Culture

Cinéma en ligne, y a pas que Netflix! Il y a même beaucoup mieux

L'offre (légale) de cinéma en ligne est aujourd'hui pléthorique, et peut permettre à chacun·e d'avoir le plaisir de la découverte grâce au travail de programmation des sites les plus innovants.

Sur la page d'accueil d'UniverCiné.
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Temps de lecture: 6 minutes

Cet article concerne les films de cinéma. C'est-à-dire les objets audiovisuels conçus pour la salle et le grand écran, ce qui leur donne des qualités singulières, que ne possèdent pas les autres produits composés d'images et de sons. Une fois qu'ils existent, ces films de cinéma peuvent aussi être vus ailleurs que dans des salles –même si c'est et ce sera toujours moins bien.

Il faut se réjouir qu'il existe des livres de peinture qui donnent accès aux grandes œuvres pour toutes les personnes qui ne peuvent les voir là où elles sont exposées. Il faut se réjouir que la télévision, la VHS, le DVD et désormais les plateformes de diffusion sur internet donnent aussi accès aux films.

Disproportion

À grand renfort de centaines de milliards de dollars d'investissement (17,3 exactement en 2020 pour les contenus, sans compter les autres milliards en marketing), la société Netflix a biaisé le débat en présentant ses produits d'appel, quelques films signés de grands noms du septième art, contre la salle de cinéma.

Mais le cœur de métier de Netflix, comme de ses rivaux directs, n'est pas la diffusion de films, c'est la diffusion de séries. Ce qui se vérifie à nouveau avec l'annonce de l'installation de bureaux en France de la firme au grand N rouge, et du lancement de nouveaux produits locaux, presque uniquement des séries.

Parmi les films mis en ligne sur la plateforme, la poignée des productions maison (les seules qui sabotent le cycle de vie naturel des films) est dérisoire par rapport à l'ensemble de la production de cinéma, et par rapport à l'offre de la plateforme. Bref, Netflix devrait occuper bien moins de place quand on parle de cinéma, et le cinéma devrait occuper bien moins de place quand on parle de Netflix.

La fin d'une époque

En outre, et surtout, tout cela concerne une époque qui est en train de se terminer, avec l'arrivée dans le jeu de Disney+, Apple TV+ et HBO Max (la plateforme de WarnerMedia), des acteurs encore beaucoup plus puissants, qui ont déjà commencé à bouleverser un paysage jusque-là dominé par l'entreprise de Reed Hastings et Ted Sarandos et, à quelques encablures, Amazon Prime Video.

Le paysage décrit par le dernier Observatoire de la vidéo à la demande que publie régulièrement le CNC, et qui porte sur la situation au début de l'automne 2019, a toutes les chances de devenir rapidement obsolète. On y trouve en tout cas quelques éclairages différents du discours dominant sur le secteur.

Par exemple seuls 6% de la population se connecte quotidiennement à un service de streaming, et si Netflix domine clairement ses concurrents (65% du marché), son audience nationale est de l'ordre de 3,5%, très loin des 20% de TF1 ou des 13,5% de France 2.

Il existe bel et bien sur internet un riche ensemble de propositions pour accéder à des films du monde entier, dans leur diversité.

Pour mémoire, les offres comparables d'origine française ont le choix entre trois options peu réjouissantes. Soient elles se désagrègent dans cet univers de mastodontes hyper-concurrentiel: CanalPlay, qui a été un moment leader, a fermé le 26 novembre 2019, remplacé par Canal+Série qui comme son nom l'indique ne propose pas de films.

Soient elles s'intègrent aux géants existants: MyCanal est désormais surtout un relais de Netflix, à quoi s'ajoute l'offre d'une autre plateforme française, OCS (filiale d'Orange), mais aussi les offres Disney et Warner. Soit enfin elles expérimentent un projet national qui pédale dans la semoule numérique depuis un bon bout de temps, et ne semble promis à aucun horizon glorieux, le projet Salto fédérant France Télévisions, TF1 et M6, et dont le lancement vient encore d'être repoussé.

Sur toutes ces plateformes, l'offre de films de cinéma est quantitativement secondaire et est appelée à le rester, même si Star Wars ou le prochain Spielberg serviront de tête de gondole à Disney+. Mais, loin de cette guerre des étoiles à coups de milliards, il existe bel et bien sur internet un riche ensemble de propositions pour accéder à des films du monde entier, dans leur diversité.

Quatre offres essentielles

Avec leurs spécialités, quatre plateformes sont particulièrement fécondes en propositions intéressantes. Pionnière en la matière, UniversCiné fédère la majorité des producteurs français indépendants. Née en 2007, la plateforme propose un très vaste choix de films dont beaucoup de titres français, mais aussi un beau florilège de cinémas du monde.

Au mois de janvier 2020, elle se dote (enfin!) d'un service par abonnement, désormais le mode d'accès le plus usité, la pratique de la SVOD (pour subscription video on demand) ayant irrésistiblement distancé l'achat ou la location à l'unité.

Assez comparable en matière de types de films, MUBI, basé à Londres, est plus international et surtout met davantage en avant son travail de programmation: chaque mois, trente films sont accessibles, un nouveau remplaçant un ancien chaque jour.

