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Pollution de l'air: pourquoi ne mesure-t-on pas les particules ultrafines, jugées très dangereuses pour notre santé?

Cela aurait pourtant été utile lors de l'incendie de Lubrizol cet automne.

Les particules ultrafines sont de petits grains de poussière, invisibles et inodores, générées par différentes sources de combustions. | <a href="https://unsplash.com/@linawhite">Lina White</a> via Unsplash
Les particules ultrafines sont de petits grains de poussière, invisibles et inodores, générées par différentes sources de combustions. | Lina White via Unsplash

Temps de lecture: 7 minutes

Alors qu'un panache de fumée noire assombrissait le ciel rouennais, l'association de surveillance de qualité de l'air agréée par l'État, Atmo Normandie, affichait sur sa page internet un indice Atmo de niveau 0. À Rouen, le 26 septembre au matin, l'indicateur de la pollution atmosphérique était à l'arrêt. Il aura fallu attendre quelques heures pour qu'Atmo Normandie donne une explication aux habitant·es interloqu·es: «Ce mode de calcul est national et ne prend pas en compte ni les odeurs ni les polluants atypiques émis lors d'un accident comme celui de Lubrizol.»

En somme, lors d'une situation exceptionnelle, des polluants autres que ceux mesurés pour le calcul de l'indice Atmo sont pris en compte. En plus des mesures habituelles de dioxyde de soufre (SO2), de dioxyde d'azote (NO2), d'ozone (O3) de particules fines (PM10, diamètre inférieur à 10 micromètre), s'ajoutent les taux de dioxines, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) comme le toluène, le benzène ou le xylène, de composés soufrés dont le sulfure d'hydrogène (H2S), de métaux ou encore de monoxyde de carbone (CO).

Une liste non exhaustive dans laquelle il manque pourtant un polluant atmosphérique majeur: les particules ultrafines ou nanoparticules, plus connues sous l'acronyme PM1 (diamètre inférieur à 1 micromètre). Pour schématiser, de petits grains de poussière, invisibles et inodores, générés par différentes sources de combustions comme la motorisation diesel/essence, le chauffage, l'usure des freins, les usines (notamment les incinérateurs) ou encore les incendies.

Un de ces polluants dont la mesure, selon certains spécialistes, aurait pu aider à la compréhension de la situation à Rouen: «Si on avait mesuré les particules ultrafines, on aurait pu se rendre compte de manière exacte de la pollution qu'avait généré l'incendie de Lubrizol», note Jean-Baptiste Renard, physicien spécialiste des particules fines au CNRS. Sauf qu'aujourd'hui, dans l'Union européenne, il n'existe aucune réglementation pour ces particules ultrafines.

Hautement toxiques

Pourtant, plusieurs études ont montré que les nanoparticules étaient dangereuses pour la santé humaine. D'après un rapport publié en juillet 2019 par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), ces particules ultrafines seraient capables de rejoindre la circulation sanguine. De ce fait, elles seraient plus nocives que les PM10, qui sont arrêtées par l'arbre respiratoire.

«Parce qu'elles vont plus loin dans notre organisme, les particules ultrafines génèrent des pathologies neurologiques, cardiovasculaires, du diabète, de l'hypertension et ont un impact sur le fœtus (faible poids de naissance, retard de croissance...)», souligne Thomas Bourdrel, radiologue et président du collectif Strasbourg Respire, qui précise: «Elles ont une surface d'interaction très importante avec de nombreuses molécules toxiques comme les hydrocarbures aromatiques cycliques (HAP) et les métaux lourds. Ce sont ces molécules qui vont drainer la toxicité de ces particules.»

Si une exposition aiguë à ces particules ultrafines comme celle de Lubrizol peut entraîner dans les 24 à 48 heures un sursaut d'infarctus, d'AVC, de maladies asthmatiques, être exposé de manière chronique à ces PM1, même à faible dose, serait encore plus dangereux.

