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Le changement climatique précipite la chute de l'industrie du ski

Même si ce sont surtout les petites structures qui sont touchées par la raréfaction de la neige, le nombre de stations en activité diminue et les jeunes skient moins que dans les années 1990.

Cette photo illustrera bientôt une époque révolue. | Quenten Janssen <a href="https://unsplash.com/photos/W_z4awYQgO4">via Unsplash</a>
Cette photo illustrera bientôt une époque révolue. | Quenten Janssen via Unsplash

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C'est une fuite en avant qui symbolise la panique qui s'empare de l'industrie du ski face au changement climatique. Le 28 décembre dans les Alpes du Sud, les dirigeants de la station Montclar Les 2 Vallées ont pris la décision d'héliporter de la neige des sommets vers le bas du domaine où le manteau neigeux n'avait pas résisté au redoux à l'œuvre dans les Alpes depuis la mi-décembre, comme l'a rapporté Le Dauphiné Libéré.

L'enneigement avait pourtant été précoce et abondant au début de l'hiver, mais comme souvent ces dernières années, le thermomètre s'est ensuite affolé. Avec des températures largement supérieures à zéro degré, les canons à neige sont inutiles. Il a donc fallu un hélicoptère qui a réalisé quatre-vingts rotations afin de déposer une quantité de neige suffisante pour permettre aux vacancièr·es de continuer à skier. Un acte qui ressemble à une hérésie écologique.

Alain Quièvre, président de MDS, société qui gère les remontées mécaniques de Montclar, a justifié ce choix par une nécessité économique. «Le coût de cette opération est estimé à 8.000 euros la journée. Le bureau l'a validée à l'unanimité, après avoir pesé le pour et le contre, estimé les impacts d'image, de satisfaction client, économiques, environnementaux», a-t-il notamment déclaré.

Le changement climatique est plus brutal dans les Alpes qu'ailleurs en France. Depuis la fin du XIXe siècle, la plus haute chaîne de montagnes d'Europe occidentale a connu une hausse des températures moyennes de 2 degrés. «Il est important de noter que le réchauffement climatique y affecte principalement les températures hivernales avec une hausse de 2,8 degrés, alors que les températures d'été n'ont augmenté que de 1,5 degré», peut-on lire dans la revue scientifique Arctic, Antarctic and Alpine Research. Il a été mesuré dans les Alpes suisses entre 1970 et 2015 que la couverture neigeuse a été raccourcie de 8,9 jours par décennie à une altitude comprise entre 1.139 et 2.540 mètres.

45% des fermetures de stations sont causées par le manque de neige

Les stations de ski sont bien sûr extrêmement vulnérables face à cette fonte des neiges. Selon les toutes récentes recherches de Pierre-Alexandre Métral, doctorant en géographie alpine à l'Université de Grenoble, de nombreuses stations de ski ont déjà fermé leurs portes à cause de la raréfaction de l'or blanc.

Dans son travail très documenté, il a ainsi recensé 169 stations fermées depuis 1951, date de la toute première fermeture. «Il y a eu un premier pic de fermetures lors de la période 1986-1990, qui a vu une succession d'hivers sans neige, indique le jeune chercheur. Pendant trente ans, c'était des domaines skiables équipés de deux ou trois remontées mécaniques qui fermaient. Mais depuis les années 2000, des stations de plus en plus grandes qui comptent parfois entre sept et dix remontées mécaniques ont mis la clé sous la porte.»

Sur les 169 fermetures de domaines skiables recensées par Pierre-Alexandre Métral, 45% ont été causées par le manque d'enneigement. Les autres raisons sont la concurrence économique entre les stations, la mauvaise gestion financière ou les changements de pratiques sociétales.

La population skieuse française est vieillissante. Selon une étude de l'Association des maires des stations de montagne à paraître en janvier et citée par Le Monde, les jeunes représentaient 20% des clientèles des stations en 1995, contre 14% aujourd'hui. Quant à la fréquentation globale des stations, elle stagne depuis 2008 d'après les chiffres de l'Observatoire des domaines skiables de France.

