Boire & manger

L'embellie de La Tour d'Argent à Paris

Ainsi qu'un choix de quinze réveillons de la Saint-Sylvestre, de 75 à 995 euros.

À La Tour d’Argent, le foie gras des Trois Empereurs | © Pierre-Emmanuel de Leusse, Spartium
À La Tour d’Argent, le foie gras des Trois Empereurs | © Pierre-Emmanuel de Leusse, Spartium

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Le plus fameux restaurant de France est la propriété de la famille Terrail depuis un siècle. André Terrail, le fils trentenaire du légendaire Claude, le gardien de La Tour (1918-2006) pendant six décennies, dirige le monument de la civilisation de la table à la française né en 1582. Portrait d'un jeune seigneur de la restauration mondiale.

Quand il succède à son père en juin 2006, André Terrail a de quoi s'inquiéter: La Tour n'est pas un cadeau. Il faut faire vivre l'établissement de pierres champenoises, six étages d'architecture classée surmontée au sommet par des salons aux boiseries transformés en restaurant de luxe (1936) à la vue panoramique sur la Seine, l'Île de la Cité et Notre-Dame, la cathédrale en travaux des Français.

Ce monument de la gastronomie française qui fut une auberge pour cavaliers sous le roi Henri III est devenu le plus célèbre restaurant de France visité comme le Louvre, Versailles et le Musée d'Orsay –la première table de Paris trois fois étoilée au Michelin en 1933. C'est là que fut inventée la fourchette pour piquer le pâté de héron, on ne mangeait plus avec ses doigts.

La Tour d'Argent | Jean Ayissi / AFP

C'est dans ces lieux de beauté chargés d'histoires et de gros bonnets savants que l'on régale les rois, les reines (Elizabeth II), les empereurs (Hirohito), les chefs d'État (John Kennedy, Vladimir Poutine), tout le gotha de la planète (les Rothschild, Johnny Halliday, Jean-Paul Belmondo…) et les nantis, des amoureux de Paris en quête de frissons, d'émotions et de souvenirs.

Nombre de Français ont déclaré leur flamme et offert un bijou à l'élue de leur cœur en ces lieux qui vous élève. La Tour reste depuis Frédéric Delair, chef et propriétaire au rez-de-chaussée en 1867, un endroit de pèlerinage familial –et amoureux. En cela, ce restaurant unique qui tutoie le ciel depuis la IIIe République figure dans la mythologie française.

La salle du restaurant La Tour d'Argent | © Herminie Philippe

Pour André, jeune bourgeois bien né, diplômé des universités américaines, l'héritage ne sera pas un fardeau. D'abord sa mère, la belle Finlandaise Tarja est là, ancienne directrice générale de La Tour, elle connaît les rouages, les secrets du beau restaurant qu'elle a transmis à son fils, élevé dans le sérail aux côtés du gardien de La Tour, le dandy Claude Terrail qui a vécu pour préserver et animer le legs familial: La Tour point ne leurre.

Les générations se succèdent sur le quai de la Tournelle, dans l'harmonie et l'esprit de famille. Bon fils, André s'est pénétré des aléas, des exigences de La Tour chère à Jean-François Revel, l'académicien gastronome qui habitait en face sur l'autre quai de la Seine.

L'héritier sait que La Tour est vénérée, admirée, fréquentée par une foule de fidèles dont certain·es ont donné leur nom à un plat du répertoire, à commencer par la quenelle de brochet André Terrail, son grand-père, le consommé Fabiola, les œufs Tom Curtiss, un journaliste américain qui a vécu dans un appartement de La Tour, la poularde Coco Chanel, les crêpes princesse Anne –c'était l'époque où le Château Guiraud 1896, merveilleux Sauternes, était facturé 200 euros, un cadeau...

Reconquête et préservation

Calme et réfléchi, André sait que La Tour si ancienne soit-elle ne doit pas devenir un musée figé dans sa légende. Le fils adoré de sa mère accomplit le tour de la salle à manger panoramique aux deux repas, salue tous les mangeurs et enregistre moult compliments et encouragements. Il voit combien La Tour est aimée, et la clientèle heureuse d'être là –quinze à vingt mille couverts par an. La table à La Tour doit évoluer, les recettes d'hier un brin ampoulées (il y a eu jusqu'à quinze canetons à la carte) ne sont plus de mise.

