Société / Économie

Pendant la grève, des hôtels de luxe ont hébergé leur personnel

L'ambition n'était pas seulement d'éviter la galère aux employé·es, mais aussi de permettre à leur employeur de s'assurer du bon fonctionnement de leur établissement.

<em>«Beaucoup ont apprécié cette expérience, tout du moins pour les premiers jours ou les premières semaines.» </em>| Aurore Mésenge / AFP
«Beaucoup ont apprécié cette expérience, tout du moins pour les premiers jours ou les premières semaines.» | Aurore Mésenge / AFP

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«Ça ressemblait clairement à une chambre de luxe!» Ramdane est chef pâtissier. S'il a l'habitude de mettre les petits plats dans les grands en cuisine, il n'imaginait pas un jour passer la nuit sur son lieu de travail: un hôtel 4 étoiles en plein Paris, où certaines chambres peuvent approcher les 500 euros par nuit. «J'avais déjà dormi à l'hôtel, mais je ne suis jamais monté au-dessus de 100 euros la nuit», confie-t-il.

Pour rejoindre l'établissement, Ramdane passe chaque jour environ une heure et demie dans les transports. Pendant la grève, faire le pari qu'ils vont fonctionner est bien trop risqué pour lui: «Je l'ai fait une fois et je me suis fait avoir. Au lieu d'arriver à 9 heures au boulot, je suis arrivé avec trois heures de retard. On ne sait jamais comment ça va se passer.»

«Compliqué de ne jamais couper»

De la femme de ménage au directeur, nombre d'employé·es ont préféré passer la nuit à l'hôtel. Dans un rire, une manager raconte: «J'avais plein d'amis qui me disaient que c'était cool car je dormais dans un hôtel de luxe, mais pour moi, c'est surtout mon bureau. J'y ai dormi une dizaine de jours et à un moment j'en ai eu marre, donc j'ai préféré faire deux heures de marche pour rentrer chez moi! C'était compliqué de ne jamais couper avec le travail.»

La solution de l'hébergement sur place a été proposée par la direction de plusieurs hôtels de luxe quelques jours avant le début de la grève: «Beaucoup ont apprécié cette expérience, tout du moins pour les premiers jours ou les premières semaines, relève Guilhem Lemaître, directeur d'hôtel. La première semaine, le staff a même fourni le repas aux employés.»

Le temps de la grève, le personnel a donc vécu la vie de luxe –entre collègues. «Après le service, on mangeait tous ensemble, témoigne Ramdane. On discutait, on sortait les jeux de société, les cartes, on écoutait de la musique… Et le lendemain matin, tout le monde se retrouvait pour le petit déjeuner. C'était un peu une ambiance de fête ou de colonie de vacances!»

Une manager explique pourtant à quel point cette proximité pouvait devenir pesante au quotidien: «Tout le monde a une vie personnelle. Les femmes de ménage, qui commencent très tôt, rentraient dans leur chambre à 15 heures, par exemple. Une autre employée qui habite à Meudon a dû rester plus d'un mois et à un moment, elle en avait vraiment marre. Et en ce qui me concerne, mon copain m'a demandé en mariage le deuxième week-end de décembre. À ce moment-là, j'avais juste envie d'être avec lui –sauf que je restais au travail!»

«On n'avait pas d'autres choix»

Préférer loger ses salarié·es au cœur du VIIIe arrondissement de Paris plutôt que de les laisser galérer pour regagner leur domicile: on peut y voir un signe de solidarité de la part de la direction, mais également une manière d'anticiper les problèmes.

«On savait que l'on n'avait pas d'autre choix que de proposer la solution de l'hébergement sur place», reconnaît Guilhem Lemaître. Pour ce directeur, peu importe le prix des chambres, il s'agissait surtout de faire fonctionner l'établissement: «On risquait de mettre l'exploitation de l'hôtel en péril. Libre à chacun d'accepter cette solution d'hébergement ou non. Mais ce qu'on a fait, et ce que beaucoup de directeurs ont fait je pense, c'est de préciser aux équipes que malgré la grève, chacun se doit d'être présent.»

Dans un autre hôtel de luxe du Ier arrondissement de Paris, même son de cloche: «Au début de la grève, toutes les personnes qui travaillaient très tôt le matin ou très tard le soir se sont vu proposer une chambre à l'hôtel, expose un responsable. Nos employés se donnent beaucoup dans le cadre de leur travail, donc c'est évident que si on peut les aider, on va le faire. Et on estime que si on fait un pas vers eux, il faut aussi qu'ils en fassent un vers nous.

«On risquait de mettre l'exploitation de l'hôtel en péril. Libre à chacun d'accepter cette solution d'hébergement ou non.»
Guilhem Lemaître, directeur d'hôtel dans le VIIIe arrondissement de Paris

Guilhem Lemaître admet d'ailleurs que la grève n'a fait qu'accentuer des préoccupations déjà existantes: «Pour certains profils, le transport n'est pas compliqué uniquement pendant les grèves; ça peut être compliqué tous les jours.»

«Ça coûte beaucoup moins cher »

À Paris, beaucoup d'hôtels ont préféré loger leur personnel lorsque cela était possible. «Ça dépendait surtout du lieu d'habitation, précise Guilhem Lemaître. Le problème, c'est que quasiment tous les corps de métiers étaient concernés. Beaucoup de nos femmes de chambre habitent loin de là où se trouve l'hôtel, par exemple. Mais on a eu aussi le chef de cuisine, le réceptionniste… On a hébergé jusqu'à douze personnes par nuit!»

À plusieurs centaines d'euros la nuit, les hôtels y trouvent-ils vraiment leur compte? Pour le directeur d'hôtel, la réponse est évidente: «L'occupation dans les hôtels était assez faible. Ça ne nous a pas coûté grand-chose, si ce n'est les frais de nettoyage et de linge.»

Finalement, mieux valait-il pour les hôtels qu'ils évitent l'option taxi. «Cette option n'a jamais été envisagée pour notre part, indique Guilhem Lemaître. Ça coûte beaucoup moins cher de loger les employés sur place –notamment lorsque ça ne bloque pas de ventes– que de leur payer le taxi. Payer le taxi matin et soir pour vingt-cinq personnes, ça peut vite coûter très cher, alors même que cette option-là ne les assurait pas forcément d'arriver à l'heure.»

Si l'expérience a été inédite pour la plupart des employé·es, rien ne vaut, semble-t-il, le plaisir d'être à la maison. Comme le dit Ramdane, «ça fait quand même du bien de rentrer chez soi. Je ne paye pas mon loyer pour dormir à l'hôtel! C'était sympa d'essayer, mais c'était vraiment parce qu'on n'avait pas le choix».

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