoyable, passant d'un député à l'autre lors d'une soirée pour s'assurer de leur soutien.

Deux scènes cultes viennent couronner cet épisode déjà parfait. Après avoir découvert que Tom (Hugh Laurie) menait une campagne souterraine contre elle, elle le confronte dans un échange tendu qui se transforme vite en scène de sexe vénère entre la présidente et son bras droit.

Revitalisée par cette victoire (alors que Tom a l'air plus perdu que jamais), elle s'attaque alors à une députée qui lui avait promis son vote avant de retourner sa veste. Dans une diatribe cruelle et millimétrée, d'une minute à peine, Selena anéantit son adversaire –et Julia Louis-Dreyfus prouve une nouvelle fois tout son génie comique. On a revu la scène des dizaines de fois, et on ne s'en lasse toujours pas.

Le crush: Tomer Sisley (Aviram dans «Messiah»)

On ne sait toujours pas comment régler le conflit israélo-palestinien, mais s'il y a bien une chose sur laquelle tout le monde peut s'accorder, ce sont les muscles de Tomer Sisley.

Peak de chaleur: À chaque fois qu'il est torse nu.

 


Capture d'écran.

Sur-mesure: si vous avez aimé «Friday Night Lights»...

... regardez Cheer (Netflix).

Il n'y a pas besoin de s'intéresser au football américain pour aimer Friday Night Lights, superbe série diffusée entre 2006 et 2011, sur l'équipe de foot de la petite ville fictive de Dillon, au Texas. Avec son groupe de jeunes hommes en manque d'amour et son coach qui fait office de figure parentale, FNL parle moins de sport que de communauté, de vulnérabilité et d'acceptation de soi.

Si vous avez aimé suivre les aventures de coach Taylor, Tim Riggins et Vince Howard, on vous garantit que vous adorerez Cheer. Cette série documentaire Netflix suit le quotidien d'une équipe de cheerleaders (on évite de dire «pom pom girls», puisqu'il s'agit d'un sport mixte), dans la petite ville texane de Corsicana.

Si l'une est une œuvre de fiction et l'autre un documentaire, il est impossible de ne pas rapprocher les deux séries, chacune ancrée dans un lieu très précis. La lumière du crépuscule, les accents chantants, les contradictions politiques, les vaches Longhorn, la fierté patriotique: peu de programmes retranscrivent aussi bien cette ambiance purement texane (vous pouvez nous croire, l'une des deux autrices de cette newsletter y a vécu).

Comme FNL, Cheer se concentre aussi sur l'aspect humain de son équipe, avec une poignée de personnages qui affirment que ce sport leur a sauvé la vie. On suit, le cœur battant, la progression de ces jeunes en quête de repères et d'affection –non seulement leurs cascades, mais aussi leur solitude, leur peur de l'échec et leur affection sans bornes pour leur coach.

 

Si ce n'est pas encore fait, on vous invite donc à découvrir ces deux œuvres, qui font pleurer autant que sourire et dressent un portrait saisissant de l'Amérique contemporaine.

Ces textes sont parus dans la newsletter bimensuelle Peak TV.

 
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