À La Tour d'Argent, la presse à canard | © La Tour d'Argent

En 2016, André Terrail a engagé un chef brillant, Philippe Labbé, formé chez des maîtres de la poêle, chargé de moderniser le style culinaire daté comme le caneton poivré Lavallière à la julienne de citron et poivron, le homard Lagardère lié à la mayonnaise, cognac, madère et estragon... Oui, Il faut plus de légèreté, de respect du produit et de la simplicité élégante. Et La Tour doit retrouver la seconde étoile, ce qui correspond à son statut inégalé depuis l'effacement de Maxim's, de Lasserre et de Lucas Carton en période de reconquête.

L'ancien chef de La Chèvre d'Or à Èze (Alpes-Maritimes) et du Shangri-La à Paris (75016), Philippe Labbé a bousculé les préparations emblématiques, la quenelle à la sauce fleurette et à la truffe, le bœuf Wagyu et paleron à côté du caneton de chasse rôti aux épices, l'aile de raie bouclée au menu du déjeuner et le saumon de l'Adour à la mousseline d'amandes. Toutes ces réjouissances ont plu aux habitué·es et au Michelin «une main de tradition dans un gant de modernité» (2019). Mais Labbé a fait son temps.

«Nous avons beaucoup de respect pour le talent, la créativité et l'engagement de Philippe Labbé, mais nous regardons l'avenir et l'avenir, c'est avec Yannick Franques qu'il se dessine. Il aura à représenter les valeurs et l'héritage de cette maison familiale, à savoir l'élégance, la distinction et la sincérité, en plus des goûts de notre époque», indique André Terrail qui désormais connaît La Tour comme son père.

En somme, l'héritage repensé par Terrail, petits-fils et fils, c'est la haute cuisine noble historiée, dans le droit fil de la mémoire vivante à peine revisitée. À cet effet, le patron de La Tour a jeté son dévolu sur Yannick Franques (MOF 2004), un chef parisien distingué, disciple du maître Éric Fréchon, trois étoiles à l'Épicure du Bristol, passé par le Château Saint-Martin à Vence où il a eu deux étoiles puis par la somptueuse Réserve de Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qu'il a enchanté de son talent méditerranéen, son loup flambé au pastis en salle reste un grand moment.

Sur la photo, Yannick Franques à gauche et André Terrail à droite | © La Tour d'Argent

Ce chef Meilleur Ouvrier de France d'une extrême rigueur dans sa manière s'est plié au répertoire classique de La Tour, pas de déviations «fusion», mais la vérité des intitulés et des préparations validées par André Terrail et les cadres en salle. Les voici:

Héritages

• Le foie gras des Trois Empereurs, fine gelée, brioches tièdes (105 euros)

• La quenelle de brochet André Terrail, gratinée, champignons, sauce Mornay (90 euros)

À La Tour d'Argent, les quenelles de brochet André Terrail | © La Tour d'Argent

• Le caneton Frédéric Delair en deux services, sauce au sang, pommes soufflées, pour deux personnes (145 euros)

• Les crêpes Mademoiselle, sorbet au fromage blanc (56 euros)

Les entrées

• La langoustine juste saisie, graines exotiques, laquée d'une bisque (135 euros)

• Le mystère de l'œuf en neige, fin velouté de cèpes et quelques copeaux (79 euros)

• L'artichaut poivrade rôti à l'huile de cazette, truffe (69 euros)

• La châtaigne de mer (oursin) en coque, riz basmati, mouillettes (82 euros)

À La Tour d'Argent, la châtaigne de mer en coque  © La Tour d'Argent

Les poissons

• Le bar de ligne (pour deux personnes) en écailles soufflées, bouillon parfumé au pastis (125 euros)

• La Saint-Jacques rôtie, poire pochée au vin rouge, émulsion parmesan Regiano (105 euros)

• Le turbot de petit bateau meunière, cardon à la moelle, olives et câpres frits (115 euros)

Les rôts (ou pièces de résistance)

