Parents & enfants / Société

La compétition ne vient plus de l'école, mais de la famille

J'ai découvert que des parents donnent des devoirs supplémentaires à leurs enfants et ça m'a plongée dans des abîmes de perplexité.

J'ai même fini par demander à mon fils de 7 ans s'il aimerait que je lui donne du travail en plus. | Annie Spratt <a href="https://unsplash.com/photos/ORDz1m1-q0I">via Unsplash</a>
J'ai même fini par demander à mon fils de 7 ans s'il aimerait que je lui donne du travail en plus. | Annie Spratt via Unsplash

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Il y a vingt ans, je me souviens qu'on parlait des parents américains avec un air effaré: ils étaient tellement obsédés par la réussite scolaire qu'ils se battaient pour que leur bambin entre dans la meilleure maternelle. Ces gens étaient tarés. Même Docteur House avait été contaminé, un épisode le mettait en scène entraînant sa belle-fille de 24 mois pour réussir les tests d'admission dans le meilleur établissement scolaire.

Eh bien, je suis au regret de vous annoncer que nous y sommes, la compétition scolaire extrême est arrivée chez nous. Vous me direz que le système scolaire français a toujours été compétitif, il est fondé sur la compétition entre élèves, et entre établissements. Certes, mais cette fois, la compétition ne vient plus de l'école mais de la famille.

On sait déjà que le marché des cours particuliers continue son irrésistible progression. Mais il se passe quelque chose de différent. Dans les cours particuliers, on parle plutôt d'adolescent·es, collégien·nes et lycéen·nes. Moi je parle d'élèves de primaire (maternelle et élémentaire, donc). Deuxième différence: on paye des cours particuliers à son ado en général parce qu'il ou elle a des difficultés dans une matière. Là, il ne s'agit pas de difficultés.

Des cahiers de devoirs de «pas vacances»

J'ai découvert que des parents donnent des devoirs supplémentaires à leurs enfants et ça m'a plongée dans des abîmes de perplexité. (Surtout que certains m'ont regardée comme une alien pour ne pas le faire. Et je tiens à préciser que parmi ces parents, il y a des profs.) J'ai retourné cette idée dans tous les sens. J'ai même fini par demander à mon fils de 7 ans s'il aimerait que je lui donne du travail en plus, à quoi il m'a fait cette réponse pour le moins inattendue: «À partir de janvier, oui.» (Je n'ai pas obtenu davantage d'explications.)

Et puis, j'en ai déduit que c'était sans doute une pratique très marginale et je suis passée à autre chose.

Mais avec les grèves et l'enfant hurlant d'ennui et moi devant travailler, j'ai fini par me rendre dans un magasin pour acheter un cahier de devoirs de vacances. J'ai été une enfant qui adorait ça et j'ai réussi à transmettre cet amour à ma progéniture. Sauf que dans les rayons, alors que je cherchais un Passeport quelconque, je suis tombée sur des rayonnages de cahiers de devoirs de «pas vacances». Des cahiers pour toute l'année. (Je ne parle pas des cahiers pour enfants dys, qui nécessitent un accompagnement particulier.)

Franchement, ils ont l'air très bien. Mais à quoi servent-ils exactement? On pourrait penser qu'ils sont à destination des familles qui pratiquent l'instruction à la maison. Mais non, il s'agit de refaire à la maison les leçons étudiées en classe (sur la couverture, ils précisent tous «leçon RÉexpliquée») et de proposer des exercices supplémentaires pour s'assurer que les notions ont bien été acquises.

C'est véritablement en parallèle de l'école, comme le confirment les avis des client·es.

Je classerais à part les cahiers de ce type pour les classes de maternelle dans la mesure où les enfants ont moins de 7 ans. Or, comme le disait Maria Montessori, les enfants en dessous de cet âge ont ce qu'elle appelait des «périodes sensibles» où ils manifestent un intérêt particulier pour un apprentissage. Mais comme ces périodes ne sont pas simultanées chez tous les enfants, il est difficile pour les profs de maternelle d'y répondre au cas par cas. (J'ai une pensée pour les profs de maternelle qui, à chaque réunion avec les parents d'élèves, sont sommé·es de justifier que leur classe ne soit pas alvaro-montessori compatible.)