Un pic d'exploitation en 1992

En France, le pic du nombre de stations en service a été atteint au début des années 1990, avec plus de 500 domaines skiables en activité. Un lent déclin a été entamé depuis avec deux à trois fermetures par an, les stations fermées n'étant plus remplacées par de nouvelles. Il y avait encore 414 stations en 2018, année funeste avec cinq fermetures.

«Le pic de l'aménagement en montagne a été atteint en 1992 avec les Jeux olympiques d'hiver d'Albertville», note Pierre-Alexandre Métral. Selon les données récoltées par le spécialiste de la géographie alpine, les constructions de stations neuves se sont arrêtées net après cette date, avec quelques rares exceptions jusqu'en 2004.

 

 

Ce sont logiquement les massifs de moyenne montagne, davantage touchés par le recul de l'enneigement à cause de leur basse altitude, qui enregistrent le plus de fermetures de domaines.

Dans le Massif central, le nombre de stations a chuté d'un maximum de 40 en 1985 à 18 en 2019. Le schéma est le même dans le Jura, les Vosges et à un degré moindre les Pyrénées. Les stations des Alpes, souvent perchées à plus haute altitude, sont mieux protégées même si elles comptent aussi des victimes. De 350 en 1990, elles sont passées à moins de 300 aujourd'hui. Dans les Alpes du Nord, une station comme Sixt-Fer-à-Cheval dans le massif des Vagnys n'a pas résisté. Situé trop bas, entre 800 et 1.500 mètres d'altitude, ce site qui avait ouvert en 1951 avait compté cinq remontées mécaniques à son apogée dans les années 1990.

On peut aussi citer la station Saint-Honoré 1500 dans la Matheysine, au sud de Grenoble. «En 2003, alors que l'enneigement du domaine fait de plus en plus défaut, la station est mise aux enchères mais ne sera pas reprise. Tout est laissé à l'abandon dès 2004. [...] Depuis, la situation n'a pas beaucoup changé: la station fait toujours cohabiter immeubles habités et structures inachevées qui attirent les photographes, graffeurs et explorateurs», peut-on lire sur le site web Stations fantômes qui narre les histoires des stations disparues.

Une concentration des stations plutôt qu'un réel déclin?

Cette analyse d'une industrie du ski en déclin ne fait cependant pas l'unanimité dans le petit milieu alpin. Le chercheur Hugues François, spécialiste de l'aménagement en montagne à l'Institut national de la recherche agronomique et de l'environnement (Inrae), a mené de nombreux travaux sur l'adaptation des stations au changement climatique.

«J'ai du mal avec l'idée d'évoquer un déclin réel de l'industrie du ski. Il y a une stagnation du marché, c'est évident. Il faut cependant rappeler qu'aujourd'hui, la France se classe au troisième rang mondial en nombre de journées-skieurs par an, derrière les États-Unis et l'Autriche. Concernant la baisse du nombre de stations de ski, cela correspond plutôt à une évolution du paysage avec une concentration des domaines skiables dans un univers très concurrentiel», juge t-il.

Face à l'accentuation du changement climatique, plusieurs rapports ont en tout cas démontré qu'il sera nécessaire pour les domaines skiables de multiplier les canons à neige au bord des pistes afin de conserver un enneigement suffisant pour la bonne glisse des spatules des vacancièr·es. Dans le département de l'Isère, une étude réalisée sur les vingt-trois stations par l'Irstea et le Centre d'études de la neige Météo France-CNRS a montré qu'avec une surface équipée à 42% en neige de culture (contre 27% en 2018), l'enneigement en 2050 sera maintenu à un niveau similaire.

Les stations de ski de moyenne montagne, comme celle de Villars-de-Lans rachetée par l'ex-basketteur Tony Parker dans le Vercors, seront néanmoins de plus en plus menacées par les redoux davantage marqués au cœur des hivers et qui rendront les canons à neige inopérants pendant des périodes toujours plus longues. L'écrémage se poursuivra donc dans les prochaines années, avec des fermetures toujours tragiques pour des régions dont une bonne partie des habitant·es dépend directement ou indirectement des revenus du ski.

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