• Le caneton de Challans Mazarine aux zestes d'orange en deux services, sauce maltaise (102 euros)

À la Tour d'Argent, le caneton Mazarine | © La Tour d'Argent

• L'agneau fermier rôti à la poudre de coriandre, Roseval, farci d'olive et citron confit, ail (88 euros)

À la Tour d'Argent, l'agneau | © La Tour d'Argent

• Le ris de veau doré au sautoir, noix, topinambours, jus au thym (96 euros)

Les fromages affinés par Laurent Dubois, MOF 2000 (16 euros) et comté de 36 mois (32 euros)

Entremets & douceurs

• Les pommes douces vanillées et confites, acidulées, streusel noisette, sorbet (28 euros)

À La Tour d'Argent, les pommes | © La Tour d'Argent

• Le vacherin façon Mont-Blanc, marron, vanille, cassis (33 euros)

• Le millefeuille caramélisé, crème vanillée, guimauve, glace (32 euros)

• L'or noir, mousse chocolatée, touron, amandes, nougat, glace vanille (35 euros)

Autour du déjeuner à 105 euros, excellent rapport prix plaisir

• La quenelle de brochet sauvage et ses œufs fumés, sauce au champagne

• La soupe de lièvre à la royale, ravioles de foie gras, châtaigne et noix

À La Tour d'Argent, la soupe de lièvre à la royale | © La Tour d'Argent

• Le merlan de ligne en croûte de pain brioché, jus, girolles à l'ail

• Le caneton de Challans Mazarine, suprême aux zestes, tatin de navet

• La poire Williams pochée, crémeux de sirop d'érable, douceur whisky

• L'arlette chocolat, émulsion de grué cacao, sorbet et marmelade

Menu autour du caneton Burgaud en six services (360 euros)

Imagination du chef en cinq services (290 euros)

On le voit clairement, Yannick Franques a entrepris un retour à la tradition Terrail, ce qui ne peut que plaire aux fidèles: excellent choix des matières premières et traitement respectueux des goûts et des saveurs, les sauces bien adaptées, jamais absentes. Le chef cultivé et savant se plaît à La Tour et a gagné l'affection d'André Terrail. La Tour dure en changeant. Et le public suit, le monument évite les aléas de la crise rampante.

Dans un avenir proche, la sole cardinal aux écrevisses et d'autres canetons vont réapparaître. Ainsi la cuisine de vraie noblesse (admirable foie d'oie et ses accompagnements) est en harmonie avec la situation géographique en surplomb de la Seine et le décor de boiseries plus sobre qu'on ne le croit.

La cave de 350.000 bouteilles (on peut la visiter) reste impressionnante, le conseil des neufs sommeliers dont deux femmes est indispensable pour réussir un excellent mariage Mets et Vins. Près de cent millésimes du Château d'Yquem et huit du Château de Fargues sont à des prix décents, c'est le Sauternes doré d'Alexandre de Lur Saluces, cinq siècles de fidélité à son terroir.

À La Tour d'Argent, les caves | © Thomas Renaut

Un repas dans le ciel de La Tour reste une parenthèse de savoir-vivre, de bonnes manières, de conversation, c'est le sixième sens dont parlait Claude Terrail qui a su transmettre sa passion active à son fils pour ce temple de l'élégance. À La Tour, tout évolue, rien ne change.

15 quai de la Tournelle 75005 Paris. Tél.: 01 43 54 23 31. Carte de 250 à 350 euros. Fermé dimanche et lundi. Voiturier.

La Rôtisserie d'Argent

Au bas de La Tour, sur le quai, André Terrail a maintenu cette ancienne brasserie dotée d'une rôtisserie bien visible où cuisent les poulets fermiers et les canetons de Challans pour deux, «les deux meilleures ventes» indique le chef Sébastien Devos, un as des frites croustillantes.

À La Rôtisserie d'Argent, les poireaux vinaigrette et saumon fumé | © La Rôtisserie d'Argent

En prélude, les poireaux tièdes et corolle de saumon fumé (15 euros), les quenelles de brochet, crème de moule safranée (16 euros), l'épaule d'agneau de lait confite aux aromates pour deux personnes (70 euros), les rognons de veau à la moutarde violette et champignons (23 euros) donnent du plaisir aux mangeurs du quartier et d'autres lieux. Ils font une halte gourmande à la boulangerie-pâtisserie à l'angle de la rue –une bénédiction pour les voisins, jusqu'à 400 client·es par semaine.

