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Les gels désinfectants ne servent à rien

Plusieurs études montrent que se laver les mains avec des gels hydro-alcooliques ne protège pas des virus.

Temps de lecture: 5 minutes

Vous vous croyiez en sécurité à la maison ou au bureau? Erreur. Vous êtes en danger de mort. Dans un récent - et terrifiant - exposé présenté aux bureaux de la Food and Drug Administration (FDA), le microbiologiste Charles Gerba, auteur de centaines d'articles scientifiques traitant des microbes du foyer, nous explique pourquoi.

Attention: Gerba est un véritable passionné (simple exemple: le deuxième prénom de son fils est Escherichia –le «E.» de «E. coli»). Dans cet exposé consacré aux horreurs de la vie domestique, il explique qu'une éponge à vaisselle et qu'un évier recèlent plus de bactéries qu'un siège de toilettes. Que 10% des torchons de cuisine sont porteurs de salmonelles. Qu'après avoir joué avec d'autres enfants, vos bambins ont plus de bactéries fécales sur les mains que vous lorsque vous sortez des toilettes publiques. Toilettes qui, soit dit en passant, répandent tant de gouttelettes à chaque tirage de chasse que Gerba compare leur dispersion aux confettis «du 14 juillet». Par ailleurs, à chaque fois qu'il a eu l'occasion d'analyser l'eau d'une piscine publique, celle-ci contenait des virus pouvant provoquer de multiples maladies.

Protéger la famille de la saleté?

Tout consommateur désirant contrer cette menace invisible a l'embarras du choix: plus de 700 produits lui proposent de tuer toutes bactéries, champignons et autres virus présents à la maison et au bureau (des appareils à UV sensés débarrasser nos brosses à dent des bactéries aux lave-vaisselles à chaleur stérilisatrice en passant par les paillassons antimicrobiens). Trois Américains sur quatre utilisent quotidiennement six produits de ce type.

Même avant l'épidémie de grippe H1N1, les solutions désinfectantes à base d'alcool connaissaient une croissance annuelle de 53% aux Etats-Unis; les Américains y consacraient chaque année un budget de 117 millions de dollars. Avec l'arrivée de la pandémie grippale, notre microbophobie nationale est tout naturellement montée d'un cran. Le site Web d'information sur la grippe des Centers for Disease Control recommande de désinfecter régulièrement les plans de travail, les meubles des chambres à coucher, les jouets, et autres «surfaces». (En langage marketing, on a donc conseillé aux consommateurs de multiplier leurs «opérations d'essuyage».)

Les responsables de la santé publique ont recommandé un lavage des mains complet et fréquent à l'aide de gel désinfectant. Les fabricants de savons et de désinfectants hydro-alcooliques ont lancé des campagnes de publicités massives pour nous pousser à nous laver les mains encore plus souvent qu'à l'accoutumée. Ces produits, nous disaient-ils, pouvaient protéger nos familles de la saleté qui les menace. Un slogan poétique de Purell rassure ainsi les pauvres microbophobes, vraisemblablement paralysés par la peur: grâce au désinfectant, il est enfin possible d'«imaginer un monde qu'on peut toucher».

Peu ou pas d'effet sur les infections

La vérité est moins lyrique. En 2005, des médecins de Boston ont publié le premier essai clinique portant sur l'utilisation des solutions désinfectantes dans les foyers; ils ont pour ce faire observé environ 300 familles ayant toutes de jeunes enfants en crèche. Pendant cinq mois, la moitié de ces familles a reçu des lots de solutions désinfectantes, en s'engageant à respecter un programme de lavage des mains «des plus vigoureux». Au final, les taux d'infections respiratoires n'ont pas baissé dans ces foyers, ce qui a «quelque peu surpris» les chercheurs. Une étude de l'Université de Columbia n'a pas non plus constaté de réduction des infections les plus communes dans des familles habitant en centre ville –les chercheurs leur avaient fourni des lots de savons antibactériens, de détergents et de matériels de nettoyage. La même année, l'épidémiologiste Allison Aiello (Université du Michigan) a, pour la FDA, résumé les données disponibles sur l'hygiène des mains; dans son exposé, elle souligne que trois études sur quatre montrent que les désinfectants hydro-alcooliques ne permettent pas d'empêcher les infections respiratoires.