 «L'inhalation chronique
de ces particules entraîne l'installation d'une inflammation à bas bruit,
des mécanismes qui arrivent
très lentement.»
Sylvie Pietri, chercheuse

La Dr Sylvia Pietri, directrice de recherche au CNRS, a fait respirer à des rats et à des souris un air comparable à celui de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, considérée comme l'une des plus polluée d'Europe. Les animaux ont été exposés une heure par jour pendant six mois à des aérosols de particules ultrafines de différentes compositions et à très faibles doses. «Nous nous sommes placés à 15.000 particules.cm-3 de taille comprise entre 60 et 100 micromètres. Je voulais reproduire une faible dose de particules ultrafines (6 microgrammes. cm-3) inodore et dont les gens n'ont pas conscience», explique la chercheuse.

Résultats: à partir du cinquième mois, les rats ont développé une intolérance au glucose et des dysfonctionnements cardiaques, puis des dégradations oxidatives au niveau du foie, du cerveau, qui suggèrent que cette exposition puisse provoquer des cancers. «L'inhalation chronique de ces particules entraîne l'installation d'une inflammation à bas bruit, des mécanismes qui arrivent très lentement», commente Sylvia Pietri, également membre bénévole du conseil scientifique de l'Institut écocitoyen à Fos-sur-Mer.

Créée par des habitant·es de la ville, cette association a lancé en 2011 ses propres campagnes de qualité de l'air. Elles ont montré que les particules ultrafines composent plus de 80% des particules totales, mais moins de 1% de la masse. Elles ont également révélé que le nombre moyen de PM1 a atteint 12.000 particules/cm3, soit un niveau comparable à celui d'un fond urbain de grande ville (en moyenne entre 10.000 et 25.000 particules/cm3).

Difficiles à mesurer

Des études comme celles-ci sur le nombre important de particules ultrafines dans l'air et leur impact sur la santé humaine se multiplient en France, même si elles sont peu suivies d'effet. À l'instar de celle menée en juin dernier par l'équipe de Jean-Baptiste Renard, épaulée par l'association RESPIRE, qui montre des taux très élevés de particules ultrafines dans le métro et le RER. «La seule réponse qu'on nous a donnée, c'est de faire un point de mesure de temps en temps», lance le spécialiste.

Aujourd'hui, ce sont en majorité les particules les plus imposantes qui sont mesurées par les stations fixes gérées par les dix-huit associations, agréées par l'État pour la surveillance de la qualité de l'air. Implantées dans différents types d'environnement –urbain et périurbain, trafic, rural, industriel– ces stations mesurent les PM2,5 (diamètre inférieur à 2,5 micromètres, qui ne rentre pas dans le calcul de l'indice Atmo et pour lesquelles il n'existe pas de seuil limite) et surtout les PM10 (diamètre inférieur à 10 micromètres), dont la France dépasse régulièrement le seuil réglementaire.

«Plus les particules sont petites et donc légères, plus la technique de mesure
de masse montre ses limites.
Il faudrait les compter.»
Jean-Baptiste Renard, chercheur

Ces particules fines sont pesées automatiquement par des appareils qui les collectent sur un filtre. Selon Jean-Baptiste Renard, cette technologie normative, utilisée par les associations de surveillance de la qualité de l'air, serait peu fiable pour les PM2,5 et celles de diamètre inférieur: «Plus les particules sont petites et donc légères, plus la technique de mesure de masse montre ses limites. Si on veut avoir des résultats probants pour les plus petites, il faudrait les compter.»

Et pour cause: si ces particules ultrafines contribuent très peu à la masse globale des polluants de l'air, elles sont dominantes en nombre. Ainsi, il est possible d'avoir des niveaux de PM10 normaux et de nombreuses particules ultrafines dans l'air. Aujourd'hui, ce sont les réseaux de citoyen·nes et les laboratoires indépendants de recherche qui fournissement majoritairement ces mesures de particules ultrafines. Toutefois, face à ces études montrant leur dangerosité, certaines associations de surveillance de la qualité de l'air comme Atmo Sud et bientôt Airparif, commencent à mettre en place des instruments capables de les compter.

Mais cela reste exceptionnel et, en l'absence de réglementation, ces données ne sont recueillies qu'à titre indicatif. «Les pouvoirs publics ne font que le strict minimum. Ils n'ont pas de budget. De plus, ils sont parfois critiques par rapport aux taux de particules ultrafines qui vont être mesurés en considérant que l'expertise est chez eux et pas chez les autres», observe Valéry Fauchet, consultant environnement indépendant et ancien responsable qualité et environnement-sécurité dans l'industrie chimique.