À la Rôtisserie d'Argent, les Saint-Jacques grillées en brochette et petits légumes | © La Rôtisserie d'Argent

Et cela, c'est l'œuvre du fils devenu une célébrité dans l'arrondissement et dans l'Île de la Cité. La Tour majestueuse a une sacrée succursale pour tous. Allez-y!

Sébastien Devos, chef des cuisines de la Rôtisserie d'Argent | © La Rôtisserie d'Argent

 

19 quai de la Tournelle 75005 Paris. Tél.: 01 43 54 17 47. Bon plan pour le weekend. Pas de fermeture. Voiturier.

Un choix de réveillons de la Saint-Sylvestre, de 75 à 995 euros

La Rôtisserie d'Argent. 75 euros sans les vins, bouteille de champagne à partir de 90 euros. 19 quai de la Tournelle 75005 Paris. Tél.: 01 43 54 17 47.

La Brasserie Lazare. 100 euros sans les vins, choix de 14 assiettes. Parvis de la Gare Saint-Lazare, rue Intérieure 75008 Paris. Tél.: 01 44 90 80 80.

La Table du Caviste Bio. 120 euros et 40 euros en plus pour deux verres de vin blanc et 1 verre de rouge. 55 rue de Prony 75017 Paris. Tél.: 01 82 10 37 02.

Le Café Pouchkine. 130 euros plus 35 euros pour le champagne et les vins, en musique. 16 place de la Madeleine 75008 Paris. Tél.: 01 53 43 81 60.

Penati al Baretto. Italien étoilé. 145 euros sans les vins, 7 assiettes dont une à la truffe blanche. 9 rue Balzac 75008 Paris. Tél.: 01 42 99 80 00.

Le Bistrot Marloe. 175 euros plus 69 euros avec les vins. 12 rue du Commandant Rivière 75008 Paris. Tél.: 01 53 76 44 44.

Le Café Prunier. Dîner caviar à 190 euros sans les vins. 16 avenue Victor Hugo 75016 Paris. Tél.: 01 44 17 35 85.

Le Fouquet's. 340 euros avec le champagne. 99 avenue des Champs-Élysées 75008 Paris. Tél.: 01 40 69 60 50.

Le Joy à l'Hôtel Fouquet's Barrière. 380 euros avec le champagne. 46 avenue George V 75008 Paris. Tél.: 01 40 69 60 60.

Lapérouse. 380 euros avec une coupe de champagne Krug. 51 quai des Grands Augustins 75006 Paris. Tél.: 01 43 26 68 04.

LiLi au Peninsula. Cantonais. 395 euros sans les vins. Smoking. 19 avenue Kléber 75016 Paris. Tél.: 01 58 12 67 50.

Pavillon Ledoyen, Yannick Alleno. Trois étoiles. 490 euros hors boissons, accord vins à 380 euros, 10 assiettes. Au Pavyllon, rez-de-jardin, 330 euros, accord vins à 165 euros, huit assiettes. Carré des Champs-Élysées, 8 avenue Dutuit 75008 Paris. Tél.: 01 53 05 10 00.

La Scène Thélème. Étoilé. 595 euros, 795 euros en accord mets et vins, 995 euros en accord avec de grands vins, 9 assiettes, superbe générosité. 18 rue Troyon 75017 Paris. Tél.: 01 77 37 60 99.

La Tour d'Argent. Étoilée. 680 euros, sept assiettes. Un grand moment dans une vie. 17 quai de la Tournelle 75005 Paris. Tél.: 01 43 54 23 31.

Le Château de Grand Lucé. Près du Mans. Réveillon élégant dans une demeure style Versailles, au centre d'un parc de trente hectares, à une heure de Paris. 180 euros avec deux coupes de champagne et trois verres de vin. Chambres à partir de 475 euros. 9 place de la République 72150 Le Grand-Lucé. Tél.: 02 55 48 40 40. Voiture à la gare du Mans.

 

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