En 2008, le groupe de recherche de Boston a répété l'expérience –cette fois dans les écoles primaires– en mettant des lingettes désinfectantes Clorox à la disposition des élèves dans les salles de classe. Une nouvelle fois, les taux d'infections respiratoires demeurèrent inchangés; en revanche, ceux des infections gastro-intestinales (qui sont moins fréquentes que les infections respiratoires) baissèrent quelque peu. Enfin, en octobre dernier, un rapport commandé par la Public Health Agency of Canada a affirmé qu'il n'existait aucune preuve tangible du fait qu'une bonne hygiène des mains permettait de prévenir la transmission de la grippe.

Mais alors, comment en sommes-nous venus à penser que les désinfectants étaient la pierre angulaire de la prévention? L'importance du lavage des mains est bien évidemment prouvée dans certains contextes; en médecine, cette pratique peut même sauver des vies.

En 1847, le médecin hongrois Ignaz Semmelweis a découvert que le fait de se laver des mains à la chlorine entre chaque accouchement permettait de prévenir les infections fatales dans les maternités. (Ses collègues ont rejeté sa théorie, et l'ont finalement envoyé en hôpital psychiatrique; il y mourra des suites de mauvais traitements).

Aujourd'hui, un grand nombre d'études montrent que lors d'essais effectués de façon aléatoire, un lavage des mains méticuleux (lorsqu'il est associé à d'autres mesures anti-infectieuses comme le drapage chirurgical et les gants stériles) permet de réduire les taux de maladies mortelles contractées pendant un acte chirurgical ou lors d'un séjour en unité de soins intensifs. Mais dans les hôpitaux, en dehors de ces essais cliniques, seule la moitié des médecins et des infirmièr(e)s se lavent régulièrement les mains avant de dispenser un soin –et ce en dépit des campagnes d'information. Plus inquiétant: dans les hôpitaux réceptifs aux directives d'hygiène –là où le taux de lavages des mains est passé de 40 à 70%–  les chercheurs n'ont pas observé de réduction globale des taux d'infections. En somme, même dans les hôpitaux –environnements hautement réglementés s'il en est–, les vertus tant vantées de l'hygiène des mains sont loin de tenir leurs promesses.

Faut-il pour autant perdre tout espoir en l'hôpital? Bien sûr que non. Il nous faut simplement relativiser l'efficacité des désinfectants hydro-alcooliques, et ce en particulier dans le cadre de la lutte anti-grippe, que ce soit à la maison ou à l'extérieur. Il faut tout d'abord savoir que le virus de la grippe se transmet dans l'air via des micro-gouttelettes (lors d'éternuement, par exemple); peu de risque de l'attraper en serrant une main ou en touchant une surface sale, donc, ce qui limite de fait l'utilité du gel.

Un plan marketing

Par ailleurs, même si la grippe se transmettait par le toucher (ce qui est le cas de la plupart des infections dues à des rhinovirus), les désinfectants n'empêcheraient pas sa propagation. Ils éliminent ces virus dans les laboratoires, mais dans la vie de tous les jours, c'est une toute autre histoire. Un enfant touche sa bouche et son nez toutes les trois minutes en moyenne; adultes et enfants entrent en contact avec trente objets différents chaque minute. Si les hôpitaux sont incapables de forcer leur personnel soignant à se laver les mains entre chaque soin, il serait proprement impossible d'obliger les employés des crèches, les parents et les instituteurs à laver les mains des enfants vingt fois... par heure.

Les fabricants de produits antimicrobiens ont bien évidemment tout intérêt à alimenter notre peur des microbes. Le problème, c'est que pendant l'épidémie de grippe H1N1, les acteurs de la santé publique ont soutenu leur plan marketing sans être certains de l'utilité de ces produits. Une partie des utilisateurs de désinfectants hydro-alcooliques pensaient sans doute en faire assez pour se prémunir de la grippe; ils ont donc remis leur vaccination à plus tard –c'était pourtant la meilleure façon d'empêcher la propagation du virus.

Alors de deux choses l'une: soit vous tombez dans le panneau des publicitaires et vous finissez comme Howard Hugues, le milliardaire obsessionnel; soit vous vous faites vacciner, vous vous lavez les mains avec bon sens (en sortant des toilettes, avant et après les repas), et vous arrêtez de vous ruiner en gel désinfectant. A moins, bien sûr, que vous ne travailliez dans un hôpital.

Darshak Sanghavi

Traduit par Jean-Clément Nau

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Photo: Hands/St0rmz via Flickr

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