Il faut ajouter deux offres elles aussi remarquablement construites concernant le choix, mais de manière plus spécialisée. Pour le documentaire, Tënk est irréprochable quant à la sélection des titres. Ceux-ci sont proposés dans le cadre de programmations qui les rendent accessibles durant deux mois, selon des thématiques constamment renouvelées.

Une (petite) partie des titres de documentaires rendus accessibles par Tënk.

De son côté La Cinetek propose des ensembles de films du patrimoine, en fait des films du XXe siècle, selon à chaque fois le choix d'un·e cinéaste ayant dressé une liste de cinquante titres importants à ses yeux.

 

Un fragment de la liste des cinéastes du monde entier ayant joué les curateurs, c'est-à-dire proposé une liste de cinquante titres que La Cinetek s'emploie à rendre accessibles.

L'enjeu curatorial

La curation, aussi vilain soit le mot, est pour une bonne part le véritable enjeu. Même si les idéologues d'internet continuent d'en entretenir l'illusion, la théorie de la longue traîne popularisée par Chris Anderson et supposée permettre des accès plus diversifiés a depuis longtemps largement démontré sa fausseté.

La diffusion en ligne entraîne une polarisation accélérée des consommations sur quelques produits hyperpromus et marginalise toujours plus les plus petits. Massivement sous influence du marché, le web aggrave les phénomènes de concentration.

Ces sites participent d'un travail qui n'est pas si différent de ce que font les programmateurs de festivals, les salles art et essai et certains éditeurs de DVD.

Face à cette logique, immensément démultipliée par les algorithmes, la réponse est donc, plus que jamais, la programmation. C'est-à-dire la construction de propositions répondant à d'autres logiques que la soi-disant satisfaction des désirs des consommateurs, désirs massivement manipulés par le marketing.

Chacun selon sa logique –minoritaire assurément, et depuis quand cela serait-il honteux?– les quatre sites mentionnés ci-dessus participent à ce travail qui, dans l'esprit, n'est pas si différent de ce que font les programmateurs de festivals, les salles art et essai, les meilleurs éditeurs de DVD.

Pas très différent non plus de ce qu'ont fait en leur temps ces grands passeurs de cinéma que furent, à la télévision, Claude-Jean Philippe avec le Ciné-Club et Patrick Brion avec Le Cinéma de minuit sur les deux chaînes généralistes du service public. Cette époque est révolue. Mais, côté télévision, il reste le site d'Arte, qui offre en replay (gratuit) les films que la chaîne a récemment diffusés, et où se nichent nombre de belles rencontres. Arte a également un site de VOD fort bien fourni, mais uniquement sur achat ou location.

D'un extrême à l'autre

À l'écart de cette logique, Filmotv se positionne un peu comme un multiplexe de centre-ville, où voisinent blockbusters et films d'auteur dits «porteurs».

Son cas est intéressant dans la mesure où s'y joue de manière particulièrement visible la contradiction entre la nostalgie d'une idée unifiée, ou au moins fédérale du cinéma, dont les différentes provinces se vivaient comme appartenant à la même entité («le» cinéma, où c'est le singulier de l'article défini qui est devenu problématique) et la confusion pseudo-démocratique où à la fin c'est toujours les gros qui gagnent.

Deux autres variantes, très contemporaines, figurent dans l'éventail des offres. L'une, Outbuster, se calque sur le mécanisme des réseaux sociaux: ce sont les internautes qui programment –des séries B, C ou Z du monde entier, principalementg des films ados régressifs avec surpopulation de monstres divers, zombies et serial killer, mais très loin des blockbusters (auxquels le site n'aurait de toute façon jamais accès), et avec une grande diversité d'origine, qui reflète celle de ses abonné·es.

À l'autre extrême, on trouve le CinemaClub: un seul film à la fois, gratuit, pendant une semaine, film choisi par une seule personne (qui se trouve avoir bon goût), la jeune productrice Marie-Louise Khondji installée à New York mais attentive au vaste monde.

Sur les pages d'accueil d'Outbuster et de CinemaClub.

Également aux États-Unis (et uniquement en anglais), Fandor permet une précieuse offre de films indépendants américains, où il y a bien des occasions de picorer. Ce site est devenu une vitrine du nouveau mouvement indie états-unien, dont la capitale n'est ni Los Angeles ni Sundance mais Austin (Texas) sous les auspices de l'Austin Film Society.

Enfin, en marge de tout le reste, un petit coup de projecteur sur des réalisations qui, pour n'être pas des films de cinéma, offrent à d'excellents cinéastes l'occasion de brefs et singuliers détours. Cela se passe sur La 3e Scène, créée par l'Opéra de Paris.

Sarah Winchester, opéra fantôme, de Bertrand Bonello sur La 3e scène.

Outre Les Indes Galantes, filmé par Clément Cogitore et très légitimement devenu un hit, on trouve de très belles réalisations, notamment signées Bertrand Bonello ou Mathieu Amalric. Puisque, bien sûr, on peut sur internet faire bien d'autres choses passionnantes que des films.

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