Des polluants invisibles

Autour des installations Seveso, la surveillance des particules ultrafines n'existe pas non plus en tant que telle. «Le laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA) se pose la question de renforcer le réseau de surveillance nationale actuel des particules ultrafines (PUF). En effet, aucune valeur sanitaire n'existe à ce jour pour les PUF et il est nécessaire d'étudier la représentativité spatiale de leur mesure pour alimenter les études sanitaires», souligne Caroline Marchand, responsable de l'unité accompagnement à la surveillance de la qualité de l'air et des eaux de surface à la direction des risques chroniques à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique.

«Comme on ne les mesure pas, on dit que ces véhicules ne polluent pas.
En disant cela, on ne protège pas correctement la population.»
Jean-Baptiste Renard, chercheur

En attendant, les particules ultrafines passent sous les radars de contrôle et ce malgré la preuve de leur dangerosité. C'est le cas des nouveaux véhicules diesel qui, selon Jean-Baptiste Renard, ne rejettent plus de PM10 et PM2,5 mais qui crachent des particules ultrafines: «Comme on ne les mesure pas, on dit que ces véhicules ne polluent pas. En disant cela, on ne protège pas correctement la population.»

Du côté des industries classées, les seules mesures de particules qui sont réglementées à la sortie de cheminée sont les TSP (particules totales en suspension). «Parfois, en fonction des enjeux, les autorités locales peuvent imposer dans les arrêtés préfectoraux des mesures de PM10 et PM2,5 à l'émission mais cela reste en masse et on ne les compte pas», précise Marc Durif, responsable du pôle Caractérisation de l'environnement à l'Ineris.

D'autres mesures de particules (PM10 et PM2,5) peuvent être effectuées dans l'air ambiant à travers des stations de surveillance situées dans le voisinage des installations, pour rendre compte de leur impact sur la population. Mais celles-ci ne sont pas mises en place systématiquement. En 2018, 39 stations de surveillance de la qualité de l'air sur 391 et 3 stations sur 159 mesuraient respectivement les PM10 et les PM2,5 à proximité des sites industriels.

Les oubliées de l'Europe

Selon l'lneris, en fonction de leurs émissions canalisées et diffuses, «les installations classées peuvent être obligées de mettre en place une auto surveillance environnementale à l'émission des TSP en continu. La réglementation impose le contrôle des performances des appareils utilisés et leur bonne mise en œuvre». Une aberration pour Thomas Bourdrel, qui critique le régime d'auto déclaration auquel sont soumis ces installations: «Ce sont les industries elles-mêmes qui mesurent leur émissions de polluants. Pour moi, c'est biaisé.»

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le collectif Strasbourg Respire, dont Thomas Bourdrel est le président et fondateur, expose les limites de ces contrôles: «Ils existent mais, par manque de moyens, les contrôles préfectoraux sont rares, allant d'une fois par an à tous les cinq ans. Seulement un tiers des 44.000 établissements les plus dangereux sont contrôlés tous les ans, et le nombre des visites d'inspection a diminué de 36% en dix ans. De plus, les établissements sont prévenus à l'avance de la survenue d'un contrôle.»

Même constat du côté des incinérateurs. Les surveillances ne contrôlent qu'une vingtaine de substances sur les milliers émises, ainsi par exemple les dioxines bromées, qui sont les plus dangereuses, ne sont pas dosées ni surveillées. Et on trouve ces dioxines à la surface des particules à côté des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des métaux.

Dans son livre Irrespirable - Le scandale de la qualité de l'air en France, le journaliste Jean-Christophe Brisard avait révélé que l'actuel président du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), organisme de référence pour l'inventaire de la pollution de l'air, était un ancien lobbyiste qui avait œuvré en 2008 –lors de la révision des normes sur l'air ambiant– pour que l'Europe ne comptabilise pas les particules fines (PM 2,5) et que les normes ne soient pas plus strictes. À cette époque, il n'avait même pas été question des nanoparticules.

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