Quand un enfant de 4 ans veut apprendre à lire, on ne va pas lui répondre non sous prétexte que ce n'est pas le programme de sa section. Quand mon fils a voulu apprendre à compter jusqu'à 100, je lui ai appris. Ces cahiers peuvent donc répondre à une demande de l'enfant, une envie de compter, d'écrire, d'apprendre à lire. D'autant qu'à cet âge, les devoirs n'existent pas.

Et puis, dans le long chemin parsemé d'embûches de la parentalité, il y a le jour où l'enfant revient de l'école avec des devoirs. Ce jour-là, vous prenez en pleine gueule que le temps a passé et que votre mort est un peu plus proche que l'année précédente. Que les devoirs se passent bien ou pas, soyons honnêtes, il est assez rare qu'un enfant de 8 ans réclame à corps et à cris des dictées supplémentaires le dimanche après-midi. Ses périodes sensibles sont plutôt tournées vers les Pokémon.

Ces cahiers sont donc à destination des parents. Mais de quoi sont-ils le symptôme?

La peur que l'école ne suffise pas

Chez les parents de jeunes enfants, je pense qu'il y a l'idée Montessori-style que l'enfant a des capacités exceptionnelles que l'école néglige d'exploiter à leur maximum.

Et puis, on nous rabâche que l'école française est en situation d'échec, que le niveau baisse (la réalité est évidemment bien plus contrastée) et personne ne veut que son enfant ait un niveau inférieur au sien au même âge –sachant qu'en même temps, la France survalorise les diplômes. Il y a aussi les parents qui ont décidé de ne pas gruger la carte scolaire, dont les enfants ne sont pas dans le meilleur établissement du coin et qui contrebalancent en faisant du zèle à la maison. Il y a ceux qui le font parce que les autres le font et qu'ils ont peur de pénaliser leur enfant.

À moyen terme, ces cahiers sont la conséquence de la compétition extrême qui se joue dans notre société, compétition qui pour les parents a pris la forme monstrueuse de Parcoursup. Parcoursup qui moulinera votre enfant pour ensuite le recracher et le balancer dans une case loin de ses rêves.

Mais dans le fond, ces cahiers révèlent une immense inquiétude. La peur que l'école ne suffise pas, l'idée que le système scolaire n'est pas suffisant pour assurer la future réussite de nos enfants. Le plus absurde dans cette histoire, c'est qu'au moment même où notre société promeut la compétition scolaire à tout crin, on détruit le statut des professeur·es, on abîme l'école publique, on surcharge une institution sur le point de craquer. Face à cette destruction, face à un pays où il y a de moins en moins d'aspirants profs et de plus en plus de profs qui craquent et laissent tomber ce qui était pourtant une vocation, les parents seront de plus en plus nombreux à se réfugier dans le privé et dans les «cahiers d'accompagnement scolaire».

Comment aider ses enfants face à nos propres peurs, notre trouille de l'échec, du déclassement, notre angoisse devant un futur totalement opaque? Quel sera le monde du travail quand ils et elles seront adultes? Et d'ailleurs, existera-t-il encore du travail? Je pense que la plupart des parents actuels sont incapables de se projeter dans l'avenir de leurs enfants, ce qui accroît leur sentiment de panique. Et puis, on voit les structures de l'État social être démantelées, toutes les protections disparaître. Il y a, diffuse, pour beaucoup, l'idée que nos enfants ne pourront compter que sur eux-mêmes.

Reste une question: qui à la maison jouera le rôle de précepteur des temps modernes? Autrement dit, est-ce que cet accroissement de la compétition scolaire ne va pas une nouvelle fois peser sur les mères?

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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